Démolition sociale au Québec - Bien cibler l'ennemi!

Nous publions ici le texte d'un tract que nous avons distribué à Montréal le 14 décembre 2003, à l'occasion d'une manifestation contre une nouvelle offensive bourgeoise menée contre la classe ouvrière. Tel que prédit ici, l'État a pu imposer ses politiques grâce à l'appui précieux de l'appareil syndical. Une analyse plus détaillée des événements subséquents paraitra dans le prochain numéro de Notes Internationalistes.

Les travailleurs et les travailleuses du Québec sont en colère. Cette semaine, lors de la journée de perturbation de jeudi, des prolétaires en lutte ont fermé les ports de Montréal, de Québec, de Trois-Rivières et de Bécancour. D’autres se sont mobilisés pour barricader les routes menant aux trois régions de l’Abitibi, de la Côte-Nord et du Saguenay-Lac St-Jean. Le transport en commun a été retardé à Québec et à Montréal. Une bonne moitié des services de garde ont fermé leurs portes et les parents ont massivement rejoint le personnel lors de rassemblements tenus dans plusieurs villes, dont un de plus de 30 000 personnes dans les rues du centre-ville de Montréal. Partout, devant les écoles, les centres hospitaliers et les édifices gouvernementaux, des lignes de piquetage de sensibilisation ont été dressées. Même s’il n’y a pas eu de mot d’ordre de grève, ni même une volonté d’action concertée de la part des centrales syndicales, des actions ont été menées dans un certain nombre d’usines et un grand nombre de travailleurs et de travailleuses se sont déplacés pour participer à diverses manifestations après leur quart de travail. Partout, les lignes de piquetage ont été accueillies par de nombreux klaxons d’appui de la part des automobilistes. Lorsque les escouades anti-émeutes sont intervenues, ils ont rencontré une résistance déterminée mais d’efficacité inégale. Ainsi, sur une route du Saguenay, les flics ont attaqué le piquet de quelques centaines de personnes en pleine nuit. Les camarades ayant choisit de résister par un sit-in, la barricade fut levée et une quinzaine de personnes arrêtées. Mais dans le port de Montréal, les flics s’étant avancés en levant la matraque furent confrontés massivement par des prolos debout et furent rapidement débordés, puis forcés à reculer. La classe ouvrière du Québec venait de vivre une journée de résistance qu’on se doit de saluer et qui illustre son potentiel et son rôle en tant que classe fondamentale de cette société. Il convient de revenir sur les raisons de cette colère.

Suite à son élection le 14 avril dernier, le gouvernement du Parti Libéral travaille à ce qu’il appelle une vaste réingénierie de l’État, comme le font les États partout ailleurs dans le monde. Celle-ci implique une véritable démolition de l’ensemble des programmes sociaux de la province. D’ici le budget 2004-05, le gouvernement libéral entend revoir toute la structure de l’État et réorganiser à la baisse l’accessibilité des services publics, tels la santé et l’éducation, par la privatisation, la sous-traitance et la tarification des usagers et des usagères. Il entend aussi amender drastiquement sinon abolir toute une gamme de lois et de réglementations qu’il considère comme des freins à l’emploi. Des législations protégeant l’environnement ainsi que la santé et la sécurité au travail sont menacées. De plus, une nouvelle réforme de l’aide sociale est en préparation. Celle-ci prévoit s’attaquer encore plus durement aux centaines de milliers de sans-emploi, notamment par l’instauration de programmes de workfare et des coupures sans précédent pour les familles monoparentales et les personnes âgées de 55 ans et plus!

À très court terme, le gouvernement veut imposer deux amendements importants au Code du Travail à pleine vapeur, si possible avant le temps des Fêtes. Le projet de loi #31 affaiblirait l’article 45 du présent Code en ouvrant la porte encore davantage à la sous-traitance. Pourtant, 95% des entreprises québécoises font déjà recours à la sous-traitance dans leurs opérations et le Québec (grâce au travail du PQ et la collaboration des syndicats) est une des provinces où il s’en fait le plus. Le projet de loi #30 quant à lui forcerait la fusion d’unités syndicales dans le réseau de la santé et des services sociaux. En général, nous ne sommes pas de ceux et de celles qui pleureraient la fusion forcée de ces structures bourgeoises et collaborationnistes que sont devenues les syndicats. Cependant, le projet de loi prévoit la fusion des unités syndicales selon un modèle de cinq strates d’employé-e-s prédéterminées et inamovibles qui faciliterait nettement l’envoie à la sous-traitance de catégories entières du personnel actuel. Enfin, le gouvernement libéral se propose d’augmenter les frais de garde de 520 dollars par année et par enfant, tout en multipliant les tracasseries administratives auprès de ces services essentiels.

Les récentes mobilisations ont surtout visé les modifications au Code du travail et l’augmentation du coût des services de garde. Cependant, elles ont bénéficié des inquiétudes légitimes d’une large partie de la population qui en a visiblement marre de voir ses conditions de vie et de travail attaquées sur tous les fronts. Car les coups fusent de partout: hausse probable de la facture d’électricité (appuyée en passant par la FTQ!), hausse des coûts du transport en commun, augmentation constante des frais de logement, etc. C’est pourquoi la colère gronde et la lutte semble vouloir s’étendre malgré une vaste campagne de propagande qui lors des dernières semaines a voulu faire passer une bonne partie des travailleurs et des travailleuses de la santé pour des tortionnaires et les perturbations de la journée de lutte du 11 comme une entreprise de sabotage de l’entraide humaine pendant le temps des Fêtes.

Mais comment faut-il envisager la poursuite de la lutte pour lui assurer tout le succès possible? Il faut à notre avis éviter trois pièges que nous tend la classe dominante, sa meute de plumitifs dans les médias et ses collaborateurs syndicaux.

Le premier piège est celui de la dispersion et de la division. Les syndicats ont encore mieux qu’à l’habitude imposé la dispersion et le cloisonnement de nos luttes. Malgré un discours et des postures combattives qui invoquent à l’occasion des Fronts communs et une hypothétique grève générale à venir (et c’est dans ce sens là qu’il faut pousser), jusqu’à date il n’y a eut aucune réelle coordination des efforts de résistance; pas même une maudite manif! Bien sûr, cela fait partie de l’habituelle pratique syndicale de marchander la classe ouvrière à vil prix tout en lui laissant l’impression qu’on s’est battu pour elle, alors qu’en fait les Carbonneau, Massé et compagnie n’attendent qu’un geste bienveillant du Premier ministre, pour "rétablir le dialogue". La présidente de la CSN a clairement reconnu au gouvernement tous les droits de législation et comme l’ensemble de ses collègues des autres centrales, elle promet en fronçant les sourcils de maintenir le bon ordre. Mais il y plus, la raison principale qui a fait échouer même l’idée d’une manifestation unitaire tient à l’avantage que retirerait certaines boutiques syndicales au détriment des autres par les fameuses fusions forcées d’accréditations syndicales imposées par le projet de loi # 30! Il faut bien qu’ils conservent "leur part du marché" des esclaves salariés qu’ils contrôlent toujours. Pas étonnant que sur le chantier de l’aluminerie Alouette de Sept-Îles et que sur le chantier de la Gaspésia à Chandler des travailleurs se fassent agresser par des bouncers de syndicats adverses parce qu’ils n’ont pas la bonne carte... Face à cela, nous devons imposer l’unité dans la lutte de tous les travailleurs et de toutes les travailleuses, avec ou sans emploi, au-delà des catégories de métiers et des secteurs d’emploi, une unité qu’on a heureusement pu constater sur certaines lignes de piquetage et dans certaines manifestations locales. Rien à foutre des syndicats! Organisons-nous en assemblées générales unitaires, indépendamment et à l’encontre du clientélisme et du corporatisme syndical, sur les lieux de travail, dans les quartiers et dans les régions et coordonnons-nous autant et aussitôt que cela sera possible. La division et la logique syndicale ne nous mèneront qu’à la défaite.

Le second piège est de refaire confiance au Parti Québécois. Bien sûr, Charest et ses libéraux ne sont que d’épouvantables crapules. Cependant, il ne faut pas oublier tout le tort que le PQ, ce parti bourgeois a fait à notre classe! Déjà, l’ambitieux leader de l’opposition, André Boisclair prétend que le PQ s’est fait le porte-parole de nos inquiétudes et son patron Landry se permet de venir nous faire des discours dans nos manifestations. Quelle canaille! Faut-il rappeler que c’est ce parti qui a impulsé cette nouvelle ronde de coupures et de contre-réformes alors qu’il était au pouvoir? Faut-il rappeler l’odieux exercice du Déficit Zéro en 1996-97, opération menée rondement avec l’appui enthousiaste des syndicats et tout le train des coupures qui s’en est suivit? Faut-il rappeler les lois-massues contre la très belle lutte des infirmières.? Enfin, pouvons-nous oublier l’infâme déclaration de Landry laissant entendre que les femmes des familles pauvres étaient moins intelligentes encore que les oiseaux car ceux-ci arrivent quand même-eux à nourrir leur nichée? À bas le PQ! Pas de place pour les partis bourgeois dans nos luttes!

Le troisième piège est de croire qu’il existe une solution durable à l’intérieur du cadre de l’ordre capitaliste. Comme nous l’affirmions plus haut, le problème ne se réglera pas qu’en se débarrassant des libéraux. Le PQ ou L’ADQ prendraient alors la remorque du train de compressions et de contre-réformes dont la classe exploiteuse a absolument besoin. Partout à travers le monde, des gouvernements de diverses tendances mais tous sans exception inféodés à la bourgeoisie, mènent des offensives anti-ouvrières similaires quand ce n’est pas identiques. Par exemple, cette année on a vu des gouvernements sociaux-démocrates au Brésil et en Allemagne accompagner des gouvernements libéraux en Autriche, en France et en Italie dans un même effort de couper dans les retraites. Partout à travers le monde, la bourgeoisie s’attaque aux conditions salariales classiques, mais aussi au salaire social que constitue les divers programmes sociaux, dans le but, en termes marxiste d’analyse d’économie politique, de réduire le coût de la main d’œuvre (nous!) et de maintenir ses taux de profits. Le capitalisme agit ainsi pour tenter d’échapper à sa crise générale causée par ses contradictions inhérentes, notamment la baisse tendancielle du taux de profit. Tant que le capitalisme dominera le monde nous aurons à mener une bataille toujours plus féroce pour notre simple survie; à la merci de nouvelles vagues de compressions et de mises à pieds, dans l’angoisse de la prochaine récession ou pire. Voilà l’avenir que nous prépare la société de classe; voilà la réalité toute nue de l’exploitation capitaliste. Nous appelons tous les travailleurs et toutes les travailleuses à se méfier des écueils qui nous attendent dans cette lutte ardue que nous entreprenons. Nous prenons réconfort en sachant que dans tous les pays du monde, de la Chine au Brésil en passant par les Ètats-Unis et l’Europe, nos frères et nos sœurs de classe, les prolétaires que nous sommes, mènent le même combat pour la survie, la dignité et le progrès de l’humanité. Nous réaffirmons que seule une lutte de classe conséquente pourra mettre un terme à l’exploitation, développer notre conscience et notre organisation et accélérer la formation de l’indispensable Parti International du Prolétariat qui nous fait si cruellement défaut. C’est l’objectif que s’est donner le Bureau International pour le Parti Révolutionnaire, que nous représentons au Canada et aux États-Unis.

Le Groupe Internationaliste Ouvrier
Affilié au Bureau International pour le Parti Révolutionnaire
Montréal, le 12 décembre 2003