Crise et coupures - Sur les raisons de notre colère et les façons de la passer

Même si l’importante mobilisation de décembre 2003, contre les politiques de démolition sociale du gouvernement Charest s’est éteinte avec le passage expéditif des législations iniques, la colère des travailleurs et des travailleuses du Québec elle, ne démord pas. Cette colère s’affirme entre autre par notre multitude aujourd’hui, dans les rues de Montréal, à l’occasion du 115ème anniversaire du 1er mai, journée de lutte des prolétaires de tous les pays. Colère justifiée contre les mesures qui s’en prennent aux travailleurs et aux travailleuses du privé, dont les conditions de travail sont menacées plus que jamais par la loi 31 qui les exposent encore davantage à la sous-traitance. Colère justifiée aussi contre la loi 30 qui s’attaque aux travailleurs et aux travailleuses du public qui sont aussi menacés par la sous-traitance et les privatisations. Colère justifiée enfin, de l’ensemble de la classe travailleuse - des familles usagères des services de garde jusqu’à la jeunesse inquiète à juste titre d’une très probable accessibilité réduite à l’éducation - c’est toute la masse laborieuse qui est de plus en plus révoltée par les coupures dans les services, par les attaques contre notre "salaire social".

Le gouvernement Charest a donc réussit à se mettre à dos une grande majorité de la population en un temps record. Mais s’agit-il là d’une aberration, d’un écart par rapport à l’espèce type de ce que les syndicats et les institutions communautaires réclament: un bon gouvernement? C’est ce qui est exprimé par le slogan à la fois évocateur et mystificateur: "On n’a pas voté pour ça!" Or, examinons donc rapidement pour quoi et pour qui les travailleurs et les travailleuses du Québec pourraient éventuellement voter et s’ils le doivent. On nous permettra sûrement, malgré l’ambiance nationaliste dominante, d’aborder la question par une très brève esquisse de ce qui se passe ailleurs, en cette journée de lutte internationale et internationaliste. Comme nous l’indiquions dans notre tract du 12 décembre dernier, des gouvernements libéraux s’en prennent à la protection sociale et aux salariés dans plusieurs pays. Par exemple, en Autriche, en Italie et au Japon, les États s’en sont pris récemment aux retraites, rejoint en cela par la France de Chirac qui a fait de même tout en s’attaquant aussi à l’assurance-chômage et à l’éducation. Mais comment les syndicats qui souhaitent un retour au dialogue avec un futur gouvernement social-démocrate expliquent-ils que durant la même période, le Parti des travailleurs du Brésil tout comme la coalition sociale-démocrate et écologiste au pouvoir en Allemagne aient fait de même, quand ce n’est pas pire? D’ailleurs, la "gauche" au pouvoir en Allemagne prépare un train de coupures nommé Agenda 2010, propre à faire rougir plus d’un dirigeant libéral ou conservateur. Les travailleurs et les travailleuses du Brésil et d’Allemagne ont-ils voté pour ça? La réalité est un peu plus complexe que ce que veulent nous le faire croire les institutions bourgeoises que sont devenus les centrales syndicales et leurs partenaires en affaires du communautaire. Pour résister au déferlement de mesures réactionnaires et anti-ouvrières de l’État, il en faudra beaucoup plus que le simple fait de se débarrasser du "frisé" ou du "crosseur" de Québec; aussi désagréable et mesquin soit-il! En fait, le gouvernement libéral ne fait que continuer le travail amorcer par le gouvernement du Parti Québécois au Sommet socio-économique de 1996; Sommet auquel les syndicats ont contribué activement et qui de fait, est l’acte fondateur de la réingénérie d’État associée aujourd’hui aux seuls libéraux. Une fois n’est pas coutume, même un document de la Fédérations des infirmières (FIIQ) reconnaît que "le gouvernement libéral veut terminer l’œuvre du précédent gouvernement." Et pourtant, les syndicats évoquent un changement de gouvernement qu’ils préparent activement avec leur opération "Syndicalistes et Progressistes pour un Québec Libre" (SPQ-Libre) sous l’œil attendri du chef du PQ, Bernard Landry. Quant à nous, nous appelons nos camarades salariés à la lutte autonome, implacable et générale de notre classe contre les attaques présentes et à venir; une lutte internationale, à la mesure réelle du grave problème de société auquel nous sommes confrontés.

L’offensive en règle que nous subissons au Québec et au Canada est la même que subissent nos frères et nos sœurs à travers la planète. Cette offensive s’exerce dans un monde de crise et de guerres permanentes. Elle est la réponse d’une classe dangereuse: la bourgeoisie, confrontée à la crise profonde qui secoue son mode de production capitaliste depuis maintenant plus de 30 ans. Cette crise est causée par ce que Marx a identifié comme la baisse tendancielle de son taux moyen de profit. Juste aux États-Unis, dès la fin des années 60, cette chute atteignait 35% par rapport aux chiffres des années 50. Par la suite, le même phénomène s’est manifesté dans tous les pays capitalistes avancés avec une rapidité et une intensité diverse mais toujours vérifiable. Ces taux de profits peu élevés ont eu pour conséquence de ralentir graduellement, mais constamment, la production de marchandises et de services. Grosso modo, la croissance du Produit intérieur brut (PIB) était de 5-7 % dans les années 50, de 3-4% dans les années 60-80 et s’est réduit à environ 2.5 % dans la dernière décennie. Cette dynamique négative a favorisé l’intervention massive de l’État pour soutenir artificiellement les secteurs productifs nationaux, des années 60 jusqu’au début des années 80. Tous ces efforts de l’État bourgeois n’ont pas réussi à redresser la barre et n’ont contribué qu’à endetter dramatiquement les pays capitalistes avancés avec des taux d’endettement atteignant les 60 à 120% du PIB! Confrontée à cet échec, la bourgeoisie mondiale en est arrivée à l’hypothèse fausse que l’État était la cause de ses crises économiques, alors qu’il n’est que le garant principal de sa domination. 15 années de néo-libéralisme et de mondialisation plus tard, le capitalisme s’est enfoncé encore davantage dans une crise mondialisée qui a amené le système et ses États au bord de la banqueroute (pensons à l’Argentine). Voilà donc la vraie raison des coupures et des contre-réformes de Charest. Voilà donc le problème étalé dans toute sa profondeur et sa complexité. Et ce n’est pas un gouvernement du PQ, du SPQ-Libre ou de l’UFP qui pourra le résoudre car la solution du problème n’existe dans aucun programme électoral. Le problème est structurel; il est social. Comme l’écrivait Marx dans sa fameuse Introduction à la critique de l’économie politique: "une forme sociale ne disparaît pas tant que se développent les forces productives qu’elle contient." Or, comme nous l’avons vu plus haut, la forme sociale capitaliste ne développe plus que très peu les forces productives contemporaines*. Il s’agit donc maintenant d’envisager et d’organiser collectivement sa liquidation. Tout un programme, mais un programme incontournable et qui nécessite des ruptures additionnelles.*

Pour en finir avec le capitalisme, ses crises et ses guerres; pour en finir avec la dévastation environnementale, l’accentuation des oppressions spécifiques, l’attisement des haines religieuses et nationales et enfin, pour en finir avec les menaces à la survie même de notre espèce, il faut rompre une fois pour toutes avec tout ce qui soutient et protège ce système barbare et en voie d’obsolescence. Pour ce faire, il faut rompre avec la logique syndicale et communautaire de la concertation; une concertation qui nous lie à un corps hostile, étranger et décrépit. Il faut aussi refuser les appels des poutres de soutien du capital que sont les partis réformistes. Plus que jamais, l’émancipation de la classe exploitée ne peut se réaliser que par l’action autonome et révolutionnaire de la classe exploitée elle-même. Par la multiplication de nos luttes à partir de la base, par leur coordination croissante et armés d’une perspective, d’un programme et d’une organisation vraiment révolutionnaire, nous pouvons encore espérer soulager l’humanité; une humanité grosse d’une révolution. Oui camarades, notre colère est justifiée! Que ce 1er mai 2004, soit un moment important de son expression et un nouveau jalon dans la voie ardue qui nous mène à notre émancipation!