Sur Françoise David, le renouveau réformiste et tutti quanti - Nouveau parti de gauche

L’exercice du pouvoir par diverses administrations de "gauche" à travers le monde crée inévitablement beaucoup d’insatisfaction et de désaffection dans les rangs de ceux et de celles qui naguère encore les soutenaient de leurs espoirs et de leurs illusions. Cela coule de source, car pour qui la "gauche" n’est qu’un certain nombre de valeurs, une idée que l’on se fait du monde, indépendamment des rapports sociaux sur lequel ce monde se fonde, il peut sembler déroutant de voir les partis d’opposition progressistes d’hier, devenir des partis promouvant et imposant l’austérité et les coupures une fois au pouvoir. Cette désaffection crée les conditions d’une amorce de réflexion sur la nature véritable tant du réformisme que de la démocratie parlementaire, en tant qu’une des formes d’organisation politique qu’utilise le système capitaliste pour perpétuer son hégémonie. Dans de telles circonstances, la classe dominante favorise historiquement l’émergence de nouvelles "alternatives" de gauche afin de reconquérir et reconsolider l’adhésion des masses au processus électoral. Pour cette entreprise de récupération, elle peut toujours compter sur des éléments opportunistes et carriéristes, le plus souvent qu’autrement associés à une forme de "critique du régime". Ces éléments peuvent se draper d’oripeaux différents, selon les besoins politiques du moment ou les exigences de l’ambition personnelle. Mais toujours, ces forces rénovatrices de l’illusion parlementaire retrouveront à leurs côtés (à leur suite serait probablement plus juste), des forces qui leur donneront un vernis de gauche plus dur et quelques fois un appareil déjà bien huilé, grâce auquel elles pourront se déployer plus rapidement. Nous parlons ici de différentes organisations trotskistes ou staliniennes, quand ce ne sont pas des groupes libertaires ou altermondialistes.

Ainsi, suite à la mise en œuvre de son programme Hartz IV sur la "réforme" du marché du travail, l’impopularité du gouvernement de coalition SPD-Verts en Allemagne, a mené à l’apparition de la Wahlalternative Arbeit und sociale Gerechtigkeit (WASG), i.e.: l’Alternative électorale pour l’emploi et la justice sociale. Le WASG fut fondé par des dissidents du SPD, des bureaucrates syndicaux, des éléments d’ATTAC et plusieurs groupes trotskistes allemands. Il refusera sommairement l’offre de fiançailles électorales des staliniens durs du MLPD pour plutôt s’acoquiner avec les staliniens rénovés du PDS qui a encore des positions électorales dans les États de l’ex-Allemagne de l’Est. La nouvelle union du WASG et du PDS vient d’être confirmée sous la forme du Linkspartei, le Parti de la Gauche. Un des principaux leaders publics du parti est Oskar Lafontaine, un ancien ministre des Finances de Gerhard Schröder et un dirigeant important du SPD. Autrefois président du Land de la Saar, il avait fait sa marque en introduisant une loi extrêmement répressive visant à interdire à la presse le droit de critiquer le gouvernement et en faisant la chasse aux immigrants. Mais la cheville ouvrière du parti est le PDS, dont font partie des anciens dirigeants de la Stasi, qui s’évertue aussi à imposer Hartz IV dans toutes les régions où il est au gouvernement. Cela en dit beaucoup sur la qualité de cette alternative et ses velléités de gouverner dans le sens de la justice sociale. Mais, le nouveau Linkspartei est crédité de plus de 10% des intentions de vote dans certains sondages et semble donc en bonne voie de réaliser sa mission de colmater les brèches dans le mécanisme de mystification parlementaire de la classe dominante.

En Grande-Bretagne aussi, une nouvelle coalition tente de se reconstituer à la gauche de la grande institution de l’impérialisme britannique qu’est le Labour Party de Tony Blair. Candidat à la succession de l’expérience malheureuse de feue, la Socialist Alliance (SA - une coalition de la myriade de groupuscules trotskistes qui sévissent en Grande-Bretagne), RESPECT (pour Respect, Equality, Socialism, Peace, Environmentalism, Community et Trade Unionism) vient de réaliser une modeste percée électorale avec l’élection de George Galloway dans le comté londonien à forte composition musulmane de Bethnal Green and Bow, aux élections générales du 5 mai dernier. Le Socialist Workers Party (SWP, le parti père des Socialistes Internationaux canadiens et jusqu’à récemment du ISO américain) a abandonné la majorité de ses rivaux trotskistes de la SA juste à temps pour profiter de l’exclusion de Galloway du Labour Party et construire le front populaire classique (c’est-à-dire une coalition de plusieurs classes) qu’est RESPECT. Si la cheville ouvrière de RESPECT est de toute évidence le SWP, sa direction de fait est le carriériste et le démagogue Galloway, à qui le SWP concède graduellement les maigres feuilles de vigne socialisantes de sa plateforme politique. Oublié le salaire d’un ouvrier moyen comme compensation du député (George a le goût du voyage, des grandes résidences et des beaux objets. N’a-t-il pas déclaré: "I need a 150 000 pounds a year"?), oublié aussi la défense intransigeante du droit à l’avortement (George est catholique et il ne faut surtout pas choquer les imams et troubler les mosquées), oublié enfin une politique de frontières ouvertes (car il faut se donner des airs de réalisme respectable); comme dans tout front populaire, le "gauche" travaille pour la bourgeoisie. La plus récente couleuvre que les gauchistes du SWP britannique ont dû avalé, est la sortie que leur porte-parole Galloway a fait à la populaire émission Newsnight du 7 juillet. Affirmant qu’il était inutile de discuter avec les personnes suspectes d’avoir perpétré les attentats du jour même, notre grand réformiste s’est empressé de conclure qu’il fallait tout simplement les abattre. Les propos de cette personnalité de gauche ont été lancés dans un climat d’hystérie et de panique officiellement sanctionné et stimulé par l’État. Deux semaines plus tard, le 22 juillet, les forces policières allaient suivre le conseil des réformistes et abattre l’ouvrier Jean Charles de Menezes de sept balles dans la tête et d’une autre dans l’épaule, à la station de métro Stockwell de Londres. La marque de fabrique des réformistes de tout poil étant l’opportunisme, il n’est pas surprenant de constater que RESPECT et Galloway crient maintenant au scandale et exigent une enquête publique dans cette affaire. Avec un tel flair politique, les enfants du prophète Trotski et le politicien combinard Galloway ont peut-être de l’avenir dans l’œuvre de régénération des institutions bourgeoises britanniques, d’autant plus que la campagne de peur menée par Blair risque de mener à des crispations communautaires propres à leur fournir une petite base électorale.

Ailleurs aussi, les difficultés gouvernementales ou oppositionnelles de la gauche traditionnelle créent les conditions d’une recomposition et d’un renouvellement des forces réformistes. Ainsi en France, "l’anarcho-syndicaliste" José Bové a fait connaître ses visées sur non moins que la présidence de la République, des visées qui seraient d’ailleurs bien vues par certaines fractions trotskistes et une bonne partie des altermondialistes. En Écosse, le Scottish Socialist Party, le fruit d’une coalition de groupes trotskistes et de quelques déçus, tant du Scottish Labour Party que du Scottish National Party, a réussi à faire élire 6 députés au Parlement écossais en 2003, sur une plateforme réformiste et nationaliste. Cependant, le choc de l’ambition personnelle de deux de ses dirigeants, Tommy Sheridan et Alan McCombes, et la vilaine et très publique guerre intestine qui s’en est suivie a mené à une forte chute de l’appui électoral de ce parti aux élections du 5 mai. En Italie, Rifondazione Comunista (RC) dirigé par Fausto Bertinotti (la coalition des forces qui ont tenté de maintenir l’ancien PCI ainsi que diverses organisations trotskistes et altermondialistes), avait un temps pris ses distances de la Coalition de l’Olivier de l’ancien président de l’Union Européenne, Romano Prodi, alors que celle-ci était au gouvernement et imposait des mesures d’austérité. Depuis, RC s’était peaufiné une image de gauche radicale mais responsable. Cependant, lors de son congrès de mars 2005, Rifondazione a décidé de soutenir à nouveau l’Olivier, allant jusqu’à vouloir participer à d’éventuelles responsabilités ministérielles. La perspective du renversement prochain du gouvernement Berlusconi et l’exercice du pouvoir ont eu le dessus sur les prétentions radicales de ce parti. Il est probable que ses futurs ministres pourront bientôt promulguer des lois berlusconistes, sans Berlusconi. Les académiciens de gauche auront alors le loisir de justifier l’injustifiable par les acrobaties de la curieuse dialectique qui est celle l’intelligentsia petite-bourgeoise dans ces occasions-là.

Et c’est justement cette "curieuse dialectique" qui inspire toujours les apologistes du parti fondateur du néo-réformisme moderne et le modèle avoué ou pas des divers partis et politiciens mentionnés précédemment, le Parti des Travailleurs du Brésil (PT). Le parti du bureaucrate syndical Lula, fondé en 1980, est lui aussi le fruit d’une entente entre divers courants sociaux-démocrates, syndicalistes et trotskistes, tous rassemblés autour de la personnalité de Lula. Maintenant au pouvoir, le PT gouverne contre les travailleurs et les travailleuses. Il est le complice du meurtre continuel de paysans sans terre, il emprisonne les sans-abri, il coupe dans les pensions et les programmes sociaux, il dirige un important État impérialiste dans l’intérêt des impérialistes et il expulse ses quelques parlementaires qui osent timidement lever la voix contre "l’abandon de sa mission sociale" (1). Comme si la mission du PT n’avait jamais été autre que d’être l’aile gauche du capital; la force politique qui, dans l’alternance parlementaire, allait être appelé à réprimer le prolétariat lorsque l’aile droite aura été complètement discréditée par l’exercice du pouvoir. Ce modèle qui inspire tous les réformateurs modernes baignent maintenant dans un sombre scandale de copinage et de corruption. Le PT avait fignolé un système où il accordait une mensalao (une prime mensuelle) de 10 500 Euros à des parlementaires des partis d’opposition pour qu’ils appuient les projets de Lula. Tout un modèle que voilà...

Pendant ce temps-là, de retour au Québec...

Les mêmes conditions qui mènent à une recomposition de la gauche bourgeoise en Europe et en Amérique Latine alimentent des initiatives semblables au Québec. Un processus de tâtonnements, de négociations et de regroupement long de plusieurs années avait déjà permis à un certain nombre de groupuscules et d’individus de se coaliser au sein de l’Union des forces progressistes (UFP), un parti réformiste et indépendantiste qui regroupe peut-être quelques milliers de membres. On retrouve au sein de l’UFP les deux Parti "communiste" du Québec (Voix du peuple et Clarté - fraîchement scindés entre fraction nationaliste ultra-indépendantiste et fraction nationaliste plus hésitante), les groupes trotskistes Gauche socialiste et les Socialistes internationaux (SI), l’ex-Parti de la démocratie socialiste de l’ancien felquiste Paul Rose, des altermondialistes, des "libertaires" et un nombre de plus en plus réduit de péquistes déçus. Alors que le Parti Québécois (PQ) était toujours au pouvoir, ce parti avait des espoirs d’effectuer une petite percée, un espoir alimenté par une performance relativement solide de Paul Cliche qui avait recueilli 24,19% du vote et s’était placé troisième lors d’une élection partielle dans le quartier branché et ultranationaliste de Mercier.

Cependant, une autre force s’est manifestée depuis plusieurs mois. Option Citoyenne (OC) regroupe plus de 2000 "enfants", comme se plaît à appeler ses membres sa principale dirigeante, Françoise David. Pas étonnant qu’on s’amuse à l’appeler Matante... Cependant, il n’y a rien de très drôle chez madame David. Avec son acolyte François Saillant, elle partage un passé commun dans l’Organisation marxiste-léniniste du Canada En Lutte!, une formation "anti-révisionniste" relativement importante dissoute au début des années 80. Mais il y a longtemps que David, Saillant et de nombreuses autres personnes de leur entourage ont connu leur "Bad-Godesberg" (4). Depuis des années, les hommes et les femmes qui dirigent cette formation ont fait carrière en tant qu’interlocuteurs et interlocutrices de l’État "en faveur des démunis". Lorsqu’à la télé, dans les journaux ou dans les commissions parlementaires, nos exploiteurs ont besoin d’une opposition loyale et responsable, c’est habituellement à eux que l’on donne la parole. Ils n’ont jamais été élus par la base qu’ils prétendent représenter. Ils officient de par leur fonction stipendiée par l’État. Ils ont sans doute été désignés par leurs pairs également subventionnés, mais leur importance tient uniquement de leur reconnaissance par l’État. Ce sont ce que les américains caractérisent avec beaucoup de justesse des "poverty pimps".

Dirigeante et principale porte-parole, madame David a largement bénéficié de son rôle d’ex-dirigeante de la Fédération des femmes du Québec. À ce poste, elle a organisé une vaste opération de récupération, la marche "Du pain et des roses". Durant cette campagne, très largement médiatisée, elle a fait marcher 600 femmes sur de longues distances pour enfin arriver à Québec. Du haut d’une tribune qu’elle partageait avec le Premier ministre Parizeau, elle avait alors annoncé une série de gains (des vétilles), tous préalablement négociées avec l’État. Plus tard, à l’automne 2000, elle récidivera avec une prétendue Marche mondiale des femmes dont on retiendra qu’elle fut la seule manifestation à laquelle j’ai participé au Québec, où le service d’ordre a physiquement tenté d’interdire le droit de diffusion de toute littérature n’ayant pas reçu l’imprimatur des organisateurs, en l’occurrence madame David et son équipe de censeurs féministes. C’est sans doute un reliquat de ses années obscures qu’elle a longtemps tenté de faire oublier, alors qu’elle participait à la direction d’une organisation stalinienne. Cette épisode stalinienne allait être suivie d’une brève et peu glorieuse parenthèse syndicale avant qu’elle ne se réinvente en incarnation vivante du féminisme québécois: une féministe de gauche, mais de la gauche réaliste. Voyons donc maintenant qu’elle est la nature et la substance de cette gauche.

Au référendum d’octobre 1995, Françoise, la toute nouvelle héroïne des causes populaires, se portera à la défense du chef nationaliste et avocat du grand patronat Lucien Bouchard, après son fameux discours raciste sur la natalité: "On est une des races blanches...". Après son intervention, les médias étoufferont aussitôt l’affaire. La papesse du pain et des roses avait jugé que l’intervention de Bouchard n’était pas méchante. Plus tard, lors du Sommet de Québec au printemps 2001, elle dénoncera la "violence" des manifestants après qu’une grande partie de la ville leur fut interdite et alors que ceux-ci subissaient des charges policières et essuyaient salves après salves de tirs de grenades lacrymogènes et de balles de plastic. Mais, grâce à ses complicités en haut lieu, son habile fausse modestie et son omniprésence sur les plateaux des émissions d’affaires publiques et dans les pages d’opinion, l’ambitieuse politicienne, telle un phénix, arrive toujours à renaître de ces cendres.

Puis, pour faire connaître ses ambitions et délimiter ce qu’elle entend faire d’OC, elle publiera un opuscule, "Bien commun recherché: une option citoyenne." Elle y fait une critique de la réalité actuelle qui sonne quelques fois juste quand elle relate des évidences. Mais pas besoin d’être brillante pour ce rendre compte qu’il fait noir... En fait, elle s’en tient à une critique de certains excès du capitalisme, sans s’en prendre au système lui-même. En bonne opportuniste, elle réduit et banalise volontairement d’ailleurs toute la signification et la portée de ce que signifie le marché dans la dynamique capitaliste. Ainsi, pour elle, la critique du "capitalisme sauvage ne signifie pas abolir la liberté d’entreprendre, d’imaginer un nouveau produit, d’ouvrir un restaurant ou de posséder une ferme!" Pour elle, tout est une question de dialogue. Il s’agit d’échanger sur des valeurs dont la portée universelle finira bien par s’imposer graduellement, pédagogiquement. Ainsi, au tout début de son livre, elle écrit qu’il faudra réfléchir sérieusement à ce qu’il faut faire pour la population de Murdochville, durement éprouvée par la fermeture de la Noranda. Le lectorat qui aura eu la patience de lire toute la panoplie de doucereuses inepties, d’engagements vagues et de vœux pieux contenus dans le bouquin, aura bien du mal à comprendre ce que l’auteure propose aux travailleurs et aux travailleuses de Murdochville, parce qu’en définitive, comme tous les politiciens, elle n’en dit pas un traître mot.

À la base de la conception de renouvellement de la gauche de ce bouquin, il y a une très vieille idée, celle de l’entente sociale, du tripartisme, de la concertation et de la collaboration de classe. Les théoriciens d’OC n’ont rien inventé. Eux qui prétendent que Marx est dépassé et ringard n’ont fait que moderniser l’emballage de l’œuvre d’un autre "théoricien". En effet, toute cette promotion du dialogue sociale, toute cette dissimulation de la réalité de la lutte à mort entre classes antagonistes, tout cet escamotage de l’impérialisme dans le but de mousser un mouvement anti-mondialisation nationaliste et anti-classiste, trouve son origine dans la formation catholique de nos maoïstes repentis. En 1891, le pape Léon XIII ne prêchait pas autrement dans son Encyclique Rerum Novarum. "Patron, soit bon pour ton employé! Employé, respecte ton patron!" Et surtout, n’oublions pas le petit commerce et la ferme... C’est ça le renouvellement et l’actualisation de la gauche québécoise proposé par David, Saillant et Cie.

Le futur d’une carrière, les incertitudes d’une option

Il y a donc deux mouvements qui espèrent constituer la nouvelle alternative de gauche au Québec. Mais que les thuriféraires en quête de sauveurs à encenser ne désespèrent pas. Nous avons affaire ici à des politiciens responsables qui ont d’ores et déjà annoncé qu’ils allaient bientôt fusionner leurs organisations coûte que coûte en vue de créer un nouveau parti politique provincial. Peu importe que l’OC n’a toujours pas de position constitutionnel clair (toutes les manœuvres pro-nationalistes de Saillant et David à cet effet n’ont pas encore abouties), alors que l’UFP se veut indépendantiste pur et dur. Peu importe aussi que les gauchistes de l’UFP tiennent un discours plus radical qui ne plaît pas vraiment aux modernistes de l’OC. Il est déjà entendu que le futur parti sera de "centre-gauche" comme le reconnaît Résistance le journal des trotskistes de SI, qui pourtant, tout heureux de franchir le Rubicon pour une centième fois, sont disposés à soutenir l’initiative. La voie de la construction du parti est déjà toute tracée et ses jalons, inscrites au calendrier. Alors que le congrès de fondation devrait se tenir du 13 au 15 janvier 2006, il est prévu que la conférence sur l’orientation ne se tiendra que quelques mois plus tard (!) et surtout que la discussion sur la question cruciale des orientations stratégiques (ses alliances) ne se feraient qu’à la toute veille des prochaines élections. Or, toute la construction de ce château de cartes tient à cette question des alliances. En clair, tout dépend du joker du PQ, car c’est ce dernier qui dispose des atouts.

Si les carriéristes David et Saillant s’étaient joints à l’UFP ou avaient travaillé en coalition avec celui-ci alors que le PQ était toujours au pouvoir, il n’est pas exclu qu’une ou deux percées électorales locales auraient pu être réalisées, ce qui leur aurait permis d’établir des assises pour l’avenir. Une alternative électorale ne peut en effet se constituer que si elle espère gagner occasionnellement des élections. Le PQ était alors largement discrédité par des années de coupures et d’austérité. Cependant, celui-ci s’est depuis redynamiser et re-crédibiliser par la jonction de quatre facteurs importants. D’abord, la crise des commandites, même si elle est le fait du Parti Libéral fédéral, a pour l’instant complètement discrédité les forces se réclamant d’un fédéralisme de statu quo au Québec. Puis, le Parti Libéral provincial au gouvernement s’est déconsidérer très rapidement du fait que contrairement au PQ, il n’a pas cherché à s’associer les syndicats pour mieux faire passer ses politiques antisociales et s’est donc exposé à leur vindicte. Ensuite, la course "inattendue" au leadership du PQ, ouverte par la démission surprise de Landry, offre à ce parti un avantage médiatique important, qu’il exploite relativement bien en mettant de l’avant des politiciens plus jeunes et moins associés aux dégâts des administrations péquistes antérieures. Enfin, et c’est probablement ce qui est principal, les syndicats ont fait leur lit et s’associe maintenant plus ouvertement que jamais au PQ plutôt qu’à la nouvelle gauche. Ils l’ont convaincu de leur faire une place de choix, par la reconnaissance de leur club politique "Syndicalistes et progressistes pour un Québec libre" (SPQL) à l’intérieur même des structures du Parti. À son dernier congrès, Monique Richard, l’ex-présidente de la CSQ et membre fondatrice de SPQL est devenue la présidente du parti et Pierre Dubuc, le dirigeant de SPQL est maintenant candidat à sa chefferie. Même s’il n’a aucune chance de la gagner, Dubuc relèvera sensiblement le "profil de gauche" du parti lors de la campagne. C’est d’ailleurs sa mission.

Dans un tel contexte, il semble clair que le PQ (à moins d’une autodestruction improbable lors du renouvellement de son leadership) reprendra facilement le pouvoir au prochaines élections, et que cela ne laisse que peu d’espoir d’une victoire du nouveau parti de gauche dans aucun des comtés du Québec. Le vieux projet d’un nouveau parti de gauche serait alors encore une fois retardé du fait qu’il n’est qu’un faible succédané, rival mais pour l’instant inutile, du vrai parti de centre-gauche nationaliste qu’est le PQ. Bien sûr, le nouveau parti peut toujours espérer que les libéraux promulguent une réforme de la loi électorale accordant une certaine représentation proportionnelle, lui permettant d’accéder à l’Assemblée nationale par la petite porte. Mais une telle réforme ne semble pas pour bientôt. Il peut aussi envisager une alliance tactique avec le PQ, où il mendierait quelques comtés à ce dernier, en échange de son appui partout ailleurs. Françoise David a d’ailleurs déjà fait connaître son aval à cette possibilité lorsqu’elle a déclaré qu’elle ne souhaitait pas être "la Ralph Nader du Québec et contribuer à la défaite du PQ." On ne peut pas exclure non plus un ralliement pur et simple du nouveau parti (ou d’une partie de ses composantes) au PQ. David a aussi déclaré: "Nous sommes tous des gens intelligents et stratégiques. À l’approche des élections, on verra ce qu’on a à dire au PQ." La perspective d’un troisième référendum sur la souveraineté lui offrirait sans doute un prétexte qu’elle n’hésiterait absolument pas à utiliser. Elle pourrait aussi évoquer que la nouvelle donnée du SPQL lui permet d’espérer gauchir le parti. En ce cas, gageons que les trente deniers seraient accompagnés d’un poste ministériel et d’un comté sûr. Boulerice commence à se faire vieux et imprévisible dans Sainte-Marie-Saint-Jacques... Bien sûr, cette option serait refusée par certains éléments gauchistes (il serait imprudent de prédire qu’ils le feraient tous!), mais cela tuerait dans l’œuf pour le moment la possibilité d’un nouveau parti social-démocrate rival du PQ. Tant que ce dernier pourra assurer son rôle de contrôle social et d’alternance parlementaire, rien ne presse. Mais que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur du PQ, les manœuvres politiques des carriéristes et des gauchistes n’augurent rien de bon pour les travailleurs et les travailleuses. Au Québec, comme partout ailleurs sur la planète, notre salut ne passe pas par la réforme des modalités de notre exploitation, mais bien par le renversement du système d’exploitation lui-même.

Victor

(1) Il est à noter que les élus exclus du PT, Jaoa Fontes, Heloisa Helena, Luciana Genro et Baba, tous trotskistes (alors que d'autres trotskistes se taisent et restent au PT, y inclus à des postes ministériels), n'ont pu faire mieux que répéter la malheureuse expérience du PT et former un nouveau parti tout aussi réformiste que l'original, le Parti du Socialisme et de la Liberté. On ne peut pas dire que les trotskistes sont forts dans l'exercice de bilans.

(2) Le congrès de 1959, au cours duquel le Socialdemokratische Partei Deutschlands (SPD) a abandonné toute référence au marxisme.