Editorial

Voici donc le quatrième numéro de Bilan & Perspectives. S’il contient deux textes sur le fascisme, c’est bien sûr en partie à cause des "évènements" du printemps dernier. On peut en effet dire que la France a vécu un véritable drame en trois actes.

ActeI: c’est la mise en place de la pièce démocratique. La campagne électorale se déroule de façon tout à fait classique. Cet acte est un peu languissant mais il se termine par un coup de théâtre: le résultat des élections qui stupéfait tout le monde.

Acte II: la démocratie en danger. Une grande mobilisation démocratique se met en place. La classe politique, les médias, les entreprises, tout le monde se sent concerné.

Acte III: le grand sursaut démocratique permet à Chirac d’être élu avec 82% des voix. Tout rentre alors dans l’ordre avec les élections législatives: le ronronnement des partis traditionnels reprend son cours.

Que n’avons nous pas entendu au cours de ces semaines! Revenait comme un leitmotiv “bien sûr ce système est pourri, tout comme Chirac, mais avec Le Pen, ce serait bien pire!” L’extrême-gauche trotskiste se divisait. D’un côté la LCR qui, conformément à sa tradition, chevauchait la vague antifasciste, appelait à “tout faire pour battre Le Pen” (s’agissait-il de voter pour Chirac? les choses n’ont jamais été tout à fait claires). D’autre part LO, considérant que Le Pen n’avait aucune chance d’être élu, prônait l’abstention. Prise de position bien hypocrite qui lui faisait dire, en gros: ne nous salissons pas les mains, d’autres voteront pour Chirac, qui sera élu.

Pas un de ces "révolutionnaires" ne se posait la véritable question. Qu’est-ce que le fascisme, dans quel cas un gouvernement fasciste peut-il se mettre en place?

Ce printemps, la France n’était pas prête pour ce type de gouvernement. La classe dirigeante, les élites intellectuelles, économiques, sociales bref la bourgeoisie, ne le voulait pas. Elle n’a confiance ni dans Le Pen et ses proches, ni dans ses propositions de gouvernement. Si, par un mauvais hasard, Le Pen avait gagné les élections, celles-ci auraient été, d’une manière ou d’une autre, invalidées.

La démocratie est une grande chose qu’il ne faut pas sous-estimer. Il arrive que les résultats d’élections ne soient pas conformes. Un bon exemple a été fourni par le référendum, en Irlande, sur l’élargissement de l’Union Européenne. Une première fois le "non", refus de l’élargissement, l’a emporté. Qu’a fait le gouvernement irlandais? A t’il démissionné, changé de politique? Non! sans même devoir, pour paraphraser Brecht, changer le peuple, il a organisé de nouvelles élections pour avoir le résultat désiré. Par peur de perdre ce type de référendum, en France, la classe politique, unanime, n’en organise plus: des débats au parlement suffisent! La démocratie a t’elle pour autant disparu de notre beau pays? Non! Elle est simplement appliquée intelligemment.

La définition du fascisme, la position des communistes par rapport à lui comme par rapport au système démocratique, voilà un des apports fondamentaux de la gauche communiste dite italienne, c’est à dire qui a son origine dans le courant qui a fondé puis dirigé le Parti Communiste d’Italie. C’est pourquoi il nous apparaît important de publier le texte de Bordiga sur le fascisme, pour bien montrer que nous ne sommes pas les premiers à nous poser ces problèmes. Les communistes puisent leurs analyses de l’expérience du mouvement ouvrier depuis son apparition: c’est aussi ce qui fait la force de leurs positions.

C'est une toute autre époque et de tout autres problèmes qui sont exposés dans 1921, début de la contre-révolution. Pour les communistes, la révolution russe, les révolutions et tentatives de révolution qui ont eu lieu après la première guerre mondiale sont une source importante de réflexion. C'est la seule période pendant laquelle le prolétariat s'est installé au pouvoir sur une zone et pour une période significative. Une période où le rapport des forces était favorable au prolétariat comme jamais depuis. Il est clair que ce qui a posé problème avec la contre-révolution russe, c'est qu'elle n'est pas venue de l'extérieur (la contre-révolution blanche et social-démocrate a été militairement battue pendant la guerre civile) mais qu'elle s'est développée au sein même du pouvoir soviétique. C'est ce qui a permis aux staliniens de Russie et d'ailleurs, de continuer à se réclamer d'Octobre tout en annihilant Octobre. Mais les révolutionnaires eux-mêmes, qui nécessairement, manquaient du recul indispensable pour comprendre le processus en cours, ont bien eu du mal à avoir une position correcte, loin du simple rejet comme de l’allégeance non critique. Le retour sur cette période permet aux communistes d'aujourd'hui d'analyser le passage de la révolution à la contre-révolution. De voir quelles sont les leçons à tirer de cette expérience et comment s'armer pour l'avenir.