Août 2002, le pape en Pologne

Il est certes inhabituel pour nous de suivre les voyages pontificaux et nos lecteurs se demanderont sans doute si nous ne sommes pas en train de tourner mal. Qu’ils se rassurent! Tout d’abord, nous n’avions pas d’envoyés spéciaux. Nous ne décrirons pas les détails de ce voyage d’août 2002, fort médiatisé. Ce qui nous intéresse, quant à nous, c’est justement le traitement médiatique de ce voyage, ou plutôt la vision médiatique actuelle des précédents voyages du pape en Pologne.

S’il y a eu, cet été, une belle unanimité, c’est bien pour montrer l’importance, que dis-je l’importance, le caractère historique de ces voyages. Cette belle unanimité, on peut la retrouver dans le quotidien Le Monde, il est vrai journal de référence de la presse française.

Citons donc le numéro daté du 17 août 2002, page 3:

Les quatre premiers voyages du pape en Pologne (1979, 1983, 1987, 1991) avaient été comme autant de coups de boutoir contre le régime communiste à la chute duquel, de l’aveu d’hommes comme Mikhaïl Gorbatchev et le général Wojciech Jaruzelski, Jean-Paul II a largement contribué.

Peut-être nos lecteurs penseront-ils que nous avons sélectionné un passage particulièrement caricatural. Il n’en est rien. C’est au contraire un passage particulièrement significatif. L’expression coups de boutoir a été employée tant à la radio que sur les chaînes de télé, mais nous ne savons pas dire quel journaliste empochera les droits d’auteur pour cette formule.

Et les télévisions, jamais en reste, d’expliquer qu’un an après Sa venue, en 1979, naissait le syndicat "Solidarité-de-Lech-Walesa" et que le pape, toujours militant, portait la contradiction contre Jaruzelski quelques mois seulement après l’instauration de l’état de siège. Mais rassurons-nous, cet homme est tout ce qu’il y a de recommandable, puisque, toujours dans "Le Monde", Jaruzelski, vieillissant mais expert, nous le décrit:

le pape est resté anti-communiste. Mais, en même temps, il a été un adversaire tenace des maladies du capitalisme: chômage, pauvreté, inégalités sociales.

Voila ce qui, une vingtaine d’années après les faits nous a été seriné ce mois d’août. L’histoire, il est vrai, est belle, digne d’un film d’Hollywood: un homme seul contre tout un Empire!

Les dizaines de milliers d’ouvriers en grève aux chantiers navals de Gdansk et ailleurs, qui s’opposaient à l’appareil d’Etat, milice, police, syndicat et parti stalinien, tout cela n’était que les nouveaux martyrs de la foi chrétienne répondant à l’appel de leur chef, le pape polonais. Disparues les "répétitions générales" de 1956, 1971 ou 1976. Seuls restent les voyages du pape. Bien sûr certains, faussement naïfs, pourraient bien se demander pourquoi les dirigeants polonais ont accepté ces voyages du pape. Mais, en bons staliniens, la ligne officielle des dirigeants n’était-elle pas ce mot du petit père des peuples: "le Vatican, combien de division?".

Camarades, lecteurs, certains d’entre vous ont peut-être conservé des archives. Des articles de cette époque de cette même presse, bien obligée de s’en tenir d’un peu plus près aux faits. Jetez tout! seule compte maintenant la vérité officielle, qui tient en deux axiomes, rabâchés jusqu’à la nausée:

Les Etats sous domination russe, ayant développé un capitalisme d’Etat sous dictature stalinienne, c’est le communisme.

C’est l’opposition du pape et de différentes formes d’opposition influencées par l’occident démocratique qui ont mis bas ces dictatures, ces Etats, en bref le communisme.

Mais, n’en déplaise à tous ces journalistes, les faits sont têtus!

Les "coups de boutoirs" à cette époque étaient ceux de la crise du système capitaliste, frappant plus fort sur les pays périphériques que ceux du centre capitaliste. Cette crise a fait s’écrouler un grand bloc impérialiste, le bloc russe. Le prolétariat polonais, combatif, mobilisé, devenait dangereusement incontrôlé. Les organisations staliniennes ne l’encadraient plus. Les dirigeants polonais ont, tout simplement, choisi leur "adversaire". En organisant les visites du pape, ils donnaient un chef au "peuple polonais", à la nation, et un objectif clair aux luttes qui se déroulaient alors: le capitalisme privé et libéral (par opposition au capitalisme d’Etat en vigueur), la démocratie parlementaire. Ils préparaient aussi le futur retournement de la bourgeoisie, hier vassale de la Russie, aujourd’hui faisant allégeance à la puissance européenne, plus particulièrement allemande, demain membre de l’Union Européenne. Dans cette tâche, ces dirigeants polonais ont été particulièrement aidés par la bourgeoisie d'Europe Occidentale, qui a financé l'activité de cette "opposition" catholique. Se répartissant la tâche, chacun avait son correspondant. Pour la France, les syndicats CFTC et CFDT aidaient le syndicat Solidarnosc, les institutions catholiques aidaient les institutions de là bas, les intellectuels popularisaient et exprimaient leur solidarité avec ceux de Pologne. Quant aux Etats, ils accordaient des prêts avantageux qui ont permis à l'Etat polonais de tenir jusqu'à l'effondrement du bloc de l'Est.

L’histoire a montré que la révolte, l’esprit de résistance au système ne suffit pas. Isolé, le prolétariat polonais ne pouvait guère aller plus loin que le point qu’il a rejoint. Son expérience a été récupérée par les partisans de l’alliance à l’Ouest, du démantèlement de la dictature et du capitalisme d’Etat au profit d’une démocratie et d’un capitalisme plus en vogue à l’Ouest.

Sans organisation politique de classe, sans parti révolutionnaire, l’expérience acquise par les prolétaires polonais (et celles des autres pays de l’Est) est travestie, défigurée par les médias en un combat national pour la restauration de la démocratie et du capitalisme qui est, chacun doit le savoir, le meilleur système sous lequel il soit donné à l’Homme de vivre.