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Accueil ›Terrorisme et violence révolutionnaire
A l’heure des procès en Grèce et en Italie de groupes terroristes se réclamant de la lutte anti-capitaliste et au moment où les FARC en Colombie reviennent à la Une de l’actualité, la question de la violence révolutionnaire ne doit souffrir d’aucune ambiguïté dans la façon dont une organisation communiste la conçoit.
La violence, coercition d’êtres humains par des moyens physiques, a toujours été un aspect inévitable et omniprésent depuis l’origine de l’humanité. Même dans les sociétés primitives sans classe, les relations entre tribus se mettaient le plus souvent en place sous l’emprise de la violence ou tout au moins de sa menace. Avec l’émergence de classes antagoniques dans la société, la crainte des violences inter-classes devint si importante qu’un organe spécial, l’Etat, fut crée dont le but était d’exercer le monopole de la violence au service de la classe dominante. Ce monopole est, pour tout Etat, un droit inaliénable et toute organisation "privée" qui porte atteinte à ce droit sera réprimée avec la plus extrême rigueur car la présence de ce droit est pour l’Etat, une question de survie.
Mais la violence n’est en rien le facteur dominant ou déterminant de l’histoire de l’humanité. Pour un marxiste, la force est toujours conditionnée et contrôlée par les relations sociales que le processus de production engendre. C’est le développement des rapports de production qui ébranle une "force", c’est à dire, une nouvelle superstructure dans l’intérêt de la classe révolutionnaire.
Engels a clarifié ce point dans sa polémique avec Dühring, établissant la primauté du développement économique sur la "force", mais aussi, expliquant comment les marxistes prennent une attitude concrète par rapport aux expressions spécifiques de cette force, plutôt que de faire preuve d’indignation morale envers la force, en tant que telle.
Pour Dühring, la violence est le mal absolu, le premier acte de violence est pour lui le péché originel...Mais que la violence joue encore dans l’histoire un autre rôle, un rôle révolutionnaire; que selon les paroles de Marx, elle soit l’accoucheuse de toute vieille société qui en porte une nouvelle dans ses flancs; qu’elle soit l’instrument grâce auquel le mouvement social l’emporte et met en pièces des formes politiques figées et mortes, de cela, pas un mot chez M.Dühring. C’est dans les soupirs et les gémissements qu’il admet que la violence soit peut-être nécessaire pour renverser le régime économique d’exploitation. (1)
Le marxisme ne part pas de considérations "morales" dans son appréciation d’une organisation sociale et politique:
La conception matérialiste de l’histoire part de la thèse que la production, et après la production, l’échange de ses produits, constitue le fondement de tout régime social, que dans toute société qui apparaît dans l’histoire, la répartition des produits, et, avec elle, l’articulation sociale en classes ou en ordres se règle sur ce qui est produit et sur la façon dont cela est produit ainsi que sur la façon dont on échange les choses produites. En conséquence, ce n’est pas dans la tête des hommes, dans leur compréhension croissante de la vérité et de la justice éternelle, mais dans les modifications du mode de production et d’échange qu’il faut chercher les causes dernières de toutes les modifications sociales et de tous les bouleversements politiques; il faut les chercher non dans la philosophie, mais dans l’économie de l’époque intéressée. (2)
L’exploitation et la violence ne relèvent pas, pour le marxisme, d’un jugement moral; ils doivent être analysés en fonction de l’évolution historique des rapports sociaux dans le mode de production.
Pour le marxisme, par exemple, l’introduction de l’esclavage, compte-tenu du contexte historique, était un progrès. De même, l’avènement de la bourgeoisie qui par la violence a chassé les castes féodales doit être considéré comme positif du point de vue du développement historique.
Enfin, les contradictions entre le mode de production capitaliste et le développement des forces productives s’étant exacerbées à l’extrême, l’utilisation de la violence prolétarienne pour mettre un terme au régime d’exploitation bourgeois s’avère "légitime" et nécessaire.
De la même manière que la révolution bourgeoise, avant elle, la révolution prolétarienne sera nécessairement accomplie dans la violence. Il est tout à fait utopique de penser que la vieille classe dirigeante abandonnera sans résister ses privilèges sociaux et politiques. La violence de classe du prolétariat sera inévitablement dirigée contre la bourgeoisie et les communistes ne doivent pas soupirer et gémir pour autant.
La question de la violence prolétarienne avant la révolution
Il faut envisager qu’avant même la révolution, au moment où la conscience de classe sera en développement (mais avant que le mouvement ait atteint un haut niveau), des prolétaires exaspérés se livrent à des actes de terrorisme spontané, actes individuels ou réalisés en petits groupes. Doit-on condamner ce type d’actions sous-prétexte qu’il ne relève pas de la violence collective et organisée? Dans son éditorial du 31 juillet 1921, Il Comunista, organe du Comité Central du PCI, écrivait: "Distinguer la violence collective et la violence individuelle dans la guerre [civile], c’est ergoter sur la possibilité d’un combat dans lequel on pourrait proscrire la violence individuelle; et - le plus souvent - cela signifie ne pas vouloir combattre. Mais, si on approuve la nécessité historique de la guerre civile, on doit accepter cette dernière avec les excès qui l’accompagnent, mais on doit en même temps en revendiquer la direction à travers une discipline politique et en prévoir l’issue".
Bien sûr, le terrorisme spontané contient le risque de désorganisation du mouvement révolutionnaire, mais Lénine, précise ce point:
Ce qui désorganise le mouvement, ce ne sont pas les actions de partisans, mais la faiblesse d’un parti incapable d’en assumer la direction. (...) Si nous sommes incapables de comprendre les circonstances historiques qui engendrent cette forme de lutte, nous sommes également incapables d’en paralyser les mauvais côtés. Mais la lutte n’en continue pas moins [car] elle est provoquée par de puissants facteurs économiques et politiques. [...] Ce que nous venons de dire de la désorganisation se rapporte aussi à la démoralisation. Ce qui démoralise, ce n’est pas la guerre de partisans, mais le caractère inorganisé, désordonné, "sans parti", des actes de partisans. (3)
Ces groupes auxquels, avec Lénine, nous faisons référence, sont à mille lieues des groupes terroristes qui mènent de nos jours ou ont mené ces dernières années leurs activités en Italie, en Grèce, en Irlande, en Amérique du Sud ou au Moyen-Orient. Ces groupes terroristes agissent en dehors du terrain de classe, ils sont l’expression de la défaite révolutionnaire et leur signification est celle de l’absence d’une conscience révolutionnaire générale de la classe.
Les révolutionnaires ne sont pas "par principe" contre des actions de terrorisme menées contre la bourgeoisie mais les groupes pratiquants la violence de classe devront se placer sous la direction politique du parti prolétarien, ils seront contrôlés par les organes dirigeants de ce parti. Ceci était la perspective de Marx et Lénine, cela reste la nôtre.
La question de la violence pendant la période révolutionnaire
Non seulement la véritable poussée révolutionnaire sera caractérisée par la violence mais quand le prolétariat aura pris le pouvoir et instauré sa dictature, commençant ainsi la construction du Socialisme, la violence révolutionnaire se poursuivra. La violence prolétarienne ne prendra pas fin avec la prise du pouvoir d’Etat. Le prolétariat doit imposer sa volonté à la bourgeoisie et à la paysannerie et il ne peut le faire qu’en utilisant les outils de l’appareil d’Etat, c’est à dire, la violence organisée de la classe dirigeante: la dictature du prolétariat.
Une fois que le prolétariat aura conquis l’Etat, l’usage révolutionnaire de la terreur sera une des tâches nécessaires de la consolidation de cette prise du pouvoir... Il est clair que nous revendiquons l’usage et la nécessité de la terreur rouge dans la révolution, non parce que nous avons un goût particulier pour celle-ci mais parce que l’expérience historique a montré - et la Commune de Paris en est un exemple éclatant - que la contre-révolution ne s’abstiendra de la violence que si le prolétariat l’y oblige.
Le prolétariat, à travers son Etat des Conseils Ouvriers, aura le "monopole" de l’usage de cette violence en créant les milices ouvrières.
Il ne faut pas se cacher que cette violence, qui devra s’exercer contre la bourgeoisie, pourra aussi être mise en œuvre à l’intérieur même du prolétariat, entre secteurs de la classe durant la révolution. La violence dans la société de classes n’est pas, et n’a jamais été, confinée à une violence exclusive entre les classes antagoniques. Les plus nombreuses guerres dans l’histoire ont opposé les classes dominantes entre elles pour la défense de leurs intérêts spécifiques. Ne citons comme exemple que les révolutions bourgeoises de 1640 et 1789 ou la guerre d’Espagne (36-39). Seuls des idéalistes peuvent prétendre que ce ne sera pas le cas en ce qui concerne le prolétariat, du fait qu’il s’agit d’une classe "universelle", comme si une telle déclaration mettait un terme aux problèmes concrets.
La violence inter-classe apparaît dans le prolétariat chaque jour dans sa lutte contre la bourgeoisie, bien que souvent sous une forme latente. Lorsqu’une grève va se déclencher, les travailleurs hésitants ou opposants subissent souvent des pressions, plus ou moins importantes, plus ou moins coercitives. Sous une forme plus aiguë, les piquets de grève représentent l’émergence d’une violence "inter-classe". En effet, le but premier des piquets de grève est de dissuader, par la force, des composantes de la classe de travailler durant la grève. Alors que les utopistes peuvent appeler la classe à renoncer à toute forme de violence inter-classe, le rôle des communistes peut être, dans certains cas, d’appeler à son extension.
Les rêveurs ont une réponse à cela. Il est vrai, vont-ils concéder, qu’aujourd’hui la classe ouvrière est divisée, cela étant dû aux mystifications développées à son égard par l’idéologie dominante de la bourgeoisie, mais dans le cadre d’une révolution, les choses seront différentes... L’histoire a montré que les exemples de violence "inter-classe" abondent en période de Révolution. La tâche des communistes, loin de se réfugier dans l’angélisme, est de développer une politique cohérente et adaptée.
Dans la révolution russe elle-même, nous avons, entre autres, l’exemple des employés de banques, en grève contre Octobre 17 et dont la réaction fut brisée par la tchéka et aussi la grève contre-révolutionnaire organisée par les mencheviks qui contrôlaient les syndicats de cheminots quand la guerre civile menaçait. Cette grève fut brisée par les bolcheviks qui appelèrent les cheminots à élire des comités chargés de diriger les chemins de fer en s’appuyant sur les ouvriers de la base; néanmoins, la violence s’avéra nécessaire envers la minorité anti-bolchevique qui résistait.
En Allemagne, en 1921, les grèves insurrectionnelles conduites par les ouvriers communistes, en mars, à Hambourg et dans le centre du pays, connurent des conflits violents entre les grévistes communistes et les non-grévistes social-démocrates. On peut regretter ces faits mais en aucune manière on ne peut affirmer qu’ils ne se reproduiront pas lors d’une future vague révolutionnaire. Les raisons en sont que la conscience de classe - y compris celle du prolétariat - n’est pas homogène et, en dépit d’une tendance indéniable à cette homogénéisation pendant la révolution, elle ne le sera jamais complètement. La conscience est le produit des expériences de la classe ouvrière sous le capitalisme. Bien que le contenu de base soit commun à l’ensemble de la classe (c’est l’exploitation) dans le monde entier, ses formes spécifiques (nationales, historiques...) ne le sont pas. Il serait naïf de penser que la possibilité de certains secteurs de la classe - en tant que secteurs et non seulement en tant qu’individus isolés - ne pourraient pas, compte-tenu de certaines circonstances, s’opposer à la révolution prolétarienne. Rejeter d’emblée l’usage de la répression, de la violence de classe contre ces secteurs, issus eux-mêmes de la classe ouvrière, c’est se lier les mains, se rendre otage de ces secteurs ou plus exactement de la bourgeoisie qui en prendra très vite le contrôle.
Nous sommes ainsi contraints de rejeter toute naïveté idéaliste qui consisterait à affirmer que les rapports de force et de violence au sein du mouvement ouvrier doivent être à proscrire et que tout conflit ou désaccord ne peut se régler que dans le cadre du dialogue.
Révolution et droit de grève
Une autre question doit être abordée, il s’agit de celle du droit de grève pendant le processus révolutionnaire.
Dans la période de transition, bien que la classe soit impliquée dans la planification et la construction du Socialisme, certaines décisions doivent être prises par l’organe central, ce qui pose le problème d’éventuelles déformations à caractère bureaucratique dans l’appareil d’Etat. Dans ce contexte, l’application du "droit de grève" pourrait se présenter comme un correctif envers des tendances bureaucratiques par rapport à certains groupes qui se sentiraient mis à l’écart, ignorés ou qui discerneraient des tendances carriéristes ou bureaucratiques...
Cependant, dans un contexte de guerre civile, l’application du droit de grève se pose différemment; dans ce cas, le droit de grève ne peut se poser de manière absolue, surtout s’il signifie droit de sabotage du processus révolutionnaire. Dans un contexte de guerre civile, l’obligation du travail pour tous sera une nécessité. Toute grève qui surgira devra faire l’objet de négociations et devra être traitée en fonction des intérêts généraux de la classe.
Il conviendra de distinguer au plus vite entre des grèves "légitimes" dont les revendications peuvent prises en compte, des actions qui objectivement, bien que de façon involontaire, non délibérée, entraîneraient le risque de donner des atouts à l’ennemi de classe et des actions ouvertement contre-révolutionnaires dont le but vise à saper la lutte révolutionnaire de classe.
Dans une période de guerre civile, le prolétariat ne reconnaîtra donc pas de manière abstraite ou systématique le droit de grève.
Ceci dit, l’existence de grèves, à la fois nombreuses et importantes, serait une indication de la défaite imminente de la révolution, contre laquelle aucune force ne pourrait rien. Un prolétariat profondément divisé ne pourra jamais combattre avec succès sa bourgeoisie et instaurer sa dictature. Alors que la résistance de couches ou secteurs isolés pourrait être éradiquée, une opposition prolétarienne massive ne pourrait être vaincue par la violence. Cela serait d’ailleurs le signe que la révolution est déjà sur la voie de la défaite. Quand la classe majoritairement entre en conflit avec son Etat, cela signifie que cet Etat a cessé d’être révolutionnaire; dans ce cas, rien ne peut plus empêcher le triomphe de la contre-révolution.
La question de la violence à l’intérieur de la classe est une question tactique, pas une question de principe; chaque situation de conflit dans la classe doit être évaluée justement et le meilleur moyen doit être choisi pour la résoudre, que ce soit par la violence ou autre. Tout exercice de la violence doit toujours être à minima et utilisé en dernier recours. Parallèlement un tel exercice de la violence doit toujours être public et sa justification politique doit être portée à la connaissance de l’ensemble de la classe et ne jamais faire l’objet de tractations secrètes. La violence doit être exercée par des groupes armés contrôlés par les organes représentatifs du prolétariat: les Soviets.
Les communistes restent confiants dans le fait que la violence à l’intérieur de la classe ouvrière restera un facteur peu important, mais, réalistes, ils doivent reconnaître que ce type de violence peut exister. La question de la violence à l’intérieur de la classe est un point parmi la question plus générale des rapports qu’entretiendra le parti révolutionnaire avec le prolétariat et les conseils ouvriers dans la période de transition.
Bilan et Perspectives #05
Novembre 2005
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