Laissons la Gauche sur le terrain de la Droite!

Remarques sur le prétendu "Parti de gauche" et autres catastrophes.

Nous reproduisons ci-dessous un texte produit par le Gruppe Internationaler SozialistInnen sur le regroupement entre le PDS (Partei des Demokratischen Sozialismus, héritier du stalinisme est-allemand) et les nouveaux sociaux-démocrates de la WASG (Wahlalternative Arbeit und soziale Gerechtigkeit - le Parti du travail et de la justice sociale) lors des élections allemandes.

L’appel trompeur de la responsabilité politique n’arrive pas de nulle part; il correspond à - et tire son origine de - la logique de la pensée bourgeoise, pour laquelle il demeure inconcevable qu’un individu ne puisse activement s’occuper de politique sans souhaiter "gouverner".

Johannes Agnoli

L’option d’un nouveau "Parti de gauche" a créé beaucoup d’effervescence. Dans les médias, on est en train d’exagérer l’importance du nouveau projet, qui est quelquefois présenté comme le "nouveau pouvoir de la gauche" (Der Spiegel, no. 34, 22 août 2005). Les sondages d’opinion estiment les intentions de vote pour le Parti de gauche, tantôt en hausse tantôt en baisse, tandis que les partis établis s’efforcent de discréditer leur compétiteur mal-aimé en l’accusant d’être "populiste" ou d’être l’expression du vote frustré. L’écrasante majorité de la Gauche est évidemment surexcitée par l’alliance de nécessité entre le PDS post-stalinien et le WASG néo-social-démocrate : on en parle comme "une opportunité historique", "un nouveau défi" et même du "rêve d’une gauche unie". Le phénomène du Parti de gauche doit son émergence, en dernière analyse, à deux développements politiques : premièrement, la très grande insatisfaction et la colère causée par la démolition des mesures de sécurité sociale et les illusions en baisse envers "l’économie de marché"; et deuxièmement, les nombreuses défaites des luttes sociales contre Hartz IV et l’Agenda 2010 (1). Ce parti n’est en rien le produit d’un changement substantiel de société, vers la gauche, sur fond de luttes de classe exacerbées, mais plutôt des faiblesses de l’étape initiale actuelle du mouvement. Même s’il y a beaucoup d’indignation face aux plans de coupures de nos dirigeants et un climat plus ouvert aux idées socialistes de gauche, le paysage politique actuel est tout autant qu’auparavant déterminé par l’apathie politique, l’isolement et un vague espoir en des solutions provenant des institutions présentes. Dans ce contexte, le projet du "Parti de gauche" est surtout l’expression d’une nouvelle forme de la gauche bourgeoise, qui s’est donnée comme objectif la refondation de la social-démocratie, vu la crise du SPD et sa capacité réduite de récupération.

Nouveaux sociaux-démocrates - vieux sociaux-démocrates

Le cadre d’orientation politique du soi-disant "Parti de gauche" est un programme bourgeois inspiré d’une vision keynésienne du monde. Évidemment, on n’y trouvera aucune revendication qui pourrait transcender la réalisation du capital. Plutôt, l’accent est mis sur le re-mâchage des vieilles banalités sociales-démocrates : le renforcement de la demande interne, davantage de programmes d’investissement d’État, l’augmentation des taux d’imposition, une distribution plus "juste" de la richesse sociale, etc. Le cœur de l’argument est une critique très vague et abstraite du prétendu "néo-libéralisme", auquel est ajoutée la revendication d’État social "sécurisé" et/ou "développé autrement pour faire face aux conditions de 21ème siècle" (Manifeste électoral du WASG). Avec leur transfiguration de l’État social en un supposé répartiteur neutre entre les classes qui - par le biais de quelques moyens de pression et quelques tours de passe-passe parlementaires - pourrait devenir une force de justice, le "Parti de gauche" s’oriente vers la participation, et la conception d’une administration charitable du capitalisme. Sa stratégie vise à suivre le SPD en tant que "partenaire dans l’État social" ou "de montrer en pratique qu’un État peut aussi être dirigé par la gauche" (Gregor Gysi). Où cela mène-t-il en pratique. On peut en faire le constat à Meclkenburg, Vorpommern et Berlin, où le "PDS de gauche" est responsable de coupures dans les programmes sociaux, d’accords salariaux imposés, et de terreur d’État raciste.

Un Oskar est un Oskar de trop!

Avec sa sortie médiatiquement perspicace du SPD et l’annonce de sa candidature pour une liste commune PDS-WASG, il n’y a aucun doute qu’Oskar Lafontaine a accéléré la formation d’une alliance électorale de "gauche". Alors même que le WASG était en voie de formation, Lafontaine était souvent considéré comme un "atout" et une figure de proue possible pour un nouveau projet à gauche, ce qui en dit long sur certains intellectuels de "gauche". Oskar Lafontaine, un charlatan porteur des espoirs de la gauche, qui, il n’y a pas si longtemps, a ébauché la demande d’un raccourcissement du temps de travail sans augmentation de salaire compensatoire et a proposé d’éroder les prestations de chômage en fonction d’enquêtes de revenus - a inventé l’idée fondamentale des réformes Hartz. En 1998, il a directement menacé les sans-emploi dans les Bildzeitung: "Une offre d’emploi doit être acceptée. Sinon, les bénéfices seront coupés". En tant que président du SPD, Lafontaine a mis de l’avant, en la durcissant de manière significative, la loi sur les réfugiés, et il s’est illustré dans les déportations d’allemands ethniques aussi bien que des Sintis et des Romas. Il a soutenu la proposition de Schily de mettre en place des "camps d’internement" pour les réfugiés en Afrique du Nord et il soutint les menaces de torture dans le cas de Jakob Von Metzler (2). À la lumière de tout cela, ses violentes diatribes contre les prétendus "travailleurs étrangers" qui volent "les emplois des chefs de familles allemandes" ne doivent pas nous surprendre. La seule nouveauté, c’est que maintenant Lafontaine fait des remarques racistes sans sa carte de membre du SPD. Pour le social-démocrate Lafontaine, le concept de "justice sociale" a été, et est encore constamment teinté de nationalisme. Avec ses références à la fonction de l’État garant de l’ordre, à l’ "économie sociale de marché", ainsi que par sa dénonciation du "néo-libéralisme anglo-saxon", Lafontaine soutient un programme national social réactionnaire, et trouvera certainement plusieurs admirateurs et imitateurs dans la "gauche".

Une couverture de gauche pour des plans capitalistes d’État

À certaines occasions, le nationalisme de Lafontaine et les éléments du programme du Parti de gauche sont considérés et commentés de façon critique par des segments de la gauche; mais en général, les espoirs portés sur le Parti de gauche, en tant que véhicule pour gagner de l’influence et faire des gains sur le paysage politique, dominent. Plusieurs groupes -trotskistes en particulier - ont tellement abusé du rôle de "soutien critique", que c’est presque devenu leur seconde nature et sont très occupés à donner au nouveau projet sa nécessaire façade de gauche. Un mouvement de va-et-vient très coloré, autour du "Parti de gauche" a commencé, avec des perspectives atroces comme "un parti d’ouvriers combatifs" (SAV, Sozialistische Alternative), "l’unité anti néo-libérale" (Linksruck - Vers la gauche), la nécessité de "faire un pas en direction des masses" (Arbeitermacht - Pouvoir Ouvrier) et/ou d’un "compromis historique" entre la "gauche réformiste et anti-capitaliste" (Sozialistische Zeitung, juillet 2005). Nous sommes plutôt indifférents sur la façon dont de tels groupes arrivent à leur paix intérieure. Néanmoins, il doit être clair qu’un travail à l’intérieur du cadre du "Parti de gauche" ne peut seulement se faire qu’au prix d’une conformité et d’une neutralisation considérables. De plus, il ne peut être assumé que ce parti contribuera à "renforcer les positions de gauche dans l’ensemble, et améliorer le cadre de notre travail", comme une lettre ouverte des groupes berlinois ALB (Antifaschistische Linke Berlin - Gauche anti-fasciste de Berlin) et FelS (Für eine linke Strömung - Pour un courant de gauche) aux PDS et au WASG le prétend. Les signataires de cette adresse fidèle - qui se sont très présomptueusement fait valoir comme ceux et celles qui "dans plusieurs endroits et villes font de la politique basiste visible et maintiennent autant les projets que les structures" - se ridiculisent lorsqu’ils acclament la "demande pour l’introduction d’un revenu de base adéquat [...] comme la réponse correcte à la politique néo-libérale présente", et lorsqu’ils invitent ensuite, pour le bien de la paix sur la gauche, la nouvelle social-démocratie à "s’ériger fermement contre les incitateurs de la haine raciste et nationaliste". Néanmoins, la lettre d’accompagnement annexée admettait avec une honnêteté surprenante que le "PDS/WASG est seulement intéressé à se lier à la gauche extraparlementaire en tant que bassin d’électeurs". Ce que cache ce jeu de clown, ce sont les efforts pour obtenir des boulots dans le mouvement ou du moins des entrées, en se couvrant des apparats de la "gauche radicale". L’infâme numéro d’équilibriste entre le parlement et le mouvement, qui nous est servi ici comme la nouvelle "option stratégique", n’est qu’une nouvelle couleuvre à avaler pour la gauche du mouvement.

Piège et pauvreté du parlementarisme

Cela a certainement quelque chose à voir avec la naïveté chronique et la stupidité de plusieurs gauchistes, mais encore plus avec le pouvoir récupérateur structurel du parlementarisme dans le capitalisme moderne. Le parlement a depuis longtemps perdu son rôle créé par les révolutions bourgeoises d’organe central de médiation entre les classes. Tandis que les décisions réelles sont prises dans les comités discrets de l’appareil d’État, le parlementarisme a pour nos dirigeants la fonction principale de couvrir idéologiquement les actions de leurs gouvernements dans des draps démocratiques. Due à la fixation limitée au cadre de l’État/Nation pour agir, toute orientation parlementaire mène tôt ou tard au désir de co-administrer les nécessités du capitalisme en concordance avec "l’opinion publique". Les mariols qui aiment répéter inlassablement les écrits de Lénine sur le "radicalisme gauchiste" et sur "l’utilisation tactique du parlement", doivent comprendre que pour nous, et d’aucune façon, le résultat de cette "tactique" (la social démocratisation des partis communistes et leur sujétion aux exigences de la politique étrangère du capitalisme d’État moscovite) ne vaut la peine d’être répété. Pour cette raison, nous rejetons catégoriquement toute participation au spectacle parlementaire et tout appel à voter et faire campagne électoralement. Cela ne peut mener qu’à encourager ou même consolider les illusions dans la "démocratie bourgeoise". En tant que variante classique de la représentation politique, le parlementarisme est opposé à la seule voie possible pour changer la société : l’action autonome de la classe. Le nouveau Parti n’est rien d’autre qu’une variation épicée d’un parti bourgeois de gauche respectant la légalité bourgeoise, dont la fonction originelle fut d’utiliser et de dévoyer les mouvements extraparlementaires. Il n’est pas un point de départ mais plutôt un autre obstacle au développement de la résistance autonome et de la solidarité par le bas. L’ "Unité de gauche", qui est célébrée et invoquée dans le contexte du "Parti de gauche", n’est pas l’unité d’action sur la base d’une politique de classe autonome, mais se fonde plutôt sur les institutions de l’État bourgeois. La rupture sans compromis avec la Gauche étatique et la construction d’une alternative communiste se démontre dans ce contexte, autant comme une question de principe que d’honnêteté intellectuelle.

Pour une société sans classe et sans État!

Gruppe Internationaler SozialistInnen, Septembre 2005

(1) Les plans de la bourgeoisie allemande pour restructurer (i.e., abolir) la sécurité sociale.

(2) Jakob Von Metzler était le fils âgé de 11 ans d’un banquier qui a été kidnappé (et tué) par Magnus Gäfen dans le but de demander une rançon. Il fut proposé de torturer Gäfen pour lui faire révéler où se trouvait Metzler, alors qu’on croyait encore que ce dernier était en vie.