Division, corporatisme et sabotage mènent à un échec historique

Tract diffusé lors d’assemblées de travailleurs et de travailleuses à Montréal, à Laval, sur la Rive Sud ainsi que dans un certain nombre d’autres endroits publics

L’échec total de la "lutte" en vue du renouvellement de la convention collective du demi million de travailleurs et de travailleuses du secteur public au Québec a été riche en enseignements tellement elle a été pauvre en résultats.

Soyons francs: encadrés par des syndicats qui ont réussis à limiter les moyens de pression à leur plus simple expression (actions symboliques et contre-productives (1), grèves géographiquement dispersées et éparpillées dans le temps), les travailleurs et les travailleuses ont subi la défaite sans même s’être véritablement battus.

Dans les 40 dernières années de négociations de ce genre, cette dernière ronde a sans doute été la plus démobilisatrice. Mais ces enseignements sont clairs, si on veut se donner la peine d’en faire le bilan: plus on se divise, plus on suit aveuglément nos syndicats, moins on se sert de l’outil fondamental de la grève et plus on recule, plus on s’appauvrit et moins on obtient de résultats.

Pourtant, il y a deux ans, six mois après l’échéance de notre dernière convention collective en juin 2003, les syndicats soufflaient le feu et avaient déclarés la guerre au gouvernement Charest. Plusieurs bureaucrates parlaient ouvertement de la perspective d’une grève générale sociale pour le faire reculer. Tout cela puisque, dès son élection, les libéraux continuaient le sale travail des péquistes défaits en promulguant diverses législations réactionnaires, notamment des amendements à la loi 45, favorisant la généralisation de la sous-traitance et parce qu’ils annonçaient déjà que le renouvellement des contrats du secteur public allait être rude. Pour assurer sa réussite, le gouvernement vota aussi sa loi 30, qui par la fusion forcée d’unités syndicales dans le secteur de la santé et des services sociaux, allait causé des campagnes de maraudage sans précédent dans l’histoire des relations de travail au Québec et qui allait aussi favoriser une négociation fragmentée entre le secteur de la santé et celui de l’éducation. Cette stratégie gouvernementale allait fonctionner à merveille et causer beaucoup d’acrimonie entre les diverses entreprises syndicales. La division exacerbée entre les syndicats, ajoutée à leur habituelle incurie et à leur intégration à l’ordre dominant allait nous mener lentement mais sûrement à la débandade.

Mais, comme dans un spectacle de lutte professionnelle où l’éventuel vainqueur est toujours désigné à l’avance, l’éventuel vaincu doit tout de même donner l’apparence d’une fiévreuse indignation et d’une juste colère. Le scénario est toujours le même et les résultats se ressemblent de plus en plus. On cogne d’abord sur la table et on fronce du sourcil. On fait de l’esbroufe, on appelle à la lutte et puis graduellement, on organise les conditions de sa propre défaite. C’est exactement ce qu’ont vécu des milliers de nos camarades du secteur privé et du parapublic ces dernières années. On n’a qu’à penser aux grèves perdues de Vidéotron, de la Noranda, de la SAQ ou de la défaite toute récente au Mont Tremblant. Ainsi, on est passé de la spectaculaire journée de perturbations économiques et sociales du 11 décembre 2003 et la menace d’une grève générale, à la manifestation monstre du 1er mai 2004 avec encore la menace d’une grève générale, puis à la liquidation ultime de cette perspective à l’automne 2004, par le succédané d’une grève "sociale" de 24 heures (2), à exercer dans un éventuel front commun qui ne s’est évidemment jamais concrétisé. Si les syndicats avaient cru un instant en leurs propres mensonges, ils auraient pu profiter des deux occasions où le "momentum" était très favorable au déclenchement d’une lutte sérieuse: soit au printemps 2004, lorsque le gouvernement semblait sérieusement ébranlé, ou encore au printemps 2005, lorsque la grève de cinq semaines de 200 000 jeunes contre les coupures dans l’éducation bénéficiait d’un large appui populaire. La grève générale et sociale contre les mesures de crise mise de l’avant par l’État des patrons, c’est à ce moment-là qu’il fallait la lancer.

Il faut bien comprendre que les coups de poing sur la table cachent souvent les jeux de genoux sous la nappe. La pratique de la division et du corporatisme succéda aux beaux discours sur l’unité et la solidarité. Dès le début de 2005, les espoirs d’un bon nombre de syndicalistes de combat, que puissent se constituer un front commun intersyndical, s’évanouiront avec la constitution d’un bloc de négociation distinct CSQ-SFPQ-SPGQ. Leur "stratégie" était de régler à tout prix avant juin, en profitant de la campagne de maraudage, alors que la FTQ et la CSN étaient encore à s’arracher les plus gros morceaux de cotisations dans la santé et les services sociaux (3), et ne pourraient commencer à négocier qu’à l’automne. À plusieurs reprises d’ailleurs, le président et lumineux pantin de la CSQ, Réjean Parent annonça qu’une entente sur le "normatif" était imminente. Or, qu’elles étaient les "offres" gouvernementales en matière de conditions de travail qui semblaient si acceptables à notre "dirigeant"? En date du début octobre, elles étaient: pas de baisse des ratios en ce qui concerne les élèves en difficulté, aucun ratio minimal dans le secteur de l’éducation aux adultes (en fait, notre syndicat n’en demandait même pas), attaque à la permanence des postes dans plusieurs secteurs, etc. Ces revendications patronales, présentées comme des "offres" auront leurs équivalents à toutes les autres tables sectorielles et concerneront l’ensemble des syndicats en cause.

Pourtant, en aucun cas, les syndicats, quels qu’ils soient, ne contesteront la logique complètement irrationnelle d’une négociation fragmentée, où on impose l’acceptation de reculs dans les conditions de travail comme condition de pouvoir aborder les questions salariales, que l’on savait déjà déterminées par un cadre budgétaire coulé dans le ciment. À travers tout cet exercice, les syndicats auront joué un genre de colin-maillard de mauvais goût à nos dépens: on bande les yeux des membres tandis qu’au-delà des gesticulations et les éclats de voix, on les mène sur une voie de garage...

Le résultat était tout à fait prévisible et, suite à la désorganisation syndicale de notre lutte, inévitable de fait. Le 15 décembre dernier, le gouvernement promulguait la loi 142 qui décrète à près de 400 000 (4) travailleurs et de travailleuses des salaires bien en déça des taux d’inflation prévus jusqu’en mars 2010. Pour les deux seules premières années de l’exercice, cela représente une perte minimum de 5% de notre pouvoir d’achat. Qu’en sera-t-il dans quatre ans, avec la hausse constante des frais énergétiques et leur impact sur le coût des produits de premières nécessités?! (5) Le ballon de Parent et des autres bureaucrates est maintenant dessouflé. Qu’est-ce qu’il nous reste à faire?

  1. Il faut refuser d’entériner une signature qui légitime notre appauvrissement et qui accroît notre fardeau de travail! Il faut refuser d’entériner le recul de la qualité des services éducatifs que nous donnons!
  2. Il faut s’organiser! Plus que jamais, c’est à la base que les solutions se trouvent! Nous faisons appel à tous nos collègues d’initier des discussions, de former des comités de lutte en vue d’étudier et de discuter d’un rétablissement de nos conditions de travail et d’existence. Pas question de reculer! Pas question de perdre plus de 10% de nos revenus parce qu’un politicien a décidé que c’était la loi... De plus, les enseignants et les enseignantes réunies ne doivent plus accepter les termes d’une discussion abrégée, selon les termes déterminés par les professionnels de la "démocratie", engagés par notre syndicat. Il est plus que temps de se parler en plénière, en assemblée générale véritable, pour faire un vrai bilan de ce qui vient de nous être imposé.

Les termes étatiques et capitalistes qui viennent de nous être dictés, sont bien sûr dans la logique profiteuse et pourrie qui prédomine partout. Mais, si nous les laissons s’implanter sans résistance, c’est beaucoup plus que 10% de nos moyens d’existence que nous perdrons cette fois ci. Ne nous trompons pas! La ponction subie, n’est pas la dernière... Et nous perdrons aussi la qualité du service que nous tenons à cœur. Par la même logique capitaliste et sa folle dynamique destructrice: la production pour le profit individuel, plutôt que pour l’utilité sociale, nous perdrons graduellement tout ce que nous respectons et tout ce qui nous permet d’exister. Il est grandement temps de s’affirmer! Il est plus que temps de s’organiser! Il est venu le temps de refuser les habituels discours drapés de solidarité. Comités de lutte et de grève! Assemblées générales véritables! Délégations envers les autres secteurs exploités! Fini le corporatisme syndical!!! Ni avocats, ni bureaucrates! Bilan, entraide, lutte et solidarité!!!

Le Groupe Internationaliste Ouvrier, a/s [realjodoin@yahoo.fr]

(1) Dans notre secteur, cela pouvait être de s’habiller en noir, de faire du boudin au directeur, de compliquer le travail de nos camarades secrétaires ou encore de boycotter les activités culturelles... ouais, de quoi faire trembler l’État!

(2) Tout le monde sait qu’une bonne tempête de neige a plus d’impact socio-économique qu’une grève de 24 heures au Québec. C’est tout dire!

(3) La CSQ perdra beaucoup de plumes dans cet affrontement pour le contrôle de la vente de notre force de travail.

(4) 100 000, comme nous, ont vu leurs syndicats pousser l’odieux jusqu’à entériner le décret et ses conséquences infâmes, en y apposant leurs signatures.

(5) Il est à noter que ce décret fait que la rémunération des employé-es du secteur public est maintenant de 11% inférieure à celle versée pour des emplois comparables dans le secteur privé. On peut donc imaginer les pressions à la baisse exercées sur les luttes à venir dans ce secteur. Cette pression à la baisse est au cœur des objectifs du gouvernement Charest comme celui de Landry qui l’a précédé et fait partie des mesures exercées aujourd’hui par tous les États pour faire assumer aux travailleurs et aux travailleuses les effets croissants de la crise d’accumulation du capital.