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Accueil ›L'Irak, un but de conquête, parmi d'autres, mais non des moindres, de l'impérialisme américain
La guerre entreprise par les États-Unis contre l’Irak se situe dans la continuité de la guerre du Golfe menée en 89, de celle du Kosovo et, bien sûr, de celle d’Afghanistan. Les raisons qui ont motivé ces guerres, au-delà de leurs caractéristiques "locales", tiennent au fait que pour les USA, l’accomplissement de leur projet d’hégémonie mondiale demeure vital.
Un des objectifs de ces guerres est d’installer des troupes permanentes au cœur de l’Europe, dans les Républiques d’Asie centrale, à proximité des puissances rivales dont le rôle international risque de prendre de l’ampleur (Chine, Russie), en Irak, au cœur de la région de la planète la plus riche en pétrole, aux points stratégiques des axes de transport des produits énergétiques.
Boukharine avait, en 1915-16, développé dans Économie mondiale et Capitalisme la thèse qui explique la cause de la multiplication des conflits armés dans le monde, thèse que Lénine prendra en compte dans la rédaction de l’impérialisme, stade suprême du capitalisme. N. Boukharine mettra alors en valeur le fait que deux processus, autonomes jusqu’au début du Vingtième siècle - les rivalités politiques des États et la concurrence économique entre capitaux - tendent à fusionner de plus en plus, ce qui débouche inévitablement sur une période, à long terme, de guerres et de conflits impérialistes.
Parmi les facteurs de la guerre en Irak menée par les USA, celui qui reste essentiel, n’en déplaise à certains, est le pétrole. Ce facteur se décline en trois points:
- Contrôle, par les USA, des réserves énergétiques de cette région, pour subvenir à leurs propres besoins, si ce n’est dans l’immédiat, éventuellement à l’avenir.
- Contrôle, par ces mêmes USA de cet approvisionnement comme moyen de pression par rapport à leurs propres rivaux.
- Contrôle de la rente pétrolière en tant que telle pour soutenir, autant que ce peut, leur économie en déliquescence.
Le Moyen-Orient, avec ses ressources énergétiques considérables, est une région vitale pour le contrôle de l’économie mondiale. Les pays du Golfe persique représentent plus de 30% de la production mondiale. Les USA n’assurent plus désormais que 10% de cette production alors qu’ils en consomment 25%. Ils doivent importer 60% de leurs besoins. En 2002, ils ont acheté plus de la moitié du pétrole irakien et, pour faire face en décembre 2002 et janvier 2003, à la pénurie de pétrole en provenance du Venezuela, les importations de pétrole en provenance de l’Irak ont quasiment doublé.
Si un quart des importations américaines proviennent des pays du Golfe, ceux-ci couvrent la moitié des importations de l’Europe et les trois-quarts de celles du Japon. On voit ici en quoi il est vital pour les USA de pouvoir maîtriser cette production.
Si l’on se place du point de vue des réserves estimées, celles de l’ensemble des pays du Golfe représentent 64% des réserves de la planète. Toujours sur le plan des évaluations, on estime que d’ici 2020, la consommation pétrolière des USA pourrait augmenter d’environ 40%! Pour l’essentiel, la charge de l’augmentation de la production de pétrole en direction des USA et des autres pays (développés, en particulier) incombera aux pays du Moyen-Orient.
La maîtrise du pétrole irakien et, avant tout, de ses débouchés commerciaux, constitue une des raisons essentielles de l’intervention militaire en Irak par les États-Unis. Par ailleurs lieu géostratégique vital - l’Irak a des frontières communes avec la Turquie, le Golfe persique et le proche orient islamique - l’occupation de ce pays, dans le contexte actuel d’aggravation des contradictions inter-impérialistes au niveau mondial, représente une avancée pour les États-Unis.
L’Après Saddam Hussein selon les USA
Après avoir défait le régime de Saddam Hussein, il reste maintenant aux États-Unis à mettre en place, à terme, un gouvernement irakien stable qui pourra garantir les intérêts américains. Comme on le voit depuis que Bush a annoncé la fin de la guerre en Irak, la tâche n’est pas facile. Dans un premier temps, a été mise en place une administration civile dont la direction a été confiée au général en retraite Jay Garner (PDG d’une société d’équipement militaire spécialisée en défense aérienne) lui-même très vite "coiffé" d’un superviseur, Paul Bremer. Une "Autorité provisoire irakienne" composée de fantoches est supposée faire la transition vers un gouvernement irakien, mais du fait de sa non-représentativité, cette autorité a été d’emblée contestée, à tel point que les militaires américains doivent composer avec le clergé dans les zones chiites.
L’ORHA (Bureau pour la Reconstruction et l’Aide Humanitaire) a très rapidement indiqué quelles étaient les grandes lignes du programme de reconstruction. Un grand nombre de sociétés américaines, toutes proches de l’administration Bush se sont vues confiées des contrats en Irak; citons, entre autres:
- Kellogg, Brown and Root - filiale d’Halliburton (dont le vice-président Dick Cheney a été PDG de 1995 à 2000) - a remporté un marché de plus de 1,7 milliards de dollars pour éteindre les puits de pétrole et approvisionner les troupes américaines.
- MCI Worldcom (contrat pour la construction du réseau de téléphone sans fil).
- Fluor (ingénierie, approvisionnement, maintenance)
- Abt (prestations de santé, matériel médical, formation de personnel de santé)
- Etc ...
Les trusts pétroliers US étaient peu présents jusqu’alors en Irak. Une vingtaine de compagnies pétrolières avaient établi, depuis 1998, des contacts en vue d’exploiter les immenses ressources du pays. La Russie, la France, la Chine, l’Italie étant les plus importantes et les plus engagées. Toutes convoitaient les gisements "prouvés", soit environ 112 milliards de baril de brut "dont 35 immédiatement exploitables", selon des experts. Total Fina, Elf et Loukoi ont pris ces dernières années des options sur un quart de cette production. Les deux principales "Major" américaines, Exxon Mobil et Chevron Texaco, déjà bien installées au Koweït n’ont plus désormais qu’à passer la frontière pour s’approprier la plus grosse part du gâteau.
La rente pétrolière
Autre facteur, à l’origine de l’intervention US en Irak, celui de la rente pétrolière.
Pour comprendre ce que représente de déterminant pour le fonctionnement de l’économie américaine la question de la rente pétrolière, il faut se souvenir que l’année 1971 marque la fin de la convertibilité du dollar en or et que cette même année, suite à un accord avec l’OPEP, tout le pétrole est désormais échangé contre des dollars. Le dollar est aujourd’hui la seule monnaie dont l’utilisation dans le commerce mondial (la moitié des échanges est facturée en devise américaine) dépasse largement le poids des exportations américaines dans le monde (15,6%).
Le dollar est la première devise en circulation. En 2001, 90,4% des transactions impliquent le dollar comme une des deux monnaies de l’échange. De ce fait, certains pays ont même remplacé leur monnaie nationale par le dollar (Panama, Salvador, Équateur...). Les banques centrales réalisent la très grande majorité de leurs transactions sur les marchés des changes en dollars. La position centrale des USA leur permet de disposer du privilège unique de vivre à crédit ouvert sur la planète. Le déficit budgétaire américain est ainsi financé par l’émission de bons du Trésor relevant des banques centrales des États excédentaires. Le dollar étant la seule devise acceptée pour le règlement des matières énergétiques (entre autres), tous les États doivent accumuler cette devise pour acheter le pétrole et le gaz qui leur sont indispensables. Ces dollars accumulés vont aussi servir à acheter d’autres produits... Les dollars, mis sur le marché, vont ainsi circuler toujours et toujours sans qu’on demande à leur émetteur, les USA, de les rembourser à un moment donné par un autre équivalent (or, monnaie...).
Cette hégémonie du dollar tient donc ainsi au fait que cette devise est la seule agréée pour le commerce du pétrole. La naissance de l’euro s’est avérée comme un grain de sable dans cette belle machinerie qui date de 1971. Bien sûr, il est difficile pour une monnaie de gagner une influence significative si elle ne s’appuie pas sur une force politique, sur un gouvernement qui la porte. Or, l’Europe n’a pas de gouvernement, les dirigeants de la zone euro ne semblent pas prêts à avancer rapidement dans la voie de l’union politique... De plus, aussi longtemps que les États devront thésauriser des dollars pour acheter du pétrole, l’euro ne pourra pas s’imposer de manière significative.
Mais, en 1999, l’Irak va contester et remettre en cause les règles du jeu jusqu’à présent établies en décidant d’utiliser l’euro comme monnaie de paiement des produits pétroliers. Deux ans plus tard, l’Iran, à son tour, commence à envisager la possibilité du règlement de son pétrole en euros ainsi que le Venezuela, quatrième producteur de pétrole, qui, non content de cela, a passé un accord avec Cuba. Le 9 octobre dernier, le président russe a fait miroiter un passage de la Russie du dollar à l’euro pour ses ventes de pétrole. Deuxième exportateur de pétrole, la Russie pourrait de cette façon apporter un soutien important à la zone euro (plus de la moitié des exportations russes de brut se fait vers l’Europe).
Un volume, même faible, du commerce de pétrole se réalisant en euros aurait deux conséquences immédiates et douloureuses pour les USA.
- Cela entraînerait un retour aux États-Unis d’une masse de dollars issus du tirage, à grande échelle, de la "planche à billets", dollars que les banques n’ont pas de quoi couvrir et dont la conséquence serait un effondrement de cette monnaie.
- Cela dynamiserait l’euro qui deviendrait alors nettement plus attractif auprès des membres de l’Union européenne, et qui par effet de "boule de neige" amènerait les plus réservés de ceux-ci à rejoindre la zone euro. Un renforcement de la crédibilité de la zone euro entraînerait une reconnaissance de l’euro comme valeur d’échange par un plus grand nombre de pays producteurs de pétrole.
Si les enjeux économiques liés au pétrole (contrôle du pétrole du MO pour leur propre production, contrôle de ce même pétrole comme moyen de pression sur les grandes puissances économiques concurrentes, défense du monopole de la rente pétrolière) expliquent largement la volonté d’intervention des USA en Irak, cette volonté est liée, plus globalement, à la nécessité, pour la plus grande puissance impérialiste, d’établir son contrôle sur le plus possible de points vitaux pour elle de la planète. Ces secteurs, souvent inextricablement liés, sont ceux de l’économie, du militaire, de la stratégie, de la géopolitique...
Le quadrillage du monde par l’impérialisme US
Depuis cinquante ans les USA sont intervenus dans de nombreux conflits de par le monde et, le plus souvent y ont laissé des troupes permanentes. La crise économique et la concurrence accrue entre grandes puissances accélère cette tendance à un quadrillage militaire du globe (d’après le Pentagone lui-même, les États-Unis ont une présence militaire importante dans 132 des 190 États membres des Nations Unies). Ce déploiement gigantesque a coûté, l’an dernier, aux contribuables américain 300 milliards de dollars, sans compter donc l’ardoise irakienne qui va s’ajouter cette année...
En Europe, 98000 soldats américains sont présents. La récente guerre des Balkans a permis l’implantation de 8000 GI en Bosnie, au Kosovo, en Hongrie, en Macédoine...
18000 militaires stationnent au Japon, sans compter la Septième Flotte (20000 marines). En Corée du Sud, près de 30000 soldats surveillent la frontière avec la Corée du Nord. L’ensemble du Pacifique est parsemé de bases navales et aériennes.
En Afghanistan, on note la présence de 7500 soldats américains. Des unités ont pris place en Ouzbékistan, au Tadjikistan et au Kirghizstan, anciennes Républiques soviétiques.
Plus de 2200 militaires sont basés à Guantanamo à Cuba.
Depuis la première guerre du Golfe en 1991, menée par les alliés sous direction US, la présence des troupes de ce pays s’est renforcée dans la région. L’Arabie Saoudite et le Koweït hébergent le plus gros de ces troupes, mais il ne faut pas oublier que les ports de Bahreïn, d’Oman, d’Égypte sont des escales régulières des bâtiments de l’US Navy. Ajoutons à cela, bien sûr, la Cinquième Flotte qui patrouille dans le Golfe.
La Flotte américaine est, par ailleurs, bien présente en Atlantique.
Sous prétexte de guerre contre la drogue, les troupes américaines interviennent en Amérique du Sud.
Dans le cadre de la guerre contre le terrorisme, les troupes US ont pris pied aux Philippines, là aussi pour, soi-disant, appuyer l’armée locale dans le combat qu’elle livre aux groupes d’Abu Sayal, groupe de bandits de grands chemins, composé de quelques dizaines d’hommes!
Cet exemple d’intervention des États-Unis est intéressant car instructif en ce qui concerne les tenants et aboutissants de la démarche actuelle de ce pays vis à vis de la défense de ses intérêts.
Les USA étaient, il y a plus de dix ans, fortement implantés aux Philippines où ils possédaient d’importantes bases navales. Ces bases furent en partie détruites par une éruption volcanique puis leur fermeture fut décidée par l’État philippin. Mais les Philippines occupent une situation géo-stratégique cruciale, point charnière entre la mer de Chine et les océans indien et pacifique. Avec la Chine au Nord, l’océan Indien à l’Ouest et le Pacifique à l’Est, l’archipel philippin est situé au point nodal d’une zone de communications d’importance internationale où passent les lignes de transport maritime du Moyen-Orient à l’Extrême Orient (Japon, Corée, Chine, Taiwan). Le contrôle de cet axe d’approvisionnement pétrolier est un enjeu d’importance. Voisin d’une Indonésie, pays musulman, aux richesses considérables mais au gouvernement pas toujours fiable pour les USA, le retour de la présence militaire américaine aux Philippines s’avérait plus que nécessaire; la guerre contre le terrorisme offre une excellente opportunité. De plus, cette présence n’est pas dénuée d’intérêts économiques, Mindanao, Sulu et Palavan possèdent des secteurs miniers (or, cuivre...), énergétique (géothermie, pétrole...) dont la réalité relativement importante a été récemment confirmée. Les ¨Philippines, comme de plus en plus de pays, deviennent des "porte-avions fixes" des USA.
Continent qui a été, jusqu’à ces dernières années, considéré comme étant, en grande partie, la chasse-gardée de la France (mais où les rivalités entre grandes puissances n’en existaient pas moins), l’Afrique devient désormais un terrain d’action pour l’impérialisme US. Dans l’optique, là encore, d’une diversification de ses approvisionnements, liée à l’importance des enjeux énergétiques actuels et futurs, les USA manifestent un intérêt certain pour le pétrole africain. Le Golfe de Guinée, par exemple, fournit déjà 10% du pétrole consommé aux USA, les prévisions pour 2015 étant estimées à 25%. Les gisements considérables, tant pétroliers que gaziers, bénéficient d’avantages majeurs: ils sont deux fois plus proches que ceux du MO (il ne faut qu’une semaine pour acheminer le brut jusqu’aux raffineries de la côte Est des USA), ils sont d’une très bonne qualité, et ils se trouvent pour les deux tiers à des dizaines de kilomètres en mer, c’est à dire très concrètement, à l’abri des conflits et facilement sécurisables par la marine américaine.
Les États-Unis investissent des fortunes, par l’intermédiaire de leurs groupes pétroliers, dans le secteur africain. Ces sommes colossales sont dirigées dans la recherche océanique, dans la construction de pipe-lines (le pétrole tchadien de Doba est exporté depuis mi-juillet à partir du terminal de Kribi au Cameroun...). La Guinée équatoriale, le Niger, l’Angola sont actuellement l’objet de toutes les convoitises de la part de l’impérialisme US.
On constate donc que les États-Unis quadrillent le monde et qu’il y a une mobilisation des ressources de cette super-puissance vers un militarisme en expansion permanente. D’ores et déjà, conséquence de la chute du régime irakien, un redéploiement du dispositif militaire américain dans le Golfe est à l’ordre du jour, l’Arabie Saoudite et la Turquie devant voir leur rôle stratégique réduit. Ce projet toutefois se heurte en Irak à des complications que n’avait pas prévues l’administration Bush.
Bilan et Perspectives #05
Novembre 2005
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