La dynastie Houthi, comme le Hamas, sont aux mains de l'impérialisme international

De nombreux analystes de différents bords politiques, sans exclure ceux de la prétendue gauche, estiment que les opérations militaires des Houthis en mer Rouge et leur attitude politique à l'égard du gouvernement officiel du Yémen, contre lequel ils se battent toujours, sont d'une part, une nécessité interne à la guerre civile qu'ils soutiennent, mais encore la confrontation acharnée contre l'Arabie Saoudite qui défend le gouvernement central, et, enfin, un exemple de lutte contre l'arrogance de l'impérialisme israélien. Ainsi, en résumé, nous arrivons à une sorte de soutien à «l’autodétermination» du peuple du Yémen du Nord, à égalité avec le soutien au prétendu anti-impérialisme djihadiste du Hamas.

Il est évident que chacun a le droit de penser comme il l'entend et que l'objet de son analyse peut avoir le plus large écho possible (pro domo), mais il est également légitime de dénoncer la fausseté de telles analyses. Leur analyse est fausse et partielle, tant sur le plan politique que factuel, en ce qui concerne la guerre civile en cours et les opérations militaires autour de l'entrée Bab-al-Mandeb de la mer Rouge. Pire encore, ils ne voient pas comment tout cela s'est transformé en un nuage toxique de guerre impérialiste, quel que soit le point de vue, et dans lequel le Hamas et les Houthis ne sont que de simples pions.

Certes, le conflit interne que les Houthis ont mené contre le gouvernement de Mansur Hadi, soutenu depuis le début (2015) par l'Arabie saoudite, a eu, et a toujours, un poids considérable pour les rebelles. Les intérêts internes et régionaux qui, comme d’habitude, sont enveloppés d’un voile de religiosité, Houthis contre wahhabites, sunnites contre chiites, sunnites contre sunnites, cachent la lutte pour le leadership dans le monde musulman. Des intérêts dont les véritables connotations, une fois le voile religieux déchiré, se révèlent tels qu'ils sont réellement et concernent des questions telles que le pétrole, le gaz et d'autres matières premières stratégiques pour l'économie mondiale, ainsi que le contrôle de leurs propres voies de commercialisation, des détroits, les ports internationaux et, enfin et surtout, sur l'usage aveugle de la force militaire ou de la pression politique en fonction de la stratégie la mieux adaptée à la situation géographique et au moment politique dans lesquels ils vivent. L'impérialisme n'a pas de frontières, sauf celles imposées par un autre impérialisme.

Le gouvernement du Yémen du Nord (Houthi) utilise la même rhétorique pour défendre le peuple palestinien contre le génocide du gouvernement Netanyahou à Gaza. Mais cela occulte les autres intérêts essentiels des Houthis, comme la lutte contre le gouvernement de Mansour Hadi, l'affrontement avec Riyad et le besoin d'une reconnaissance juridique internationale après des années de guerre civile. Même si le fait dominant est celui d'une petite guerre civile dans un pays minuscule et pauvre, aux marges géographiques et politiques du sud de la péninsule arabique, au milieu d'une crise structurelle du capitalisme mondial, elle finit par être incorporée et exploitée dans une guerre internationale beaucoup plus large, avec la présence directe ou indirecte des grandes puissances impérialistes.

Depuis leurs priorités initiales dans la résistance armée au gouvernement d'Aden soutenu par l'Arabie saoudite, les Houthis se sont retrouvés impliqués dans une lutte politique qui les a contraints à faire de la guerre l'une des pierres angulaires de leur survie économique et politique. À cette fin, ils ont recruté environ 25 000 combattants dans leurs brigades Tufan al Aqsa pour compléter leur structure militaire régulière d'Ansar Allah. Officiellement, le recrutement aurait dû avoir pour objectif d'élargir les rangs militaires pour lutter contre l'ennemi intérieur soutenu par l'Arabie saoudite et contre l'ennemi extérieur, Israël, pour libérer les territoires occupés et faire de Gaza les Thermopyles du djihadisme. L'un des plus hauts représentants des Houthis, en soutien à ce projet, le général Abd al Malik al Houthi, a demandé à tous les pays voisins ou non d'ouvrir leurs frontières pour donner la libre circulation aux combattants djihadistes, les présentant comme les véritables défenseurs de la paix pour le peuple palestinien dans les faits et non avec des paroles. En réalité, aucun de ces combattants ne s’est rendu à Gaza, aucun pays voisin, Oman en premier, n’a ouvert ses frontières, comme cela était prévisible et comme Malik al Houthi lui-même le savait bien. En fait, le véritable objectif du gouvernement de Sanaa était de mettre en place une structure militaire pour soutenir sa politique nationale non reconnue au niveau juridique international. En d’autres termes, intimider Riyad ou, du moins, faire comprendre aux wahhabites que les Zaydis du nord du Yémen ne seraient pas une mince affaire et qu’il leur faudrait composer avec eux pour qu'ils obtiennent un « statut adéquat » dans la péninsule arabique.

Évidemment, tout cela a un prix, le prix que l'impérialisme fait payer à ces nationalismes anachroniques, non seulement en termes politiques, mais aussi en termes d'exigences stratégiques, au point de leur faire mener des guerres par procuration de dimension internationale dans son intérêt. L'impérialisme exploite les nationalismes tout en prétendant les soutenir.

L’exemple le plus évident est celui fourni par « l’alliance » entre les chiites zaydi houthis et les ayatollahs iraniens. Mais, il y a aussi celle, religieusement fallacieuse, entre l’Iran chiite et le Hamas sunnite.

En ce qui concerne la première et la plus importante alliance – le soutien politique, militaire et financier que Téhéran apporte à Sanaa depuis des années – elle a un objectif très précis. Depuis 2009 (affrontement contre le gouvernement central), les Houthis sont approvisionnés en argent et en armes par les Pasdaran et le Hezbollah. Puis en 2015, après la conquête de Sanaa par Abd Rabbi Mansur Hadi, Téhéran a commencé à fournir des armes légères de guérilla, des armes lourdes comme des mortiers et des canons transportables avec des pickups, des missiles anti-navires, des missiles balistiques et des drones de combat, avec en plus la présence de techniciens militaires sur le territoire yéménite, qui ont installé sur place des usines capables de produire des drones de reconnaissance et de combat.

Tout cela est en échange d’un changement substantiel de stratégie de la part des Houthis. Il n’y a plus ou pas seulement de lutte contre les Saoudiens et le gouvernement du Yémen du Sud, mais l’intensification d’une série de menaces militaires contre Israël et la perturbation importante contre les États-Unis et leurs alliés occidentaux à l’entrée de la mer Rouge. C’est-à-dire rendre le détroit de Bab el Mandeb impraticable, officiellement uniquement pour les navires en transit pour atteindre le port d’Eilat en Israël, interrompant le seul passage vers la Méditerranée, obligeant tout le trafic naval occidental à contourner l’ensemble du continent africain.

Plus de 40 % de l'ensemble du trafic naval Asie-Europe transite par Bab el Mandeb, la mer Rouge et le canal de Suez, ainsi que 15 % du trafic de pétrole et de gaz liquéfié. Ce qui a mis en grande difficulté de nombreux cargos, pétroliers, compagnies maritimes et les importants intérêts stratégiques américains à Djibouti, déjà en concurrence avec la Chine. De plus, pour bien comprendre le cadre impérialiste qui implique tout le cadre géostratégique, les Houthis ont autorisé le transit vers la mer Rouge uniquement aux navires russes et chinois, consolidant ainsi la chaîne impérialiste qui va du Hamas, du Hezbollah, des Alaouites syriens, des chiites irakiens, de la Russie, de la Corée du Nord à la Chine qui, ces derniers temps, a décidé d'aider le gouvernement de Sanaa avec des financements et des armes dans une orientation anti-américaine. Et comme valeur ajoutée, Pékin s'est déclaré politiquement intéressé par la défense des îles de la mer Rouge comme Kamaran, Ras Dougls et Taqfas que les accords de Stockholm de 2018 avaient assignées à Sanaa, mais que le gouvernement officiel d'Aden avait toujours mis en discussion. Les îles en question, outre leur importance militaire stratégique, ont une fonction de sentinelle du trafic commercial et des gisements pétroliers offshore. Tandis que celles qui se trouvent dans la zone terrestre voisine de Marib, al Jawf et Massil, loin des côtes de la mer Rouge, sont occupées par des garnisons des forces militaires d'Ansar Allah, soutenues militairement par l'Iran et gérées, avec des conseils techniques chinois des compagnies pétrolières. Les puits sont restés inutilisés depuis 2011 après le coup d'État contre le président Saleh, puis partiellement rouverts en 2019 avec un débit de 55 mille barils par jour dont, sans surprise, 30 mille ont été exportés vers la Chine. Une fois définitivement rouverts et opérationnels à pleine capacité avec l'aide chinoise, ils peuvent devenir intéressants à la fois pour le grand impérialiste de Pékin et pour le petit gouvernement de Sanaa, qui a besoin de ce pétrole comme de l'eau. Il va sans dire que la relation entre la Chine et le Yémen du Nord est à l’avantage de la première, qui profite du second en tant que facteur dépendant de sa dimension impérialiste imposante.

Il ne faut pas non plus oublier que les Houthis ont lancé de lourdes attaques contre le port israélien d'Eilat, et qu'en septembre 2019 déjà, ils avaient même visé les installations pétrolières saoudiennes sous la pression de la république des Ayatollahs. En effet, il est certainement plus facile d’exercer une vigilance stricte sur d’éventuelles représailles sur leurs îles de la mer Rouge si la puissance impérialiste chinoise les soutient, mais cela tout cela à condition de payer un prix très élevé pour leur propre autonomie. Pour toutes ces raisons, ce n’est pas un hasard si la petite expérience nationaliste des Houthis s’est retrouvée au milieu du cyclone impérialiste comme simple instrument et moyen utile au service d’intérêts qui, bien qu’initialement les leurs, ont fini par être gérés par d’autres. La Chine, avec l'excuse habituelle d'être le champion et le défenseur des intérêts du gouvernement de Sanaa contre la voracité impérialiste qui, évidemment, est toujours l'impérialisme des autres, prendra sa part, à la fois pour un gain compétitif immédiat sur les rivaux impérialistes, et dans le cadre de sa vision stratégique plus large dans toute la zone en question. Dans le même cyclone, après les attaques sur le port d’Eilat et les tirs de missiles sur les installations pétrolières saoudiennes et le récent blocus à l’entrée de la mer Rouge, la réponse de l’autre camp impérialiste ne pouvait manquer. Les forces aériennes américaines et anglaises ont immédiatement bombardé les positions yéménites, celles d'où partaient les missiles et les drones qui rendent impraticable le transit par Bab el Mandeb, ouvrant de fait un autre front de guerre au Moyen-Orient après celui du Hamas et du Hezbollah au Liban, avec le risque d'entraîner la Cisjordanie dans ce conflit tragique. Il y a aussi l’inévitable nouvelle selon laquelle des navires de guerre américains, avec le soutien anglais habituel, patrouillent dans la zone maritime en question pour avertir les Houthis et les impérialismes qui les manœuvrent. Le tout dans un scénario de guerre entre la Russie et l’Ukraine et avec des tensions dangereuses entre la Chine et les États-Unis à propos de Taiwan et du contrôle des îles de l’Indo-Pacifique. Par ailleurs, il convient de noter que la réaction européenne à la crise de la mer Rouge s'est fait sentir, probablement sous l'impulsion du Pentagone, avec la mise en place d'une flotte de navires de guerre dans le cadre de l'opération Aspides. L'opération, entrée en vigueur le 19 février 2024, implique l'utilisation de cinq navires fournis par l'Allemagne, la France, la Grèce et la Belgique sous direction italienne dans le but de défendre les navires commerciaux européens contre les attaques des Houthis. Un objectif défensif, dit-on, qui n'enlève rien à la participation de l'Europe à la guerre en cours dans l'une des zones maritimes les plus stratégiques du monde. Dans ce cas, la réponse ne s'est pas fait attendre, non plus de la part de l'autre front (15 mars). Dans le même bras de mer les navires iraniens, Russes et Chinois ont lancé des opérations qui ne présagent rien de bon. En résumé, les flottes d'Europe, des États-Unis, d'Angleterre, de Chine, d'Iran et de Russie ont été mobilisées pour l'initiative, dont on ne sait à quel point elle est autonome, des Houthis de Sanaa.

Par conséquent, parler de la guerre civile au Yémen comme d'une simple scission avec le gouvernement central d'Aden soutenu par l'Arabie saoudite non seulement ne correspond pas aux faits, mais insulte les derniers renseignements fournis par les analystes géopolitiques actuels.

La perspective

Dans la phase historique actuelle, le capitalisme mondial démontre sa décadence en tant que forme productive et sociale, ce qui se traduit par une difficulté toujours plus grande à valoriser le capital pour l'investissement productif en raison de la baisse tendancielle du taux de profit. La spéculation apparaît comme l'échappatoire la plus simple, mais aussi la moins efficace, car elle finit par remettre en avant les causes mêmes qui l'ont provoquée. L'éclatement des bulles financières aggrave les crises du système économique qui les a créées, en déprimant encore plus sa base productive, tout en augmentant les tensions impérialistes en progression géométrique. Dans ces conditions, parler d'autodétermination des peuples, de guerres de libération nationale, d'indépendance des peuples est tout simplement un oxymore historique. Un oxymore qui inclut pleinement les revendications nationalistes du Hamas et l'idée que la dynastie Houthi dispose d'une autonomie politique et économique. Chacun à leur manière, ils sont engloutis dans les scénarios impérialistes en tant qu'acteurs de soutien utiles, en tant qu'outils à utiliser dans les guerres par procuration, voire en tant que victimes destinées à être massacrées par les stratégies voraces de l'impérialisme lui-même.

Mais le capitalisme, même s’il est en crise profonde, ne meurt pas de mort naturelle. Ses antidotes sont toujours les mêmes, elles ne peuvent varier qu'en termes de modalité et d'intensité. Tout d’abord, le premier acte auquel recourt le capital, en quête de surmonter ses contradictions incurables, est de contenir autant que possible le coût du travail, c'est à dire le salaire direct. Ensuite, démanteler l’aide sociale et dé-financer de plus en plus les secteurs improductifs tels que les écoles, les soins de santé et les retraites. En d’autres termes, l’objectif absolu et essentiel est de faire payer au monde du travail les crises du capital à travers le blocage ou la prédation des salaires différés et indirects.

Enfin et surtout, l’exportation du capital et des structures de production entre en jeu là où le coût du travail est nettement inférieur, où les systèmes fiscaux et les aides d’État sont nettement plus favorables, sans oublier une législation anti-grève très stricte. Si ces mesures ne suffisent pas, et elles ne suffisent pas, alors la poursuite de la crise, désormais systémique sous toutes les latitudes, conduit au recours dévastateur et violent à la guerre. Une guerre qui peut être limitée à une zone restreinte, menée par procuration, où l’impérialisme manœuvre le théâtre de la guerre depuis les coulisses. Il fournit des fonds, des armes et promet une aide future qui n’arrive presque jamais, et lorsqu’elle arrive, elle a un coût absolument insupportable pour ceux qui la reçoivent. Il allume des incendies ou jette de l’huile sur le feu par quelques règlements de compte entre pays de peu de poids politique, mais intéressants d’un point de vue économique ou stratégique. Mais la crise du capitalisme peut conduire à l’implication directe de l’impérialisme si les enjeux sont importants et méritent d’être combattus par les armes (Russie – Ukraine), avec le risque d’étendre le conflit à d’autres zones. Une situation qui apparaît de plus en plus probable, avec l’engagement direct d’autres acteurs impérialistes comme l’Iran, la Chine et les États-Unis, qui pourraient s’affronter dans une guerre généralisée.

Pour le capital, la guerre avec son horrible barbarie qui n'épargne rien ni personne signifie, pour le vainqueur, l'élimination de la concurrence sur les marchés, de s'emparer de domaines fonctionnels pour les besoins de production de l'économie moderne structurellement en crise. Cela signifie encore du pétrole et du gaz en attente de transition écologique contestée et qui peine à s'amorcer et cela signifie mettre la main sur des gisements de lithium et de « terres rares ». Cela signifie tenter de relancer la croissance du taux de profit qui pénalise l’ensemble de l’économie mondiale et, enfin et surtout, cela signifie, la destruction de la valeur du capital en fonction du secteur à reconstruire, le tout avec ou sans bombes atomiques. Ce dernier problème dépend des situations de guerre actuelles en Ukraine (menaces de Poutine et contre-menaces de Biden début mars), des affreuses conditions du génocide de Gaza et de l'éventuelle extension de la guerre dans la zone du Moyen-Orient et en Iran. Cela inclut la crise de la Mer Rouge et le comportement d’autres impérialismes, en premier lieu les États-Unis et la Chine, qui ne resteront certainement pas indéfiniment les bras croisés et ne se limiteront certainement pas à des manœuvres militaires par procuration. L’horizon que nous prépare l’impérialisme est partout plein de destruction, de mort et de barbarie atroce comme jamais. Et qui paiera tout cela ?

La classe ouvrière et la guerre

La réponse est évidente : ceux qui paient sont les prolétaires qui font la guerre sous les drapeaux de leur propre bourgeoisie ou sous l'alignement impérialiste dont fait partie leur bourgeoisie. Ce sont les populations civiles qui sont littéralement décimées par les bombardements barbares qui détruisent tout, des structures de production aux hôpitaux, des habitations civiles aux champs cultivés. Rien n’échappe à la férocité sanglante du capitalisme en crise.

Face à une telle barbarie, plus destructrice scientifiquement que dans un passé récent, une seule force serait en mesure de s’y opposer de manière significative. Cette force est celle des exploités, du prolétariat international, des masses énormes de dépossédés produits par la crise du capitalisme. C'est celle des esclaves salariés qui représentent la richesse sociale de leur pays avec leur main d'œuvre et dont ils récoltent laborieusement les miettes, quand tout va bien, sinon ils sont au chômage, sous-employés et survivent tant bien que mal en marge de cette société inégalitaire faite pour les besoins bourgeois. Cette force exploitée en temps de paix et utilisée comme chair à canon en temps de guerre, peut être l'antidote la plus puissante à la barbarie de l'impérialisme, à condition qu'elle se comporte comme une classe qui mène une guerre, mais la sienne, contre le capitalisme, c'est à dire sa propre guerre contre ses contradictions incurables et ses crises économiques et la dévastation de ses guerres. Mais pour cela, cette force au potentiel immense doit d'abord échapper à la domination de la pensée de la classe dominante. Les guerres sont imposées par les crises du capital, elles sont gérées par la bourgeoisie pour défendre ses intérêts économiques, condition première de ses privilèges politiques et sociaux, mais combattues par des prolétaires dominés par les idéologies de la classe dominante. Des idéologies qui vont de la défense ou de l'exportation de la démocratie, aux intérêts nationaux à sauvegarder, ou encore aux principes religieux "universels" qu'il faut imposer même au prix de l'usage de la violence. Sans parler de toutes ces idéologies racistes et homophobes, anciennes et nouvelles, qui théorisent la guerre comme un instrument de "purification" contre l'invasion des nouveaux "barbares". Le bagage idéologique de la bourgeoisie pour amener le prolétariat à s'identifier à ses intérêts n'a pas de limites, surtout lorsqu'il s'agit de la guerre. Pour ces raisons, il est essentiel que la classe se dote d'un guide politique international, avec ses propres tactiques et stratégies, car l'essence même de l'impérialisme et ses actions meurtrières sont internationales. En d'autres termes, nous avons besoin d'un parti international qui rassemble toutes nos énergies vers un seul objectif : la lutte contre le capitalisme dans toutes ses manifestations économiques et sociales, à commencer par les différentes bourgeoisies nationales, quel que soit le rôle qu'elles jouent dans le scénario de la guerre impérialiste, qu'elles soient spectatrices ou participantes.

C'est une tâche difficile, pleine d'obstacles, comme toute perspective historique, dont le chemin est semé d'embûches et qui ne proviennent pas directement des seules réactions de la bourgeoise.

On constate d'abord que pas mal de forces de "gauche", qui peuvent même se prétendre révolutionnaires et internationalistes, avec des slogans et des programmes présentés comme leurs points indispensables pour la reprise de la lutte des classes dans un sens anti-impérialiste, contre le capitalisme et contre la guerre, sont elles-mêmes prises dans une toile tissée par le capitalisme même qu'elles prétendent verbalement combattre.

Pour rester dans l'actualité, ces forces politiques, face aux guerres en cours en Ukraine, en Palestine, en Mer Rouge, face à la puissance militaire excessive, par exemple de la Russie face à l'Ukraine aidée par l'Occident, vacillent terriblement. Un autre exemple significatif est celui de la supériorité militaire d'Israël sur le Hamas, qui mène un génocide contre la population palestinienne et, last but not least pour le moment, celui de la prétendue autodétermination nationale des Houthis au Yémen contre le gouvernement reconnu d'Aden soutenu par l'Arabie Saoudite : dans tous ces cas, leurs confusions augmentent en intensité et tout internationalisme a été abandonné.

Ils soutiennent le Hamas, malgré son djihadisme basé sur un ordre social médiéval, comme le presque mais pas tout à fait défunt État islamique. Et ce, bien qu'il soit armé et financé par le régime des Ayatollahs en Iran, un gouvernement raciste et anti-femmes qui agit avec une férocité mortelle contre toute opposition. Il s'agit d'un régime impérialiste régional opposé à l'Arabie saoudite pour la suprématie dans le monde musulman et au-delà. Comment peut-on défendre une formation politique issue du nationalisme fasciste djihadiste ? Pour avoir un petit rôle d'"actionnaire minoritaire absolu" dans le leadership du monde arabe en général et du monde palestinien en particulier, notamment face au gouvernement de l'Autorité palestinienne d'Abou Mazen, qui se positionne comme le seul véritable antagoniste du sionisme israélien, le Hamas envoie son prolétariat et sa population civile au massacre certain. C'est le prix que les damnés de Palestine doivent payer pour les objectifs mesquins d'une classe dirigeante bourgeoise qui vit dans le luxe des salles marbrées de Doha, et qui est à son tour dominée par les ambitions politiques et les intérêts économiques d'al Thani, émir du Qatar et principal financier du Hamas.

Toujours dans ce contexte faussement internationaliste, certains défendent la Russie ou l'Ukraine selon que la guerre et ses justifications formelles penchent plus d'un côté que de l'autre, négligeant de la manière la plus absolue ce que toute guerre a pour fondement. Le trait tragiquement commun consiste dans l'affrontement entre prolétariats sur deux fronts opposés, alors qu'ils devraient former un front commun contre leurs bourgeoisies respectives. Il en va de même pour ceux qui voient dans la lutte de la dynastie Houthi contre Israël et le gouvernement pro-occidental d’Aden un prétendu acte anti-impérialiste à soutenir. En oubliant aussi dans ce cas, que le djihadisme yéménite, responsable de la fermeture du détroit de Bab el Mandeb pour rendre le canal de Suez inutilisable pour Tel-Aviv et les navires occidentaux, n'est, nous le répétons, que la main souterraine de l'impérialisme iranien et chinois. Nous avons déjà évoqué les intérêts iraniens, pour ceux de Pékin, il faut aussi dénoncer que soutenir Sanaa contre Aden (une autre guerre fratricide menée par deux prolétariats) signifie mettre en œuvre un double objectif : disposer du pétrole du Yémen du Nord et profiter de la viabilité d'un port de la mer Rouge avec la perspective de construire une base pour sa Route de la Soie hyper impérialiste. En conclusion, les intérêts prolétariens ne se défendent pas en laissant le destin des esclaves salariés entre les mains de leurs bourgeoisies djihadistes ou laïques. Nous ne contribuons pas à la renaissance de l’internationalisme révolutionnaire en prenant parti dans la guerre impérialiste. On ne combat pas la guerre en s'y joignant, quelle qu'en soit la justification. Au contraire, la première tâche des avant-gardes politiques internationalistes est de soustraire les masses prolétariennes aux mille tentacules des bourgeoisies nationales et des impérialistes internationaux, seule condition pour être contre tout nationalisme et contre toutes les guerres. C'est l'alternative révolutionnaire au capitalisme, sinon c'est la poursuite de la politique contre-révolutionnaire et la préservation du « statu quo ».

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Battaglia Communista
15 mars 24

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Saturday, March 30, 2024