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Accueil ›C'est la guerre
Cette nuit, sans l'accord du Pentagone, sans attendre que l'ONU finisse son enquête pour vérifier si le massacre des 72 civils de la ville de Khan Sheikhun en Syrie devait être attribué à Assad ou à un effet “ collatéral ”, le président américain Trump a donné l'ordre de lancer 59 missiles contre la base aérienne syrienne d'où seraient partis les raids chimiques. L'aéroport a été détruit et les stocks de pétrole et d'armes ont explosé. Il y a eu au moins 5 morts parmi les militaires d'Assad.
La décision de Trump a d'abord été justifiée par l'horreur des vingt-cinq enfants tués dans l'opération criminelle comme une sorte de riposte vengeresse d'un cœur très pieux. Puis, petit à petit, d'autres raisons ont été avancées qui ont peu à voir avec l'humanitarisme. Le Président américain s'était toujours plaint de son prédécesseur, Obama, qui n'avait pas la force de mener d'opération militaire contre le dictateur Assad. Un peu comme s'il disait “ maintenant c'est mon tour de faire ce que tu n'as pas su faire ”. Une autre raison est aussi apparue : ce serait la défense des intérêts américains que la poursuite de la crise syrienne mettrait en péril. Ce risque serait dû à la migration “ sauvage ” de syriens vers les États-Unis avec la menace d'y faire entrer des terroristes sans parler des “ voleurs ” d'emplois américains.
Rien de tout cela, bien sûr. L'action drastique de Trump a d'autres racines, à la fois nationales et internationales. La raison nationale est qu'avec le taux d'approbation le plus bas qu'un président nouvellement élu n'ait jamais eu, il était nécessaire de faire quelque chose “ d'extraordinaire ” pour rendre crédibles ses “ coups de gueule ”.
De plus, la prétendue reprise économique est à la fois hésitante et préoccupante. L'économie américaine a progressé mais à des niveaux qui sont trop bas par rapport aux espoirs affichés. La dette publique de 19200 milliards de dollars représente 105 % du PIB. Elle était de 18992 milliards en 2015 après les années de Quantitative Easing. Elle n'était que de 9267 milliards en 2017 au début de la crise qui, ne l'oublions pas, est partie des contradictions économiques et financières des États-Unis. La reprise économique, ou supposée reprise, reflète aussi une forte décentralisation de la production. Des secteurs entiers comme le secteur manufacturier ou de l'acier sont depuis des années aux mains de la Chine et du Japon. La concurrence allemande dans la métallurgie (l'automobile) est très forte. Le déficit de la balance des paiements avec l'étranger a atteint un niveau record de 500 milliards de dollars. Les millions d'emplois soit-disant créés par l'administration Obama sont dus au fait qu'il suffit de travailler quinze jours par an pour ne plus être considéré comme chômeur. En outre, les nouveaux emplois sont souvent précaires, des contrats temporaires très courts et sous-payés. Dans l'Amérique de “ l'après-crise ” il y a beaucoup de mécontentement. Ce n'est pas un hasard si 90 millions de gens en âge de voter ont jugé bon de rester à la maison aux dernières élections présidentielles car ils savent qu'aucun parti de la classe dominante, ni la droite, ni la gauche, n'a une quelconque solution même partielle aux problèmes économiques et sociaux. 50 % de ces 90 millions vit au-dessous du seuil de pauvreté, n'a pas d'emploi fixe depuis des années, survit des tickets d'alimentation et est sans assurance de santé. Tous ces facteurs pourraient tôt ou tard finir par faire éclater le pays capitaliste le plus avancé au monde. L'action de Trump est un rappel de la nécessité de “ défendre ” les promesses de monts et merveilles faites au peuple américain ; un acte digne des paroles qu'il avait prononcées.
Sur la scène internationale, Trump a compris que ne pas agir, comme la précédente administration avait en partie fait, pouvait causer des dégâts significatifs pour l'impérialisme américain en permettant aux concurrents impérialistes de faire des avancées supplémentaires. Laissons de côté la question du commerce pour laquelle le nouveau Président a menacé de déchirer tous les traités internationaux comme le NAFTA, le traité de libre commerce avec le Canada et le Mexique, le TPP (transpacifique avec les pays asiatiques) et le TTIP (transatlantique avec les pays européens), sans mentionner les accusations contre la Chine de concurrence déloyale et les menaces contre elle et l'Europe (c'est-à-dire l'Allemagne) avec des tarifs douaniers élevés pour reconquérir le terrain perdu par le commerce américain en déficit avec les autres pays. Mais le problème le plus urgent pour la nouvelle administration américaine est le retour, fort et visible, du bras armé de l'impérialisme américain dans une des régions les plus chaudes de la scène internationale : le Moyen-Orient, la Syrie et la Méditerranée.
La “ question Assad ” n'a pas de sens si on la discute seulement en terme de son caractère ou de son personnage. Le véritable problème pour Trump est d'empêcher la Russie de soutenir le régime du “ dictateur de Damas ” et la possibilité pour Poutine de maintenir l'accès à la marine commerciale et surtout militaire aux ports syriens de Lattaquié et Tartous. Les États-Unis visent au contrôle commercial et militaire des mers. En théorie, la marine américaine est capable d'interdire la navigation et l'amarrage aux ports stratégiques à quiconque du fait de la supériorité incontestée de sa marine. Les 3e, 4e, 5e , 6e et 7e flottes sont respectivement dans l'Atlantique, la Méditerranée tout comme dans les océans Indien et Pacifique. 90 % du commerce mondial passe par ces mers. Les amiraux Nora Tyson, Sean Pybus et Kevin Donegan contrôlent l'accès aux routes maritimes internationales. Cet accès pourrait facilement être refusé ou rejeté par la force si l'impérialisme américain le voulait. Laisser main libre au rival russe sur la question syrienne signifierait risquer d'avoir une concurrence naval de premier plan en Méditerranée et des difficultés énormes pour la stratégie du Pentagone. Trump a augmenté le budget du Ministère de la Défense de plus de 10 % (autour de 52 milliards) pour la préparation des opérations immédiates de guerre et un programme de réarmement de court-terme.
Peu importe donc que l'opération syrienne, même si elle fut planifiée auparavant, ait été déclenchée soudainement de nuit, sans l'accord du Congrès et sans que la commission d'enquête de l'ONU n'ait fait la lumière sur l'utilisation des armes chimiques. C'est un avertissement : à la Russie sur l'hégémonie en Méditerranée ; à la Chine pour qu'elle freine la Corée du Nord “ sinon nous le ferons ” ; à l'Iran qui, en participant directement à la guerre contre l'État Islamique, essaie d'obtenir des gains territoriaux et pétroliers contre l'allié saoudien des États-Unis. Le front chiite s'est développé tout au long des six ans de guerre en Syrie. Le Hezbollah libanais et l'axe irano-irakien chiite défendent Assad sous la direction de la Russie qui, de plus, combat en Ukraine après qu'elle ait pris possession de la péninsule de Crimée. Derrière tout cela, il y a comme toujours la guerre pour les “ pipelines ” comme le récent et fragile projet du gazoduc “ Turkish Stream ” entre la Turquie et la Russie et les pipelines turc, azerbaïdjanais et russe vers l'Europe et l'Asie, et la lutte sur le prix du pétrole brut et pour le contrôle des routes commerciales du marché asiatique du gaz.
L'agression arrogante et honteuse de Trump a pu apparaître comme une surprise. Mais ce ne n'en est pas une si grande si l'on prend en compte les facteurs que nous avons brièvement soulignés ici. Les conséquences néfastes de la crise se font sentir. Les grandes puissances impérialistes se mobilisent avec une rapidité et une détermination préoccupantes. L'usage aveugle de la force et le risque que tout cela se transforme en un carnage général autour de toute une série de territoires contestés, est devenu le cours le plus probable d'un point de vue stratégique tant en termes économique que militaire. En face de telles perspectives qui sont déjà en partie la réalité, à la dénonciation de la guerre, des massacres d'innocents que ces guerres provoquent, de la barbarie du monde capitaliste en crise permanente, et en conséquence plus féroce et avide que jamais, nous devons ajouter un appel tragique aux masses mondiales. Si c'est le futur imminent du genre humain, si cette barbarie croissante de la société ne mène qu'à la guerre, à la destruction de toute chose et de chacun au nom de la sauvegarde du système économique et social du capitalisme qui est la cause de tout cela, alors nous devons faire la guerre à la guerre, lutter contre le capitalisme pour un monde qui n'a nul besoin d'exploitation, de crises, de guerres et de millions de morts pour survivre. Seul un processus révolutionnaire peut arrêter la guerre et avec elle détruire le système économique qui la nourrit. Un autre type d'organisation de la production et de la distribution de la richesse sociale peut et doit être une garantie pour qu'une telle barbarie ne se répète pas régulièrement avec une tragique ponctualité.
FD
7 avril 2017
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