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Accueil ›Rojava : la Guerre Populaire, ce n’est pas la Guerre de Classe
« Hegel fait quelque part cette remarque que tous les grands événements et personnages historiques se répètent pour ainsi dire deux fois. Il a oublié d'ajouter : la première fois comme tragédie, la seconde fois comme farce. (…)
La tradition de toutes les générations mortes pèse d’un poids très lourd sur le cerveau des vivants. (…)
La révolution sociale (…) ne peut pas tirer sa poésie du passé, mais seulement de l’avenir. Elle ne peut pas commencer avec elle-même avant d’avoir liquidé complètement toute superstition à l’égard du passé. Les révolutions antérieures avaient besoin de réminiscences historiques pour se dissimuler à elles-mêmes leur propre contenu. La révolution (…) doit laisser les morts enterrer leurs morts pour réaliser son propre objet. »
L’Espagne dans un Contexte Historique
L’article de David Graeber, « Pourquoi le monde ignore-t-il les révolutionnaires Kurdes de Syrie ? », a été largement distribué dans la presse anarchiste et libérale. Il y parle de la façon dont la révolution sociale au Kurdistan occidental (Rojava) est « scandaleusement » ignorée par tous, y compris par une vague « gauche internationale ». Il choisit de commencer sur une note délibérément subjective en annonçant que son père s’était porté volontaire pour se battre dans les Brigades internationales durant la guerre civile espagnole en 1937. Il poursuit :
« Un possible coup d’Etat fasciste avait été temporairement arrêté par le soulèvement des travailleurs, dirigé par les anarchistes et les socialistes, et dans une grande partie de l’Espagne une véritable révolution sociale s’est produite, ce qui a placé des villes entières en autogestion démocratique, les industries sous le contrôle des travailleurs et l’autonomisation (empowerment) radicale des femmes.
Les révolutionnaires espagnols espéraient créer la vision d’une société libre que tout le monde pourrait suivre. Au lieu de cela, les puissances mondiales décrétèrent une politique de « non-intervention » et ont maintenu un strict blocus de la République, même après qu’Hitler et Mussolini, signataires ostensibles, aient commencé à envoyer des troupes et des armes pour renforcer le camp fasciste. Le résultat a été des années de guerre civile qui ont pris fin avec la défaite de la révolution et certains des massacres les plus sanglants d’un siècle sanglant.
Je n’ai jamais pensé qu’au cours de ma propre vie je verrais la même chose se reproduire. »
Source originale : theguardian.com, publié en français entre autre sur : oclibertaire.free.fr et rojavasolidarite.noblogs.org
Notre professeur d’anthropologie [1] a clairement besoin d’étudier l’histoire avec plus de soin. Le coup d’Etat militaire du 18 juillet 1936 contre la Seconde République espagnole est arrivé après des années de lutte de classe. Le gouvernement du Front populaire des socialistes et des libéraux ne savait pas comment réagir, mais les ouvriers l’ont fait. Lorsque les ministres libéraux ont refusé d’armer les ouvriers, ils ont attaqué les casernes du régime et ils ont pris les armes. Cela a déclenché une révolution sociale qui, dans diverses parties d’Espagne, correspondait presque à ce que Graeber décrit. Toutefois, elle n’a pas touché au pouvoir politique de la République espagnole bourgeoisie. L’Etat n'a pas été détruit. Les leaders anarchistes de la CNT-FAI ont d’abord décidé de soutenir le gouvernement régional catalan du bourgeois Luis Companys, puis, à peine cinq mois plus tard, ils sont entrés dans le gouvernement de Madrid avec les libéraux et les staliniens. Ils ont décidé de faire passer la lutte contre « le fascisme » avant la révolution sociale. Ce faisant, ils ont abandonné tout ordre du jour de la classe ouvrière et ils ont livré la révolution à la bourgeoisie. C’est l’épisode le plus honteux de l’histoire anarchiste et la plupart des historiens anarchistes seront d’accord avec ce verdict [2].
Bien qu’il invoque l’histoire, Graeber la retourne sur la tête. Pour lui, c’est le fait qu’Hitler et Mussolini ont armé Franco qui a mené à la défaite de la révolution. Il n’en fut pas ainsi. C’est l’abandon de la révolution sociale en faveur des besoins militaires de « l’antifascisme » qui était vraiment à blâmer. C’est la révolution sociale de juillet 1936 qui avait poussé la masse de la population à commencer à se battre pour elle-même et pour une nouvelle société. Nous ne disons pas que la révolution aurait pu l’emporter, compte tenu de son isolement à l’époque, mais elle nous aurait laissé aujourd’hui un héritage plus stimulant. En fait, l’histoire de la classe ouvrière espagnole était si différente du reste de l’Europe (la bourgeoisie espagnole n’a pas pris part à la Première Guerre mondiale, par exemple) que les travailleurs espagnols se sont retrouvés seuls à combattre. Le reste de la classe ouvrière européenne ne s’était pas remis de la défaite de la vague révolutionnaire qui mit fin à la Première Guerre mondiale. Cette défaite avait déjà permis au fascisme d’être victorieux en Italie et en Allemagne.
Manipulations impérialistes
Et cela a également défini le contexte impérialiste dans lequel la guerre civile espagnole est arrivée. Graeber n’est pas fiable non plus lorsqu’il dit que toutes les grandes puissances se sont inscrites dans la « non-intervention ». C’était la politique hypocrite des classes dirigeantes française et britannique qui espéraient convaincre les puissances de l’Axe d’attaquer l'URSS (les laissant ainsi libre de ramasser les morceaux plus tard). Ils y ont entraîné Mussolini dans une tentative de diviser l’Axe, mais cela a échoué.
Durant la période qui précède la Seconde Guerre mondiale, l’URSS de Staline a aussi dû trouver un moyen pour essayer de se gagner des alliés. Il avait déjà fait de « l’antifascisme » son slogan en novembre 1935. Et sur cette base, cela contribua à la formation des gouvernements du Front populaire en Espagne et en France. L’idée était de convaincre les démocraties occidentales qu’elles pouvaient faire confiance dans l’État « paria » soviétique. C’est l’URSS qui a secrètement armé la République espagnole dès le début (à l’exception du Mexique, le seul État à le faire). Et celui qui paie a le droit de décider comment sera dépensé son argent. Bien que le Parti communiste espagnol (PCE) n’avait que 6.000 membres en 1936, il a été immédiatement gonflé par la défection de la jeunesse du Parti socialiste dirigé par Santiago Carillo. Et il a grandi considérablement plus en s’opposant à la révolution sociale même qui avait déclenché la résistance. Les petits bourgeois dans l’Espagne républicaine ont afflué vers eux se défendre contre les anarchistes. Et bientôt, les ministres communistes sont apparus à Madrid et le PCE a pris en charge les services de la sûreté (SIM). Des laquais staliniens comme Palmiro Togliatti (« camarade Ercoli ») et Ernö Gerö ont été envoyés en Espagne afin de mener des chasses aux sorcières contre les vrais révolutionnaires. Celles-ci eurent principalement lieu après la débâcle de mai 1937 à Barcelone, où des combats ont éclaté entre la CNT et le POUM d’un côté, et les staliniens de l’autre. Cela s’est terminé par une trêve mais avec les staliniens aux commandes (comme la « lutte antifasciste » était primordiale) et plusieurs massacres de leurs adversaires dans le camp républicain. À chaque phase, les staliniens ont justifié leur prise de contrôle de l’appareil d’État par le besoin de rendre « la lutte contre le fascisme » plus efficace. Le seul résultat en fut de démoraliser et de détruire l’initiative des masses et d’ouvrir la voie à la victoire finale de Franco et à encore plus de massacres. Graeber a raison de dire que la révolution a été réprimée, non par Franco, mais par les « antifascistes » qu’il cherche maintenant à imiter.
C’est ce que beaucoup à gauche, des anarchistes du style de Graeber à la gauche marxiste traditionnelle des trotskistes et des staliniens, ne peuvent pas comprendre. L’antifascisme était l’idéologie d’un camp de l’équation impérialiste des années 1930 pour mobiliser la population pour la guerre impérialiste. Et cela a fonctionné. Le père de Graeber ne fut pas le seul à s’être engagé comme volontaire dans les Brigades internationales. C’est ce que fit mon père métallurgiste en 1938. C’était alors un jeune garçon boucher de 16 ans et il n’avait pas d’opinions politiques bien précises. On le refusa (heureusement !) au motif de son jeune âge, mais sa réaction était précisément ce que le bloc des Alliés escomptait durant la Seconde Guerre mondiale afin de mobiliser la classe ouvrière pour encore un autre massacre après la fin en 1918 de « la guerre qui devait mettre fin à toutes les guerres ». Personne ne se serait plus battu pour « le Roi et la Patrie » mais beaucoup ont jugé utile de risquer leur vie en combattant le mal fasciste.
Et une fois de plus, l’histoire se répète partiellement, en tragédie d’abord, en farce ensuite. Les Graeber, ainsi que les staliniens et les trotskystes, se parent des vêtements du passé pour appeler au soutien des nationalistes kurdes contre les « fascistes » ou les « crypto-fascistes » de Da’esh ou de l’ÉI au Rojava. Cela dit, Da’esh est une force monstrueuse réactionnaire qui perpètre des actes dignes de Gengis Khan et des Mongols, mais lutter pour ou contre eux ne favorise pas l’émergence d’une classe ouvrière autonome. Nous devons être conscients du contexte impérialiste de ce qui se passe en Syrie, en Turquie et en Irak avant d’exhorter quiconque à s’emballer et à combattre pour le PYD [3]. Le PYD est dominé par le PKK, bien que pour des raisons diplomatiques il dit qu’il ne l’est pas (le PKK est condamné internationalement comme « terroriste » tandis que le PYD ne l’est pas). Le tournant « démocratique » ou « mutualiste » du PKK a été initié en grande partie afin d’essayer de gagner le soutien de l’Occident tout comme « l’antifascisme » et le « Front populaire » ont fonctionné pour l’impérialisme soviétique dans les années 1930.
Da’esh est une création de la coalition impérialiste qui maintenant la bombarde [4]. Sans le démembrement dirigé par les USA de l’État irakien après 2003, il n’y aurait pas de possibilités d’agir pour l’ÉI. Sans la fourniture initiale d’armes des régimes sunnites d’Arabie saoudite et du Qatar, l’ÉI ne serait rien. Et le régime kurde dans le nord de l’Irak a été le plus grand bénéficiaire de la politique américaine. Le régime du Parti Démocratique Kurde de Barzani est un proche allié à la fois des États-Unis et de la Turquie et il exporte son pétrole vers la Turquie via un nouvel oléoduc récemment achevé. L’ÉI, ayant acquit ses propres ressources financières, s’est dégagé de ses maîtres impérialistes originels et il poursuit son propre agenda. Encore une fois, il y a des parallèles avec les années 1930, mais pas ceux auxquels nos antifascistes aiment à se référer. En 1939, Staline a abandonné « l’antifascisme » pour signer le pacte Hitler-Staline [5] avec ces mêmes fascistes que les ouvriers en Espagne étaient censés avoir combattus jusqu’à la mort. Hier comme aujourd’hui, les impératifs impérialistes peuvent dicter le nom qu’ils vont donner à n’importe quelle cause. Quoi que Graeber et autres puissent affirmer, la lutte en Syrie aujourd’hui est une lutte pour le contrôle impérialiste du territoire.
« Expérience Sociale » au Rojava
Et ce qui se passe au Rojava n’est pas aussi merveilleux que le dit Graeber. Il ne fait que relayer la propagande du PYD. En fait, vous avez l’impression (compte tenu du poids relatif des mots qui lui est consacré) qu’il est plus impressionné par la « conversion » du stalinien Ocalan aux idées du « municipalisme libertaire » de feu Murray Bookchin, une idéologie que Graeber tient à cœur.
« Le PKK a déclaré qu’il n’essayait même plus de créer un Etat kurde. Au lieu de cela, en partie inspiré par la vision de l’écologiste social et anarchiste Murray Bookchin, il a adopté la vision du “municipalisme libertaire”, appelant les Kurdes à créer des communautés libres et autonomes, sur la base des principes de la démocratie directe, qui par la suite s’uniraient au-delà des frontières nationales – et qui seront appelées à être progressivement dénuées de sens. Ainsi, ils ont suggéré que la lutte kurde puisse devenir un modèle pour un mouvement mondial vers une véritable démocratie, une économie coopérative et la dissolution progressive de l’État-nation bureaucratique. »
Oh si était vrai ! Le PKK a révisé sa stratégie, il a fait passer la frontière turque à ses combattants, les a positionnés en Irak et il a édulcoré son stalinisme dans une tentative de se présenter comme « démocratique ». Mais même Graeber reconnaît que certains « éléments autoritaires » se maintiennent, bien qu’il ne donne aucun détail. Donnons-lui un coup de main. Selon le PYD lui-même, il y a une forme de double pouvoir avec les désormais célèbres communautés autonomes qui existent côte à côte avec un cadre de type parlementaire entièrement contrôlé par le PYD. Tout le monde peut aisément deviner qui a le poids réel. Le PYD a obtenu un quasi-monopole des armes [6]. Ils sont l’État. Et dans chaque pays (Irak, Iran et Syrie), la bourgeoisie kurde locale a mis en place sa propre entité nationale dans la même veine. Ces entités pourraient ne pas être reconnues par l’impérialisme international, mais ce sont des États à tous points de vue sauf au niveau du nom. À certains égards, elles empiètent davantage sur la vie des gens que l’État au Royaume-Uni. Par exemple, si vous avez plus de 18 ans, vous êtes soumis à la conscription [7]. Et quant à l’internationalisme supposé du PYD, son chef Saleh Muslim a menacé d’expulser tous les Arabes du territoire « kurde » en Syrie malgré le fait que la plupart d’entre eux y soient nés. [8] Les femmes peuvent être plus libres au Kurdistan en général que dans les territoires environnants, mais tout est relatif. Il y a eu beaucoup d’accusations concernant une culture sexiste ainsi que de viols chez les peshmergas, et Ocalan lui-même semble non seulement fermer les yeux sur cela, mais personnellement l’admettre. Rien de tout cela n’est discuté dans le trop bref compte-rendu de Graeber à propos des merveilles du Rojava.
Le seul mot manquant dans le compte-rendu de Graeber, c’est le mot classe. Pour lui, Rojava est un « mouvement populaire », tout comme le mouvement « Occupy » l’était. La Seconde Guerre mondiale nous a été vendue par les Alliés comme une « guerre populaire ». Mais « le peuple », c’est la nation. Le cri de ralliement de la classe capitaliste, c’est qu’ils étaient les représentants du « peuple » contre l’ordre féodal. Mais il est admit pour nous que le peuple est une notion interclassiste. Il y inclut exploiteurs et exploités. C’est pourquoi nous posons le concept de classe en opposition à toute idée de peuple ou de « nation ». Le nationalisme est l’ennemi de la classe ouvrière qui ne possède aucune propriété privée, ni n’exploite personne. Comme Marx l’a dit « Les ouvriers n’ont pas de patrie ». La guerre de classe, ce n’est pas la « guerre du peuple ».
Nous reconnaissons bien sûr qu’il y a un besoin pour de nombreux ouvriers à rechercher des exemples stimulant d’organisation sociale. C’est pourquoi nous nous tournons vers la Commune de Paris de 1871 ou la Russie en 1905. C’est aussi pourquoi nous nous tournons vers l’Espagne de l’été 1936 ou la Russie de l’hiver 1917-1918. Aucun de ces exemples ne fut parfait, mais tous ont donné des indications sur ce que la classe ouvrière était capable de faire. Tous ont finalement été noyés par l’intervention impérialiste. Mais ils étaient beaucoup plus loin sur la voie de l’autonomie prolétarienne réelle que ce qui nous est vendu aujourd’hui au Rojava ou n’importe où ailleurs au Kurdistan. Nous sommes habitués à ce que la gauche capitaliste (trotskistes, staliniens, maoïstes) se précipite pour soutenir tel ou tel « moindre mal » ou chante les louanges de tel ou tel modèle considéré comme « le socialisme réellement existant » (Venezuela, Bolivie, Cuba, Vietnam, etc., etc.) mais tout ce qu’ils nous invitent à faire, c’est d’entrer dans le jeu de la propagande impérialiste de nos gouvernants. La révolution sociale réelle ne peut pas avoir lieu à l’intérieur d’un seul pays comme l’histoire des années 1920 et 1930 nous l’a montré. Si nous voulons voir un mouvement de classe autonome capable de créer une société sans classe, sans exploitation, sans État et sans guerre meurtrière, nous devons nous battre pour elle là où nous vivons et travaillons. Dans le long terme, nous devons créer nos propres organisations de classe telles que des comités, conseils ou collectifs sur les lieux de travail, ou tout ce qui est appropriées à la lutte, mais nous devons aussi arriver à ce que ce soit une partie d’une lutte consciente contre le capitalisme sous toutes ses formes. Cela signifie que la création d’un mouvement politique international et internationaliste, contrairement à tous les projets nationaux aujourd’hui, est un élément indispensable de cette lutte. Cela doit pouvoir inspirer et unir la conscience révolutionnaire de pans plus larges de travailleurs. Ce n’est pas aussi facile ou instantanément gratifiant que de rabâcher des slogans à propos de tel ou tel paradis supposé des travailleurs, mais c’est la seule voie pour l’émancipation de l’humanité. C’est cette lutte à laquelle nous nous consacrons, nous de la Tendance Communiste Internationaliste.
Jock
[1] Pour une critique des travaux de Graeber sur la dette, voir en anglais leftcom.org
[2] Pour une version élargie de cette analyse, voir notre brochure “Spain _1934-9: From Working Class Struggle to Imperialist War”. Prix : £3 (frais d’envoi inclus) à l’adresse BM CWO WC1N 3XX. Certains des articles de cette brochure sont disponibles sur notre site.
[3] PYD est l’acronyme kurde pour le Parti de l’Union Démocratique qui est la franchise syrienne du PKK turc (Parti des Travailleurs Kurdes). Sa branche militaire est l’YPG, les Unités de Défense du Peuple. Pour plus de développements à ce sujet, voir l’article qui accompagne le présent texte : « Le bain de sang en Syrie : Guerre de classe ou guerre ethnique ? » leftcom.org
[4] Pour une explication de l’activité impérialiste dans la région, voir leftcom.org
[5] Pour un développement de ceci, voir leftcom.org
[6] Même les comptes-rendus les plus favorables au PKK/PYD révèlent que « L’opposition veut mettre sur pieds ses propres milices, mais n’y est pas autorisée par le PYD. » anarkismo.net.
[7] Voir aranews.net
[8] Voir Kurdish News Weekly Briefing, 3 – 29 novembre 2013 qui a écrit:
« Le chef du Parti de l’Union Démocratique (PYD), Saleh Muslim, a prévenu que la future guerre des Kurdes serait avec les Arabes qui se sont installés dans les régions kurdes avec l’aide du régime syrien. “Un jour ces Arabes qui ont été amenés dans les régions kurdes devront être expulsés”, selon Muslim dans une entrevue avec Serek TV. Le chef du PYD a dit que la situation à Qamishli et Hasakah est particulièrement explosive et que “si cela continue de la même façon, il y aura la guerre entre Kurdes et Arabes.” Qamishli est la plus grande ville kurde en Syrie et Hasakah revendique la plupart de la richesse pétrolière du pays. Les propres forces armées de Muslim, connues comme les Unités de Défense du Peuple (YPG), contrôlent les régions kurdes de Syrie depuis un an et demi. » Extrait d’un site pro-PKK : peaceinkurdistancampaign.com
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Comments
Le texte « Rojava : la Guerre Populaire, ce n’est pas la Guerre de Classe », que vous pouvez lire ci-dessus, représente une contribution de la « Tendance Communiste Internationaliste » (TCI) au débat qui a lieu depuis plusieurs semaines dans certains milieux qui se revendiquent de la « lutte anticapitaliste ». Les points centraux de cette discussion tournent autour des événements actuels au Kurdistan occidental, le Rojava.
Même si généralement nous ne sommes pas d’accord avec le corpus idéologique de la TCI (malgré certaines positions et références programmatiques communes), nous avons néanmoins décidé de publier ici ce texte et de le traduire en tchèque et en français à partir de la version originale anglaise, car nous partageons la défense des positions internationalistes qui y sont abordées. L’État n’est pas simplement une structure constituée du gouvernement, de la police, de l’armée et d’un appareil administratif ; l’État, comme le mouvement communiste l’a déjà saisi, est un rapport social, la matérialisation de l’ordre du monde capitaliste, peu importe si sa légitimité est basée sur des assemblées parlementaires ou communautaires. Si donc le PKK et ses affidés du PYD revendiquent qu’ils ne cherchent pas à créer un État, c’est seulement parce qu’en réalité ils représentent déjà l’État, en raison du rôle, pratique et idéologique, qu’ils jouent au Rojava. Ce que certains des partisans du PKK appellent très justement « un État sans État », c’est-à-dire un État qui ne se territorialise pas obligatoirement sous la forme d’un État-Nation, mais qui in fine constitue un État tout de même dans ce sens où les rapports sociaux capitalistes, la propriété privée, ne sont pas remis fondamentalement en question.
Contrairement aux euro-centristes de tout poil et autres adorateurs de la division du monde entre d’une part des « pays centraux » (d’où seuls pourrait provenir l’étincelle qui allumera le brasier de la révolution) et d’autre part la « périphérie » du capitalisme, nous n’avons aucun doute qu’il y ait un mouvement prolétarien au Rojava (comme dans toute la région du Moyen-Orient, et c’est là déjà un des désaccords de fond que nous avons avec les positions de la TCI en général), un mouvement qui malgré ses faiblesses vise, bien que seulement partiellement, à l’émancipation de la classe ouvrière, et qui dans ce sens fait intégralement partie du mouvement prolétarien mondial qui participe de l’abolition du capitalisme et de la création d’une réelle communauté humaine – le communisme. Ni le PKK ni le PYD cependant ne représentent ce mouvement et cela malgré leurs proclamations apparemment prosocialistes et en faveur de ce fétiche à la mode qu’est la démocratie directe (à travers le soi-disant « tournant politique » du PKK qui aurait adopté le « confédéralisme démocratique », le « communalisme » et le « municipalisme » chers à toute une kyrielle de libertaires proudhoniens à travers le monde). Et si de prétendus révolutionnaires continuent à les soutenir sans critique (ou même en adoptant un « soutien critique » à la Trotski), ils deviendront les fossoyeurs de ce mouvement fragile, de la même façon que cela s’est passé avec le soutien au Front Populaire en Espagne en 1936.
Les principaux acteurs de l’actuelle campagne de soutien international qui se développe pour le Rojava, en se faisant les porte-voix d’organisations comme le PKK ou le PYD et ses groupes armés (YPJ et YPG), ne font rien d’autre que de confondre le mouvement social existant avec les forces politiques organisées et formelles qui clament être les représentants et les dirigeants des luttes en cours. Que des organisations marxistes-léninistes (bolcheviks, staliniennes, maoïstes, trotskistes, etc.), qui n’ont jamais été historiquement que la gauche capitaliste dont la tâche a été, est et sera d’encadrer et de réprimer dans le sang les luttes de notre classe, que ces organisations étatistes soutiennent des organisations-sœurs comme le PKK ou le PYD, quoi de plus normal. Que des « anarchistes », des « libertaires », des « communistes libertaires », des « anarchistes communistes », qui ont toujours prétendu lutter contre l’État, contre toute forme d’État, fassent de même et participent de cette campagne (de manière « critique » ou non), cela ne nous étonne pas non plus mais nous pousse néanmoins à soulever la question et à développer quelques commentaires.
D’abord, cette campagne de « solidarité avec le Rojava », qui n’est qu’une distorsion d’un évident besoin de solidarité avec les prolétaires en lutte dans toute cette région, comme partout dans le monde, cette campagne de soutien à la lutte de libération nationale (ici kurde), n’est pas l’apanage d’une seule famille mais traverse les deux grandes familles idéologiques qui parlent au nom du prolétariat, et provoque même des divisions en leur sein alors qu’elles se déchirent entre d’une part les partisans de la « cause kurde » et des « peuples opprimés » et d’autre part les défenseurs de positions internationalistes. En effet, tant dans la famille idéologique « marxiste » que dans la famille de « l’anarchisme idéologique », on retrouve des pros et des contras. Il est dès lors très visible que les lignes de démarcation ne se situent pas, dans cette question comme de manière plus générale dans la question de la guerre et des tâches des militants révolutionnaires, entre « marxistes » et « anarchistes » mais entre d’un côté les tenants de la libération nationale et donc de l’État bourgeois et du capitalisme (même repeint en rouge) et de l’autre côté les militants qui développent le véritable internationalisme, bref entre les défenseurs du parti bourgeois à destination des prolétaires (la social-démocratie sous toutes les couleurs politiques dont elle est capable de se parer) et les combattants du seul « parti » qui libérera toute l’humanité, le parti du prolétariat révolutionnaire, le parti communiste mondial, « le Parti de l’Anarchie » (Karl Marx).
Ensuite, alors que la quasi-totalité des secteurs de l’anarchisme refuse historiquement et avec la dernière véhémence toute référence à « la dictature du prolétariat », qu’ils assimilent faussement à la véritable dictature de la valeur imposée au prolétariat durant plusieurs décennies au nom du communisme, dans des pays qui s’autoproclamaient « communistes » et étaient désignés comme tels par la propagande bourgeoise occidentale, aujourd’hui on voit ces mêmes « anarchistes » oublier tous leurs « principes » et brandir le drapeau du PKK et de son État comme un « moindre mal » comme l’a récemment révélée une prise de position publiée par le réseau Anarkismo : « La question des relations des anarchistes et des syndicalistes envers des mouvements comme le PKK – mouvements qui ne sont pas explicitement, ou même complètement anarchiste – est matière à controverse. Une partie substantielle du mouvement anarchiste, particulièrement le vaste réseau plateformiste et spécifiste autour d’Anarkismo.net, a soutenu le PKK, bien que de manière critique. […] Dans les circonstances actuelles où l’État Islamique essaye d’envahir Kobanê, même si le confédéralisme démocratique est vaincu au Rojava de manière interne par des éléments du PYD et leur mise en œuvre d’un État, cet État (d’après ce que nous avons lu sur le PYD) sera meilleur que les autres options qui sont de réelles possibilités, étant soit l’État Islamique, soit Assad ou le KRG. […] En résumé, en appliquant notre approche générale, nous pouvons dire de la bataille pour le Rojava : nous soutenons la lutte pour la libération nationale des kurdes, y compris le droit d’exister pour le mouvement de libération nationale ; […] ; notre soutien va, sur une échelle mobile, vers les anarchistes et syndicalistes kurdes en haut, suivis par le PKK, ensuite le PYD et nous traçons une ligne face au KRG ; en termes pratiques, nous nous offrons une solidarité (même si elle est juste verbale) et coopérons autour d’une série de questions concrètes, la plus immédiate étant la bataille pour arrêter l’État Islamique d’extrême droite et défendre la révolution du Rojava ; au sein de cette révolution nous nous alignons au coté du modèle de confédéralisme démocratique du PKK contre l’approche plus étatique des modèles du PYD, et même lorsque nous faisons cela, avec en tout temps l’objectif de proposer nos méthodes, buts et projets et de les faire gagner en influence : nous sommes avec le PKK contre le KRG, mais nous sommes pour la révolution anarchiste avant tout. » [anarkismo.net] [nous soulignons]
Comme on le voit dans cette citation, rien n’a vraiment changé depuis au moins 1936 et « l’anarchisme idéologique » continue tout autant à justifier le « moindre mal » (qui se révèle dans la pratique toujours être le pire !) et à sacrifier ainsi la révolution sociale sur l’autel de la rentabilité politique, du pragmatisme et de l’opportunisme, comme n’importe quelle autre expression de l’arc-en-ciel de la politique bourgeoise. Alors qu’hier en Espagne, ces mêmes « anarchistes » (CNT-FAI) dévoyaient les luttes de notre classe, qu’ils refusaient ce qu’ils ont appelé « la dictature de l’anarchie » (c’est-à-dire l’élaboration de mesures élémentaires et drastiques pour imposer à la bourgeoisie la satisfaction des besoins de la révolution, la lutte contre la propriété privée), alors qu’ils canalisaient le mouvement social sur les rails de la légalité républicaine, ces messieurs dames fricotaient avec les forces du Front Populaire, avec les « socialistes » et les staliniens, entraient dans les gouvernements bourgeois et assumaient ainsi leur rôle dans la répression étatique de notre classe. Aujourd’hui à nouveau, certains « anarchistes » frayent avec les mêmes forces politiques qui ne portent aucun programme prolétarien, aucune perspective révolutionnaire, allant jusqu’à revendiquer ouvertement leur soutien militant non pas aux quelques expressions révolutionnaire émergeant péniblement du bourbier de la paix sociale mais plus prosaïquement aux « luttes populaires progressistes » (cf. le texte d’Anarkismo déjà cité), et cela avec d’autant plus de facilité qu’il est bien difficile de déceler avec force et certitude l’autonomie programmatique et effective de notre classe sur le terrain au Rojava. Aucune force prolétarienne et communiste n’émerge puissamment (du moins au vu du peu d’informations militantes qui proviennent de là-bas) comme il a pu exister par exemple lors des soulèvements de 1991 en Irak où d’importantes expressions de l’associationnisme prolétarien se sont manifestées.
Ce ne sont ici que quelques commentaires par rapport à cet important débat qui dépasse en importance la seule « question kurde » ainsi que le soutien ou non (et comment) à « la résistance au Rojava ». C’est toute la question de la guerre qui est posée, ainsi que la question de la lutte de classe, de la guerre de classe et de l’affirmation du prolétariat comme force organisée imposant la satisfaction de ses besoins. Nous voudrions pour terminer cette petite introduction, proposer quelques autres textes critiques qui nous inspirent, même si nous tenons à émettre de vives réserves quant à certaines de leurs faiblesses et limites. Le débat et la discussion sont loin d’être clos…
PS : Nous voudrions adresser un dernier mot à tous ceux qui, à la suite de ces quelques critiques très peu populaires, mettraient en doute notre solidarité avec les prolétaires en lutte au Moyen-Orient, et comme partout ailleurs : depuis l’émergence du soi-disant « printemps arabe », nous avons publié pas moins de cinq textes et/ou tracts directement consacrés à cette question, qui sont des affirmations tranchées et fermes en faveur des luttes contre la misère et l’exploitation (sans compter les divers textes d’autres groupes que nous avons traduits en tchèque, dont nous avons fait une présentation, et que nous avons diffusé à travers notre réseau militant internationaliste). Outre qu’ils aient été produits dans les trois langues de notre groupe (tchèque, anglais, français), nos textes propres ont été traduits et diffusés à leur tour par diverses expressions militantes à travers le monde, en allemand, arabe, espagnol, grec, italien, portugais, russe, serbo-croate, turc…
Guerre de Classe # *Décembre 2014*