Sartre et la Hongrie

Alors que les communistes internationalistes dénonçaient vigoureusement la répression des travailleurs et des travailleuses en Hongrie, Sartre s’engluait dans son rôle de "compagnon de route" du stalinisme. Au début de novembre 1956, tandis que les combats font rage et que le sang coule à flots, il fit part de sa très faiblarde critique de l’intervention soviétique au magazine l’Express:

... L’angoisse ne m’a pas quitté quand on a vu sortir de prison et soudain surgir au premier plan le cardinal Mindszenty, j’ai pensé: l’URSS va être prise dans une tenaille: on leur a rendu leur cardinal; à quand Horthy [dictateur et "régent à vie", 1920-1944 - Notes Internationalistes] et l’intégration au bloc occidental? [...] Le retour aux anciens partis, la chasse aux membres de la police secrète et, sans doute aussi, aux fonctionnaires communistes [...] tout montrait que l’insurrection hongroise s’orientait vers la liquidation entière de ce qu’on appelle les bases socialistes du régime.

À part une minorité consciente (les intellectuels, l’Union des écrivains) vite dépassée par la masse, les ouvriers et les paysans, après avoir répété les leçons apprises par cœur, se sont trouvés dans une complète confusion, sans aucune éducation politique et sociale. En général, les révolutions populaires se font à gauche. Pour la première fois [...] nous avons assisté à une révolution politique qui évoluait à droite.

Selon sa logique bourgeoise et pernicieuse de ne pas "désespérer Billancourt" (1), le célèbre intellectuel "progressiste" déclarait:

La faute la plus énorme a probablement été le rapport Khrouchtchev, car, à mon avis, la dénonciation publique et solennelle, l’exposition détaillée de tous les crimes d’un personnage sacré qui a représenté si longtemps le régime est une folie quand une telle franchise n’est pas rendue possible par une élévation préalable, et considérable, du niveau de vie de la population. [...] Le résultat a été de découvrir la vérité pour des masses qui n’étaient pas prêtes à la recevoir.

L’intellectuel "progressiste" Sartre n’avait rien compris; ni la prétendue réalité des "bases socialistes du régime" en Hongrie comme en URSS, ni le rôle des intellectuels, ni le potentiel des travailleurs et des travailleuses. Son attitude a pu paraître raisonnable à la "gauche" de l’époque tout comme celle d’aujourd’hui trouve souvent raisonnable de s’associer à tout un assortiment de bureaucrates douteux et de régimes capitalistes d’État au nom du "réalisme" et de l’unité. Hier comme aujourd’hui, ces "intellectuels" et cette "gauche" ont tort, tandis que la critique fondée sur le programme communiste véritable du capitalisme sous toutes ses formes conserve toute sa pertinence et sa vitalité.

(1) En référence à la très importante usine Renault de cette municipalité; Sartre fait preuve ici de la conception méprisante qu’il se fait de la classe ouvrière.