Palestine 2001

Des pages de la presse du BIPR (1)

La tragédie du prolétariat palestinien est destinée à ne jamais finir tant qu’il restera prisonnier des stratégies bourgeoises.

C’est une guerre non déclarée, de faible intensité, mais c’est une guerre. Sur le terrain, il n’y a pas deux armées qui se mesurent, mais une seule armée qui réprime la colère d’une population fatiguée de supporter l’insupportable. Chars armés contre pierres, soldats contre gamins, pendant que répression - terrorisme - répression se succèdent dans une spirale perverse qui semble ne pas avoir de fin. En jeu, le scénario habituel: les deux nationalismes se disputent la même terre mais de positions différentes. L’État d’Israël n’est pas disposé à accorder ne serait-ce que des miettes, craignant d’ouvrir la voie à une série de concessions qui finiraient par renforcer, ultérieurement, les aspirations nationalistes palestiniennes qui pourraient aller au-delà des revendications actuelles sur les territoires occupés. La bourgeoisie palestinienne, celle qui s’identifie dans l’O.L.P. d’Arafat, a renoncé à tout son vieux programme politique pour arriver à avoir un lambeau de terre sur lequel planter le drapeau national.

Derrière ce décor, s’agitent bien d’autres intérêts et forces qui finissent par interférer pesamment sur le tourmenté problème palestinien. En premier lieu, le bras long de l’impérialisme américain. Après la guerre du Golfe, pendant les huit années d’administration Clinton, le problème palestinien a été à l’ordre du jour des attentions américaines. La préoccupation de Clinton était que le conflit décennal entre Palestiniens et Palestiniennes et l’État d’Israël ne dégénère pas dans un conflit ouvert, avec l’intervention éventuelle d’autres pays arabes, parce que cela aurait comporté le risque de remettre en question le réseau d’alliances politiques, lié au pétrole, né justement après la guerre du Golfe. Ceci a rendu moins stratégique, même si toujours important, l’alliance entre le gouvernement des USA et celui d’Israël. Ce fut Clinton qui imposa à Rabin les “accords historiques” d’Oslo dans la tentative de réconcilier un foyer de tensions qui aurait pu avoir non seulement des conséquences négatives sur la gestion, non seulement du pétrole mais aussi de la rente pétrolifère de toute la zone du Moyen-Orient. L’administration Bush elle-même, plus liée aux appareils réactionnaires, au milieu belliciste qui les inspire, a dû condamner comme excessive la réaction israélienne aux actes de terrorisme suicidaire de quelques factions palestiniennes non contrôlées par l’O.L.P. L’Europe timidement, étant donnée son faible poids politique et l’inexistence d’un appareil militaire, mais avec une détermination continue, montra qu’elle volait au secours du monde arabe, dans l’espoir d’avoir dans l’avenir un meilleur accès au pétrole du Moyen-Orient, sans devoir supporter les conséquences d’un alignement aux stratégies de Washington qui ne semblent jamais avoir de fin. De cet angle, s’agite l’initiative de l’O.L.P. et Arafat, conscients du conflit Europe-USA sur le problème pétrolifère, devinant l’importance stratégique mineure de l’État d’Israël dans les plans américains. Ils utilisent l’arme du chantage panarabique et panislamiste entre les peuples “frères” et il sait que son lot nationaliste doit être joué maintenant ou jamais.

Mais, il y a un autre scénario qui doit être pris en considération, et c’est celui du peuple palestinien avec sa composante prolétarienne. Depuis des décennies, on lui demande de donner des gages, en termes de faim, de misère et de sang, pour des intérêts et des objectifs qui ne lui appartiennent pas. En premier lieu, il doit payer des gages et quels gages, à la bourgeoisie israélienne qui n’est pas disposée à lui accorder quoi que ce soit, ni sur le terrain des perspectives, ni sur celui du quotidien. Avec l’arrivée de Sharon, les choses ont empiré. De l’usage de l’eau pour des buts agricoles et alimentaires aux emplois en territoire israélien, des libertés de mouvement à l’intérieur des territoires aux salaires, pour les Palestiniens et les Palestiniennes le calvaire est le seul pain quotidien. Chaque sursaut est réprimé dans le sang, chaque prétention repoussée. La réaction violente au nouvel Intifada, voit chaque jour sa récolte de victimes parmi les jeunes hommes et enfants.

Le second gage, le prolétariat palestinien le paie à sa propre bourgeoisie. Tant la petite, qui vit dans les territoires occupés que la “grande”, celle commerciale et financière qui opère à l’étranger, en termes différents par leurs perspectives et méthodes de lutte, elles ne peuvent que faire référence à la population palestinienne misérable et au prolétariat encore plus misérable pour atteindre leurs objectifs nationalistes respectifs. La première recourt au prolétariat palestinien, comme clé de collision directe avec l’ennemi sioniste, dans la perspective d’avoir son propre État en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, qui ne soit pas seulement une fiction autonomiste d’un point de vue simplement administratif. La seconde, moins intéressée à l’État territorial et plus à celui politique, se contenterait de moins pour être reconnue, et l’usage qu’elle fait du prolétariat palestinien est celui de l’utiliser comme masse de manœuvre politique comme agent de dissuasion à utiliser lors de négociations, avec ou sans Intifada, suivant les besoins et les circonstances.

Le troisième gage que le prolétariat palestinien est contraint de payer, c’est à ces bourgeoisies internationales qui, sur le pétrole et avec le pétrole, entendent établir un des piliers de leur pouvoir économique. Certainement, les USA et l’Europe, mais aussi les pays arabes de la région font du problème palestinien un instrument d’intérêt économique et de stratégie politique. L’Arabie Saoudite, le Koweït et les autres gouvernements de la Ligue arabe liés au pétrole ne mettent pas tous leurs œufs dans le même panier. En principe, ils se déclarent prêts à soutenir la cause des Palestiniens et des Palestiniennes ; évidemment la version modérée de l’O.L.P. À la dernière réunion de la Ligue, ils ont décidé d’affecter 200 millions de dollars en faveur d’Arafat et de la bourgeoisie qu’il représente. Ils se déclarent en même temps alignés en tout et pour tout aux projets américains dans la région et, autant que possible, ils jettent un œil aux propositions des européens en faisant bien attention de ne pas susciter la réaction de Washington. Ce qui les intéresse, ce n’est pas l’avenir qu’auront les Palestiniens et les Palestiniennes, mais une solution paisible du contentieux qui leur permette de continuer dans la gestion de la grande ressource pétrolifère, tranquillement, sans que des événements extérieurs puissent mettre en péril leurs affaires.

Tant que le prolétariat palestinien versera son sang pour une solution nationaliste, quelle qu’elle soit et quelle que soit la fraction bourgeoise à qui il se réfère, il opérera toujours et de chaque manière sur le terrain de la défaite de classe, imposée par les relations intérieures et internationales. Dans l’autre hypothèse, toute à construire, sous la direction d’un parti révolutionnaire, l’unique parcours à suivre est celui qui passe transversalement par les prolétariats de toute la région, celui d’Israël compris. Seule la reprise de la lutte de classe qui implique les prolétariats de Tel-Aviv, de Riyad et du Caire peut poser les prémisses d’une solution aux problèmes. Sinon les luttes, la détermination à la résistance et les milliers de morts finiront par être réabsorbés par le terrain qui les a produits, le nationalisme bourgeois.

F.D.

(1) Ce texte est d’abord paru en italien dans les pages de Battaglia Comunista en mai dernier. Ce journal est publié mensuellement par nos camarades du Partito comunista internazionalista, section italienne du B.I.P.R. Une première version française est par la suite parue dans Bilan & Perspectives #2, revue de nos camarades soutenant le travail du B.I.P.R. en France. La présente version diffère très peu de cette dernière. N.I.- Canada.