Chroniques de la préhistoire

Les rapports de production bourgeois sont la dernière forme antagoniste du processus de production social, antagoniste non pas dans le sens d’un antagonisme individuel, mais d’un antagonisme qui naît des conditions d’existence sociale des individus; cependant les forces productives qui se développent au sein de la société bourgeoise créent en même temps les conditions matérielles pour résoudre cet antagonisme. Avec cette formation sociale s’achève donc la préhistoire de la société humaine.

Karl Marx, Contribution à la Critique de l’économie politique, 1859

Le climat politique

... à chaque pas il nous est rappelé, qu’en aucune façon, nous ne régnons sur la nature comme un conquérant sur un peuple étranger, comme quelqu’un en dehors de la nature- mais que nous, avec notre chair, notre sang et notre cerveau, appartenons à la nature...

Engels, Dialectique de la nature

La population inuit du Grand Nord canadien était depuis toujours habituée aux blizzards et aux aurores boréales, mais le tonnerre et les éclairs constituent une nouveauté inquiétante pour elle.

Pour les scientifiques, l’apparition d’orages électriques dans l’Arctique prouve que le réchauffement de la planète et les changements climatiques durables ne sont désormais plus une hypothèse, mais un fait.

Selon une étude publiée en novembre dernier par l’Institut international du développement durable de Winnipeg, au Manitoba, des changements importants sont en cours dans cette région. On y constate la fonte du permafrost, l’amincissement de la banquise, des coulées de boue et même la disparition d’un lac, après l’effondrement de ses berges, naguère glacées.

Malheureusement, toutes les études climatologiques sérieuses confirment que ces modifications considérables de notre environnement ne sont pas restreints au Grand Nord. Les bouleversements provoqués par le réchauffement terrestre auront de rudes impacts aux quatre coins de la planète. Ainsi, les conclusions d’une recherche commandée par l’ONU au Groupe intergouvernemental sur l’évolution du climat, parue à Genève sous le titre “Changement climatique 2001: impacts, adaptation et vulnérabilité”, dressent un sombre portrait. La température globale de la planète augmentera vraisemblablement de 1,4 degré Celsius à 5,8 degrés Celcius. Conséquemment, le niveau de la mer connaîtra une hausse qui se situera entre neuf et 88 centimètres. La hausse de la température aura de plus un effet non-négligeable sur la pression atmosphérique.

Cela aura pour effet des inondations et des sécheresses plus nombreuses, la multiplication des ouragans, des tornades et des raz-de-marée, des espaces naturels endommagés de façon irréversible et une hausse de plusieurs maladies infectieuses. On y prédit aussi que la “distribution des impacts du réchauffement climatique augmentera la disparité entre les riches et les pauvres”. De nombreuses “guerres de l’eau” sont également à prévoir, car du fait de la pénurie, des nombreuses rivières se transformeront de sources de vie en fleuves de la discorde. Ce sombre futur a déjà commencé à affecter tragiquement nos vies. Ainsi, selon le plus grand réassureur mondial, le groupe allemand Munich Ré, le nombre de cataclysmes “naturels” a battu un nouveau record en l’an 2000 en atteignant 850 catastrophes à l’échelle mondiale, soit 100 de plus que l’année précédente et 200 de plus que la moyenne annuelle des années 90. Enfin, le responsable du Secrétariat de la Convention sur la diversité biologique, M. Hamdallah Zedan, annonçait dans un discours prononcé à Montréal à la fin novembre, que la Terre vit présentement une période d’extinction de masse et que:

la moitié des espèces vivantes disparaîtront durant le 21ème siècle si les changements environnementaux continuent au même rythme.

Pourtant, les réponses aux menaces causées par le réchauffement climatiques existent. Elles sont simples mais radicales. Elles ne sont pas techniques mais politiques. Alors qu’en 1997, la Conférence de Kyoto s’engageait à réduire les émissions de gaz carbonique de 5% sur 20 ans (une promesse qui ne sera clairement pas tenue), les commissions scientifiques exigent instamment une réduction de 60%. C’est le prix minimal de la survie. Un prix inatteignable pour le mode de production capitaliste qui est structurellement productiviste. C’est ce que Marx a démontré dans le Capital où il écrivait:

Accumuler pour accumuler, produire pour produire, telle est le mot d’ordre de l’économie politique proclamant la mission historique de la période bourgeoise. Et elle ne s’est pas fait un instant illusion sur les douleurs d’enfantement de la richesse...

Voilà pourquoi il ne sert à rien de proposer, à l’image des verts, une stratégie régulatrice pour sauver la planète. La logique du marché et du profit s’y opposeront inévitablement. Toutes les réformes, les législations et les réglementations seront vaines. On a qu’à étudier le comportement et les résultats des écologistes, au pouvoir comme dans l’opposition, pour constater que le capitalisme, même drapé de vert, constitue la pire menace à notre survie. S’en débarrasser, c’est faire acte d’hygiène élémentaire. Seule une révolution communiste véritable, s’attaquant à la logique productiviste à la base du capitalisme, organisant la production en fonction des besoins plutôt que les profits, offre un espoir à l’humanité.

L’économie politique du sang

En l’espace de quelques mois cet automne, des scandales marqués par des rappels massifs de pneus ont dramatiquement illustré la contradiction fondamentale existant entre le bien-être public et l’économie de marché.

Tour à tour, les compagnies Bridgestone/Firestone et Goodyear ont dû rappeler des millions de pneus, mais la majorité des items périlleux demeurent cependant en circulation. Dans le premier cas, Bridgestone/Firestone est mise en cause dans des accidents ayant causé la mort de plus de 250 personnes à travers le monde. Les pneus, qui éclataient sans raison apparente, équipaient souvent des véhicules utilitaires légers, souvent des Ford Explorer, un modèle extrêmement populaire mais dont la conception est déficiente et dangereuse parce que trop lourde du haut. Plus récemment, c’est le pneu de type “E” de Goodyear qui a fait l’objet d’un “rappel silencieux” de la part de cette compagnie, qui cherche ainsi à éviter à tout prix un scandale aux lourdes conséquences financières. Là aussi, les pneus en question équipaient des véhicules utilitaires légers et de petits autobus scolaires impliqués dans des accidents ayant causé la mort de nombreuses victimes. Dans les deux dossiers, les organismes responsables de la sécurité publique sont poliment accusés de s’être “endormis au volant”. En clair, il s’avère qu’on a tenté d’étouffer ces affaires.

Les éditorialistes bourgeois, s’ils déplorent unanimement les atermoiements des organismes de contrôle, ou même quelques fois “l’insouciance” des compagnies, en arrivent toujours à invoquer le fatalisme des inévitables bavures liées au progrès technologiques.

Or, toute l’histoire du capitalisme nous amène plutôt à parler ici de meurtres froids et calculés.

Prenons un exemple lié aussi à l’industrie automobile, le cas Grimshaw vs Ford en 1981. Le réservoir d’essence des Ford Pinto avait la malencontreuse habitude d’exploser lors de collisions banales, à des vitesses aussi peu élevées que 34 kilomètres-heure. Les Pintos se transformaient alors en boules de feu et les passagers et passagères en torches humaines. La compagnie était parfaitement au courant du défaut et avait estimé qu’il en coûterait environ 137 millions par année pour le corriger.

Or, dans un exercice comptable satanique, balançant les coûts versus les profits, Ford décida de laisser brûler sa clientèle! Estimant, que le “problème” causerait en moyenne 180 morts et autant de blessures graves par année et que les poursuites coûteraient 49,5 millions annuellement, Ford décida tout simplement de se taire et d’empocher le 87,5 millions de différence...C’est ce que Marx et Engels appelaient les “eaux glacées du calcul égoïste”. Bien sûr, les capitalistes n’avaient pas l’habitude de se promener en Pinto! Et bien évidemment, les assassins n’ont jamais été condamnés.

Cas exceptionnel découlant d’une administration sans scrupule? Et si on se rappelait du stérilet Dalkon Shield de la compagnie A.H. Robbins, des implants mammaires de la Dow Corning Corporation, de l’abominable amiante que les nationalistes au pouvoir à Québec ambitionnent toujours de faire gober à la planète entière ou encore des compagnies de tabac... Non, il ne s’agit pas ici de bavures. C’est tout un système qui nous menace dans notre existence même. Un système que nous condamnons et pour lequel nous préparons une sentence implacable et sans appel.

Classes sociales et vie privée

“Une fois que l’ouvrier a subi l’exploitation du fabricant et qu’il a reçu son salaire en argent comptant, il devient la proie d’autres membres de la bourgeoisie, du petit propriétaire, de l’épicier, du prêteur sur gages, etc.” Voilà ce qu’écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste du Parti Communiste. L’étude de la situation des classes laborieuses depuis ce temps n’a fait que confirmer par cents et par mille les accointances et les connivences de la bourgeoisie et de son État pour nous sucer jusqu’à la moelle de nos os et le sang de nos veines.

L’actualité vient régulièrement confirmer le caractère totalitaire de l’exploitation capitaliste. Ainsi, prenons le cas de la Virginie, située juste au sud de Washington, la capitale des États-Unis. Le Sénat de la Virginie vient en effet de voter un projet de loi permettant à un comté de cet État d’interdire à la population de dormir dans des pièces autres que leurs chambres à coucher. Étonnante législation, elle viserait officiellement à assurer la tranquillité du voisinage là où l’extrême pauvreté force les familles à se réunir en grand nombre dans de petites maisons. En vérité, il y a fort à parier que la loi vise plutôt à maintenir le marché locatif en faveur des propriétaires immobiliers.

De l’avis même de l’État, environ 80 000 ménages se retrouveraient dans une situation où ils violeraient la loi du simple fait d’une cohabitation forcée ou de l’accueil d’un parent souffrant. Outre le service que la loi rend aux propriétaires de taudis, la pénalisation des prolos ayant du mal à se payer un logement et l’intrusion indécente qu’elle permet dans leurs vies privées, cette loi aura pour effet d’augmenter le nombre des sans-logis.

Pourtant, même l’Association américaines des maires admet une augmentation de 17% des familles sans-abri l’an passé. Alors que s’annoncent les misères accentuées d’une nouvelle récession, ce nouvel affront à la dignité humaine démontre encore une fois que sous le capitalisme, c’est la puissance abjecte de l’inhumain qui domine.

"Les loups, les porcs et les sales chiens de la vieille société (1)"

Nous avons consacré quelques lignes l’automne passé à la populaire émission “Survivor”, “véritable tableau vivant de la déchéance morale dans laquelle le capitalisme entraîne l’humanité”. Passons maintenant du tableau vivant à une “nature morte” d’un goût tout aussi macabre. Il s’agit de la poupée “Marv, le condamné à mort”.

Le jouet présente une homme ligoté à une chaise électrique et qui mérite manifestement qu’on lui administre une décharge fatale. Pour rassurer les éventuels bourreaux, le condamné n’a pas l’air très sympathique. Pourquoi diable le serait-il, puisqu’un bon juge qui insiste qu’on lui donne du “votre honneur” l’a déjà condamné? Il s’agit alors tout simplement de déclencher le mécanisme pour que commence le spectacle. Le corps du supplicié se convulse, ses yeux s’illuminent en rouge puis, après avoir suffisamment expiée, la poupée meurt enfin. On suppose que son âme s’engouffre alors dans les flammes de la damnation éternelle...

L’édifiant jouet, vendu par dizaines de milliers à travers le monde est déjà un grand succès commercial. Et quel succès! La naissance, les relations humaines, l’amour, la mort elle-même, tout, absolument tout est depuis longtemps réduit à de simples questions d’argent. La bourgeoisie a commercialisé tous ces inutiles questions de sentimentalité. “Exécrable soif de l’or”, écrivait Virgile. Horresco referens! (2)

(1) Marx, À Kugelmann, 12 avril 1871.

(2) “Je frémis en le racontant!”