L'unité nationale est le poison préféré du capital

Le 16 décembre 2024, l'ancienne ministre des Finances libérale Chrystia Freeland a publié sa lettre de démission du cabinet, invoquant des réserves concernant l'approche du gouvernement Trudeau face à la crise du niveau de vie qui frappe les Canadiens. La lettre affirmait que le Canada pouvait « difficilement se permettre » des mesures douteuses comme les congés fiscaux de Trudeau, et devait se concentrer sur les tarifs américains imminents sur les produits canadiens. Cette démission a été le point de rupture pour un gouvernement Trudeau déjà faible. Les députés libéraux ont rapidement abandonné Trudeau, le forçant à annoncer son intention de démissionner après une nouvelle course à la direction. Mais en guise de dernier acte de départ, Trudeau a prorogé le Parlement. La crise parlementaire devait être mise en pause et la crise économique provoquée par les tarifs douaniers de Trump devait occuper le devant de la scène.

Trump a présenté les tarifs comme un moyen de pression contre le Canada et le Mexique, pour leur faire comprendre l’urgence de sécuriser les frontières pour empêcher l’entrée de drogue aux États-Unis. Malgré les questions juridiques entourant cette initiative, compte tenu de l’accord commercial conclu par Trump lors de son premier mandat, il a signé un décret exécutif qui entrera en vigueur le 1er février, imposant un tarif forfaitaire de 25 % sur tous les biens canadiens, à l’exception de l’énergie, qui seront désormais taxés à 10 %. Mais à la dernière minute, Trump a accepté de reporter d'un mois la date d'entrée en vigueur des tarifs douaniers, en échange de mesures de sécurité renforcées aux frontières de la part des deux pays - des mesures qui, malgré ses vantardises, avaient déjà été planifiées depuis des semaines sans son intervention. Même après, une série de tarifs douaniers sur l'acier et l'aluminium ont suivi indépendamment de ceux-ci, qui devraient reprendre comme prévu le 4 mars. Quel est l'intérêt de tous ces gestes apparemment erratiques?

Quelle que soit leur base en matière de politique frontalière, il est clair que les diverses politiques tarifaires de Trump ont des fondements plus larges. Trump prévoit de concentrer toute l’influence des États-Unis sur ses alliés afin de faire face à la crise de l'économie américaine. Il y a une certaine logique ici ; de crainte d’enregistrer un déficit commercial en conjonction avec un déficit budgétaire attribué à la sortie de dollars américains par les consommateurs, les tarifs empêcheraient en principe les consommateurs américains de dépenser leur argent en importations par rapport à la consommation intérieure, subventionnant les producteurs de biens américains tout en refroidissant la consommation des consommateurs et en encourageant la croissance de l’épargne, décourageant ainsi l’inflation. En un mot, cela offre un moyen de s'attaquer au problème de l'inflation en contournant la Réserve fédérale, que Trump a tenu à freiner après ses querelles publiques avec Powell. Imputer la responsabilité de la poursuite de l’inflation à la surconsommation des ménages ne sert pas à grand-chose face à la crise systémique à laquelle est confronté le capital. Que ce soit par des hausses de taux d'intérêt ou des droits de douane, aucun capitaliste ne peut empêcher le mécanisme intrinsèquement déflationniste d'accumulation des profits qui mène à la crise et à la misère.

À la suite des menaces de Trump, la classe dirigeante canadienne a trouvé un second souffle en enflammant le nationalisme à travers le pays, exhortant tout le monde à « acheter canadien », et en désignant le premier ministre Doug Ford comme le principal défenseur du capital canadien. Elle a également accordé la faveur publique au parlement en place et a recentré l’attention des médias sur la course à la direction, plutôt que sur l’étendue du mandat de Poilièvre.

Au sein du camp libéral, les espoirs de Freeland de se présenter comme suffisamment loin de Trudeau pour être considérée comme la championne capable de surmonter cette crise ont apparemment été anéantis lorsque la candidate technocrate la plus typiquement canadienne à un poste de haut rang est entrée en lice un mois plus tard : Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre. Incarnant tous les identificateurs culturels standards d’un chef du « parti naturel au pouvoir au Canada », Carney permet au Parti libéral de signifier un changement de direction en douceur de la marque Trudeau en déclin de justice sociale institutionnelle du milieu des années 2010 et de revenir à sa présentation éprouvée comme le parti des affaires de l’État et du marché gérées rationnellement sans donner l’impression d’avoir commis une grave erreur de jugement. Ayant le pedigree de se présenter comme un ancien nommé par Harper détaché et non partisan, respectueux du conservatisme « raisonnable » pré-Trump et appréciant ouvertement la tendance néo-keynésienne de la théorie monétaire moderne, Carney a injecté une nouvelle viabilité dans un parti en difficulté précisément au moment même où le chef du Parti conservateur Pierre Poilievre souffrait du péché capital politique d’apparaître trop « comme Trump » dans son conflit avec l’administration de la sécurité canadienne au sujet du renseignement national. Trudeau s'est positionné comme un défenseur de l'économie canadienne et un défi aux tarifs douaniers de Trump. Même si les conservateurs sont toujours en tête des sondages, Carney est sur le point de réussir grâce à la nouvelle image de Trudeau, la décision existentielle de savoir qui dirigera le Canada pendant cette période accrue de lutte impérialiste pèse sur les travailleurs.

Quel que soit le gagnant, ni la victoire des conservateurs ni celle des libéraux n'offre de perspectives fructueuses pour la classe ouvrière. Bien que Trump et ses menaces économiques revêtent une importance historique, les conséquences inflationnistes d’une guerre commerciale ne sont que des symptômes de la crise sous-jacente du capital. Que les tarifs douaniers ou les hausses des taux d’intérêt soient destinés à faire transpirer l’économie pour éponger ses problèmes, le résultat sera le même : un dénuement supplémentaire imposé à la classe en raison de l’assèchement du puits de rentabilité. Trump ne fait qu'appuyer sur l'accélérateur pour accélérer et transférer ce processus au marché mondial, mais il est clair que le phénomène ne se limite pas à un seul pays en raison de la nature internationale du capital. Aux États-Unis, les travailleurs sont déjà confrontés à l'hydre de la répression accrue des grèves par l'EDSC, du renforcement du contrôle de l'immigration et de la menace d'une bulle immobilière. Qu'il y ait eu ou non un bouc émissaire Trump, ce sont toutes des menaces concrètes qui pèsent sur notre classe et qui sont déjà des provocations ou de nouvelles attaques à venir de la part des patrons. Au contraire, le nationalisme suscité par les tarifs douaniers ne fera qu'aider le prochain parlement à sévir en obligeant les travailleurs à faire eux-mêmes leur part. C'est précisément pourquoi nous devons combattre toute illusion selon laquelle nous devrions « travailler avec l'État canadien » dans le contexte d'une guerre commerciale, car comme l'histoire de notre classe nous l'a montré, chaque tentative de ce genre aboutit à ce que les travailleurs se conduisent eux-mêmes à la potence, souvent littéralement.

Pourquoi la classe ouvrière a besoin d'un parti

La classe ouvrière ne peut avoir aucune influence sur l'État capitaliste et ses partis politiques. Ce ne sont que des organismes qui gèrent l'exploitation de notre classe. Tous les partis capitalistes ont pour objectif de mener l'assaut nécessaire contre les travailleurs et la rivalité impérialiste pour le capital, quelle que soit la rhétorique. La classe ouvrière doit former son propre parti politique basé sur son propre programme politique. Ne vise pas les intérêts d’un secteur spécifique de la classe, nationale ou autre, mais sur la base de la classe ouvrière comme classe historique internationale capable de s’imposer à l’histoire.

Quand on parle d'un parti de la classe ouvrière, on ne parle pas d'un parti sous la forme ancienne des partis capitalistes qui prétendent représenter la classe ouvrière. Aucun autre parti du cirque parlementaire. Il ne s’agit pas d’un autre parti qui vise à s’emparer des leviers existants du pouvoir d’État. Un parti communiste correspond essentiellement à la tâche historique de la classe ouvrière, à savoir la destruction de l’État et la lutte pour abolir la société de classes elle-même. Le parti de la classe ouvrière diffère fondamentalement, dans sa forme et sa fonction, des partis du capital. Au lieu de discours parlementaires, c'est un parti qui place sa vie dans les luttes de classe. Il s'efforce, dans toutes les luttes immédiates, de mettre en lumière la lutte générale de la classe dans son ensemble et de démontrer son leadership à la classe, en indiquant la voie à suivre vers le but final. Plutôt qu'un parti du capital national, c'est un parti de classe internationale. Elle s'organise autour des principes de l'internationalisme et se bat pour l'objectif révolutionnaire mondial.

Le parti communiste est une arme indispensable de la classe ouvrière. C'est seulement par sa force que la classe ouvrière dans son ensemble peut être centralisée autour de la tâche historique de débarrasser l'humanité de la société de classes, au-delà des revendications sectorielles, nationales ou immédiates spécifiques des sections individuelles de la classe. Cela ne veut pas dire que tout ce que la classe ouvrière doit faire, c'est former un parti communiste mondial; le parti ne peut être qu'une minorité de la classe et ne peut se substituer à l'ensemble. La révolution ouvrière est une révolution sociale, pas seulement politique. Elle sera active à travers les organismes de masse de la classe, les conseils ouvriers, et son fondement sera l’activité de masse et la conscience de la classe ouvrière elle-même. Le parti ne peut jamais se substituer à la classe ni prendre le pouvoir à sa place en son nom. Sa tâche est de lutter en première ligne de la lutte des classes, en indiquant la voie vers le but final et en unifiant la classe à cette fin. C'est l'organe fondamental pour tirer les leçons des défaites passées et comprendre la victoire finale.

Aujourd'hui, la force globale de notre classe est faible. Bien que certaines sections de notre classe aient un certain esprit combatif, les luttes se limitent souvent à des grèves isolées dominées par les syndicats. Les révolutionnaires sont peu nombreux, dispersés et désorganisés. Mais ça ne doit pas être une raison pour sombrer dans le désespoir et rester les bras croisés. Le futur parti mondial sera basé sur le travail réel des communistes d’aujourd’hui. Être présent aux luttes des travailleurs d'aujourd'hui qui luttent pour le droit d'être entendu. Le parti est toujours nécessaire, et remettre à plus tard, à une période plus favorable, les efforts pour l'établir serait détruire les fondations sur lesquelles il sera construit. Lors de la dernière grande vague révolutionnaire, le retard dans la formation de notre parti s'est avéré désastreux et s'est soldé par la défaite de notre classe. Une leçon se dégage surtout : Pour que la classe réalise ses possibilités invincibles, seul un parti révolutionnaire peut lui donner la cohésion, la direction et la forme nécessaires pour se lever.

Klasbatalo
Wednesday, March 5, 2025