Une police de guerre civile

Il semble que nous n'en soyons plus à réclamer l'application de la loi et le respect des droits de l'homme comme le fait, en bon humaniste, La Ligue des droits de l'homme. « On est dans une stratégie d’écrasement de la contestation passant par les escadrons de CRS et de gendarmes mobiles, mais aussi les BAC et d’autres unités non-formées au maintien de l’ordre, sans parler de l’exhumation des voltigeurs en BRAVs, ou encore de l’affaire Benalla dans le rôle d’officier de réserve tendance barbouze. » (Entretien avec Michel Kokoreff, sociologue).

Il est donc vain de vociférer contre les violences policières puisque c'est au-delà des violences policières que le gouvernement français se positionne. Effectivement ce qui s'est passé à Sainte-Soline montre bien vers quoi s'oriente le pouvoir avec la militarisation du « maintien de l'ordre ». Cela se voit très nettement, « à la fois dans son apparence, son équipement et son armement de plus en plus sophistiqués, le souci de protection des forces de l’ordre, les dispositifs de quadrillage de l’espace urbain, voire l’usage de blindés comme à Notre-Dame-Des-Landes, ou lors des Gilets jaunes sur les Champs-Élysées. On n’est plus dans des missions de « préservation de "l’ordre public", on est dans autre chose qui relève de logiques militaires. Il n’y a pas plus d’adversaires mais des ennemis... » (Kokoreff) Nous avons pu entendre d'ailleurs un officier supérieur de gendarmerie à Sainte-Soline parler d'ennemis à propos des manifestants. L'on sait que c'est la hiérarchie supérieure qui prend les décisions d'intervention, ainsi on a appris qu'à Sainte-Soline les instructions données étaient hors de proportion avec la réalité sans compter l'ordre donné de ne pas laisser passer les secours pour les blessés. Jean-Louis Debré, ancien ministre de l'Intérieur dira à propos des ordres de Darmanin (ministre actuel de l'intérieur) : « Avec lui, tout le monde est un terroriste ! Il est celui qui incarne un changement de pied. Il veut faire peur aux gens qui manifestent » Et Jean-Louis Debré n'est pas un dangereux « gauchiste » !

Voilà un autre axe du pouvoir actuel, terroriser la population et lui montrer les dangers qu'il y a de manifester et à se battre pour obtenir de simples améliorations de son niveau de vie. Sainte-Soline est la préfiguration de ce que les médias traditionnels nous serinent tout le temps depuis l'épisode des Gilets jaunes : la défense de la « violence légitime » de l'Etat. Or, la nouvelle doctrine du maintien de l'ordre depuis 2018, c'est aller à l'affrontement avec ceux qui manifestent. Il y avait à Sainte-Soline 3200 agents des forces de l’ordre, un canon à eau, deux hélicoptères, des blindés qui tirent des grenades, des drones, des quads, des camions bâchés pour protéger et défendre... une bassine ! Quel ridicule quand on songe à l'enjeu ! C'est la guerre contre la population que nous avons eu sous les yeux et qui va se renouveler.

Ce fut la terreur, la guerre avec une pluie de 4000 grenades en 2 heures soit plus de 30 grenades à la minute. Parmi ses grenades, il y eut plus 260 grenades explosives (les G2ML) soit plus de 2 à la minute. La gendarmerie a aussi utilisé des grenades de désencerclement (GMD) et effectué plusieurs tirs non-réglementaires avec des lance-grenades Cougar qui ont blessé de nombreux manifestants. Il y eut 200 blessés dont 40 graves et deux personnes dans le coma.

Pourquoi cette politique ? Parce que l'État se sent assiégé par une société qui n'accepte plus la situation sociale et politique. La bourgeoisie le sait et s'attend à des luttes violentes dans le futur. Elle se prépare. Elle a effectué pour les gendarmes et les CRS, une commande record de 10 millions de grenades lacrymogènes en décembre juste avant la lutte contre les retraites.

Pour l'instant, l'État français tient bien en main sa police. Même si, ici ou là, il peut exister des réactions de rejet aux ordres donnés. Certains policiers ne comprennent plus ce qu'on leur fait faire comme le démontre ce témoignage, rapporté au Monde, d’une sincérité brute. Une policière mobilisée depuis le début du mouvement des « gilets jaunes » n’en est pas à sa première munition de la journée : « J’avais déjà tiré plusieurs fois, des tirs justifiés, sur des personnes en train de commettre des infractions », raconte-t-elle à l’un de ses amis. La suite, elle ne sait pas très bien comment l’expliquer. « J’ai mis la cartouche, j’ai vu un manifestant, j’ai visé la tête et j’ai tiré, sans raison. » La cible, touchée sans gravité, prend la fuite. La policière, elle, reste avec ses questions : « Je ne sais pas du tout pourquoi j’ai fait ça. » Voilà où l'on en arrive quand le pouvoir laisse la force brute s'exprimer.

Par ailleurs, il ne faut pas s'attendre à l'intervention des structures internationales. Elles sont là pour masquer à nos yeux la brutalité de la répression étatique qui est la caractéristiques de tous les États. En principe la bourgeoisie ne nous fait jamais de cadeaux mais sa politique est plus sournoise et plus diplomatique. Elle réprime mais en y mettant les formés afin de ne pas se mettre en danger d'agir comme le ferait de vulgaires pays autoritaires. D'ailleurs quand une de ces fractions dépasse les bornes, elle reçoit des critiques. C'est le cas de l’ONU qui a demandé à la France d’enquêter sur « l’usage excessif de la force » en 2019 en citant la France entre le Venezuela et Haïti. Quelle claque pour le pays des droits de l'homme. Benjamin Griveaux, alors porte-parole du gouvernement, s’était étonné de voir la France citée « dans une liste entre le Venezuela et Haïti, où il y a eu des morts ». Et à nouveau en 2023, c'est au tour de la commissaire aux Droits de l'Homme du Conseil de l'Europe, Dunja Mijatovic, de s'alarmer, vendredi 24 mars, d'un « usage excessif de la force » envers les manifestants contre la réforme des retraites, appelant la France à respecter le droit de manifester. De toute façon ce n'est pas nouveau. La France a déjà été condamnée pour son usage excessif et répété de la force dans son protocole de maintien de l'ordre par la Cour européenne des droits de l'Homme en 2017 puis en 2019.

Bilan et Perspectives
30 avril 2023

Notes :

Image : HerRob (CC BY-SA 4.0), commons.wikimedia.org

Saturday, May 6, 2023