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Accueil ›L’Hécatombe invisible : Enquête sur les morts au travail
Nous publions cette réflexion sur les accidents du travail car elle montre que les travailleurs gagnent leur vie en travaillant mais aussi qu'ils la perdent du fait des conditions actuelles inhumaines du capitalisme à la recherche de toujours plus de profits. Engels le montrait dans son livre « La Situation de la classe ouvrière en Angleterre» en 1844. Il écrivait, ceux qui ne possèdent pas de moyens de subsistance ou les moyens de production sont réduits à peiner pour un maigre salaire ou à mourir de faim quand ils sont au chômage. Engels critique dans cet ouvrage le caractère inhumain du capitalisme qui transforme les exploiteurs en une classe profondément immorale. Marx en 1880 dans son introduction de l'« l’Enquête ouvrière » s’adresse directement aux ouvriers, il affirme qu’ils étaient les seuls à pouvoir décrire « en toute connaissance de cause les maux qu’ils endurent ».
Rien n'a changé contrairement à ce que tous les bourgeois veulent faire croire comme Aurore Bergé (député cité ci-dessous) ainsi que tous ceux qui se gargarisent du fait que la lutte des classes n'existe plus !
Donnons quelques autres exemples de la condition ouvrière actuellement. 42% des Français ont supprimé un repas par jour selon un sondage de l'IFOP pour le journal « La table des chefs » et le Figaro (10-4-24). Le BIT indique qu'il y avait 20 millions de décès au travail par an dans le monde soit 5000 par jour. A son XVI° Congrès mondial du 26-31 mai 1990, il précise que le nombre de décès annuel augmente depuis 1990. L'on voit les dégâts de la mondialisation à la recherche de super profits.
Mais en 2012 l'OIT indique aussi que 21 millions de personnes sont victimes de travail forcé dans le monde. Et, il ne s'agit pas que d'un mal qui ronge l'Asie ou les pays moins développés. Il y a 1,5 millions de travailleurs forcés dans l'UE soit 7% de travailleurs.
Bilan et Perspectives
Lorsqu'il était ministre de l'économie en 2016, Macron a déclaré qu'il était plus risqué d'être entrepreneur que salarié, car on risquait de tout perdre. On se souviendra aussi qu'il a dit ne pas aimer la notion de travail pénible car ça donnait l’impression que le travail est pénible. Aurore Bergé a affirmé en 2019 qu'on ne meurt plus au travail. Il y avait eu 4 décès liés au travail dans les quelques jours précédant sa déclaration. En 2022, après la mort d'un travailleur dans les sous-sols de l'Assemblée nationale, Bergé, désormais chef du groupe LREM à la chambre basse, a accusé ses adversaires d'avoir instrumentalisé cette mort. Récemment, un ancien du PS devenu chef du groupe LREM au Sénat s'est couvert de ridicule à la télévision en déclarant que le travail n'était plus pénible parce que tout le monde utilisait des exosquelettes.
Chaque année, environ 1 million de travailleurs en France sont victimes d'accidents du travail. Le silence des médias sur la question est assourdissant. La France compte le plus grand nombre de morts au travail en Europe, avec 3.25 morts pour 100 000 travailleurs. En 2019, 804 morts ont été recensés, soit le double de l'Allemagne et de la moyenne européenne. La France est le seul pays de l'UE où le nombre de morts augmente, avec actuellement 1200 morts liés au travail (y compris de maladies professionnelles) par an (pp. 21, 209). Le travail précaire, le manque de formation, le recours à l'intérim, la sous-traitance, l’ubérisation, les entreprises déresponsabilisées et la dégradation des conditions de travail sont en cause.
Matthieu Lépine, enseignant d’histoire-géographie en Seine-Saint-Denis, recense depuis 4 ans les morts au travail en France pendant son temps libre. On peut suivre ses travaux sur le compte Twitter @DuAccident. Il s'est inspiré des comptes signalant les violences policières. Il taggue souvent l'actuel ministre du Travail. Il souhaite rappeler qu'il ne s'agit pas de simples accidents, mais du résultat d’actions et d'inaction politiques. Après tout, le ministère a été créé sous Clemenceau en 1906 (même si le ministère était une idée qui traînait depuis 1848 et avait brièvement existé pendant la Commune) en réponse à la colère résultant de la catastrophe de Courrières, le pire accident minier d'Europe. Depuis 2019, de nombreux journalistes, syndicalistes, inspecteurs du travail, avocats, victimes d'accidents, familles, l'ont contacté et cela a abouti à un livre, L'Hécatombe invisible : Enquête sur les morts au travail.
Dans sa méthodologie, il a décidé de compter policiers, soldats et gardiens de prison tout en sachant qu’ils « représentent les organes de répression des mouvements populaires et ouvriers » (p.14). Il explique que c'est parce qu'il inclut toutes les personnes qui meurent au travail, et pas seulement la classe ouvrière, même si elle constitue la majorité des victimes. Il explique également qu'il n'est pas en mesure de comptabiliser les morts survenus pendant les trajets entre domicile et lieu de travail, ni les morts résultant de maladies professionnelles. Il précise que s’il a d'abord pris en compte les suicides, il n'a finalement pas pu le faire par manque d'informations dans un certain nombre de cas. Néanmoins, il prend le temps de souligner que les suicides sont souvent la conséquence directe des conditions de travail. Il évoque les suicides de France Télécom. Il évoque également la directrice d’école Christine Renon qui, en 2019, s’est suicidée dans son bureau en laissant derrière elle une lettre accusant son employeur. Lépine se demande combien de suicides les employeurs peuvent balayer d'un revers de main parce qu’il n'y avait pas de note accusant les conditions de travail. C’est similaire au récent suicide de la directrice d’école Ruth Perry au Royaume-Uni. Il est du devoir des communistes de montrer que les conditions en France sont les mêmes que dans le reste du monde. Ces morts ne sont pas des événements anormaux mais des produits du système capitaliste.
Lépine a trouvé que les jeunes travailleurs sont particulièrement vulnérables. Les accidents du travail sont 2.5 fois plus fréquents chez les travailleurs de moins de 25 ans (p.35). La principale raison en est le manque de formation professionnelle. En 2019, les travailleurs de moins de 20 ans représentaient 26 898 des accidents du travail. Les travailleurs en contrat d'apprentissage en ont représenté 10 301. Plus d'un par heure (pp.26-7). Les accidents graves du travail ont augmenté d’un tiers chez les apprentis agricoles (p.35). Les contrats d'apprentissage, qui fournissent une force de travail quasi gratuite, ont fait la fierté de plusieurs gouvernements successifs, et leur nombre a doublé au cours du premier quinquennat de Macron. Lépine note que d’autres partis politiques, comme LR ou le RN, sont d'accord avec cette politique et réclament même l’abaissement de l’âge minimum requis pour travailler. Là encore, il ne s’agit pas d'un phénomène spécifiquement français. Dans le monde entier, le système capitaliste est avide de travail vivant jeune, comme démontré récemment par le New Jersey et l'Arkansas.
Lépine a constaté que les travailleurs intérimaires, sous-traitants, illégaux et détachés sont parmi les plus vulnérables. La fréquence des accidents chez les intérimaires est le double de celle des autres travailleurs, et ils sont généralement plus graves (p.67). Ils sont victimes à la fois de la négligence de l’employeur et de l'agence d’intérim en matière de formation et des risques pour leur santé et leur vie. Ils sont passés de 232 000 en 1990 à 851 000 en 2021 (p.61). La sous-traitance s'est développée en conjonction avec l’intérim. Lépine donne l'exemple des ‘nomades du nucléaire’, des travailleurs qui vont de centrale en centrale pour effectuer les tâches les plus dangereuses (ceci afin que les salariés d'EDF ne dépassent pas la limite d'exposition aux radiations, un exemple clair d'extériorisation des risques). Il relate des cas de travailleurs clandestins abandonnés ou menacés par leurs patrons en cas d’accident. Ils ignorent souvent qu’ils ont droit à une aide financière en cas d'accident du travail. Le recours aux travailleurs détachés a explosé. Leur nombre officiel est passé de 7 495 en 2000 à 261 300 en 2019. Le secteur du BTP en est particulièrement gourmand. En raison du « mille-feuille » des sous-traitants, « s’étiole, la conscience collective, la conscience de classe » (p.62). En effet, les accidents n’ont pas pour seule cause les intérêts de la classe capitaliste, bien que le livre le montre clairement, mais aussi la faiblesse et la désunion de la classe ouvrière elle-même. Si la classe ouvrière, au lieu d'être une classe en soi atomisée, s'associait en une classe pour elle-même, il en serait autrement. Malgré le fait qu’il dise cela, Lépine ne semble préconiser dans son livre comme solution qu’un Code du Travail plus strict et respecté. Cela étant dit, son livre n’en est pas moins un puissant vecteur pour la conscience de classe en France, à l’instar des intentions de Marx pour son Enquête ouvrière de 1880.
Ces dernières années, le droit du travail a été attaqué, ce qui n’a fait qu'augmenter le risque d’accidents du travail. Il y a bien sûr eu la Loi Travail mais aussi le remplacement des Comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail par d’autres moins puissantes en 2017. L’inspection du travail est également attaquée. Son budget a été réduit et le nombre d’inspecteurs a diminué ces dernières années. Les menaces et les agressions physiques des inspecteurs du travail par la petite bourgeoisie détériorent leurs conditions de travail. Lors des confinements, l’inspecteur Anthony Smith, qui s’est battu pour que les aides à domicile puissent obtenir des protections adéquates, a été sanctionné par la ministre du travail de l'époque, Muriel Pénicaud, ancienne DRH controversée de Danone et membre le plus riche du gouvernement. La médecine du travail est également dans une situation précaire. Le nombre de médecins a également diminué. C’est aussi une profession vieillissante. Le nombre de consultations diminue également. Ce sont les travailleurs des petites entreprises qui font le moins appel à leurs services. La Loi Travail a également vu la suppression de la visite médicale obligatoire à l'embauche et de la visite biennale. Ces médecins étant dans une relation de subordination à leur employeur, ils sont sous pression. Par exemple, le Dr. Dominique Huez avait établi un lien entre les conditions de travail d’un salarié et sa dépression, ce qui a permis au salarié de gagner un procès contre son employeur. L’entreprise vindicative l’a alors fait sanctionner par l’Ordre des médecins.
Lépine confirme que certaines industries sont particulièrement risquées. Dans le BTP (Bâtiment), il y a en moyenne un accident toutes les 2 minutes. En 2019, 215 travailleurs du BTP sont officiellement morts (travailleurs indépendants, illégaux et détachés non compris). Soit 1 par jour de travail. Lépine alerte sur le fait que la région parisienne, avec ses chantiers liés au Grand Paris et aux JO, est particulièrement dangereuse. La plupart des morts (45%) sont dus à des chutes et la cause principale est l'insuffisance ou l'absence de mesures de sécurité (p.82). C’est plus souvent le cas dans les petites entreprises. Les entreprises de moins de 20 employés représentent 99% des entreprises du secteur, 60% des bénéfices, 59% des travailleurs et 78% des apprentis (p.88). En outre, les petites entreprises contribuent collectivement aux fonds d’aide aux victimes d'accidents du travail et des maladies professionnelles. Une petite entreprise avec 0 accident par an paie autant qu’une entreprise avec 8, ce qui signifie que les petites entreprises avec de meilleures conditions de travail paient la facture pour les autres. Il est donc économiquement rationnel, du point de vue étroit de l’entreprise, d’être un lieu de travail dangereux. Pour les grandes entreprises, la contribution est individuelle. Chaque accident leur coûte plus cher. Ce qui signifie que les entreprises essaient de cacher les accidents. La grande bourgeoisie et la petite bourgeoisie sont, littéralement, des ennemis mortels du prolétariat.
Après le BTP, les secteurs de l'agriculture et de l'industrie sont les plus meurtriers. Les machines agricoles sont la première cause de mortalité chez les travailleurs agricoles. Arthur Fréhaut, stagiaire de 14 ans, a été dévoré par une telle machine en 2017, alors que ces stagiaires ne sont jamais censés qu’observer et non travailler. Sa mère, inconsolable et se culpabilisant injustement, se souvient qu’elle lui avait recommandé d’obéir au patron. Les idéologies serviles sont un fléau de la classe ouvrière. En 2020, un apprenti de 15 ans est mort en conduisant un tracteur, un engin qu’il n'avait, ni la formation, ni le droit de conduire. En juillet 2019, un stagiaire de 16 ans perd une partie de sa jambe dans un accident de tracteur. Lépine a dénombré 19 morts (hors suicides) dans l’agriculture pour ce seul mois. Plus de la moitié ont été causés par des machines. En 2021, un quart des accidents impliquant des tracteurs ou autres machines mobiles concernaient des travailleurs de moins de 25 ans. Dans 1 cas sur 10, le travailleur avait été embauché depuis moins d’un mois et dans 40% des cas depuis moins d’un an (pp.102-3). Dans la métallurgie et l’industrie automobile, les accidents liés aux machines représentent 20% de tous les accidents (p.105). Le livre raconte l’histoire de multiples victimes de ces puissants démons de l’industrie, mangeurs de vies et de bras, qui tour à tour sectionnent, déchirent, écrasent et étouffent les tourmentées. Le travail vivant est la proie du travail mort. Le livre accuse machines et mesures de sécurité qui ne sont pas en règle, mais pas seulement. Flavien Bérard, un survivant du cancer âgé de 27 ans, fut tué par une pièce tombée d’une machine en 2022. La pièce était déjà tombée deux fois auparavant. Il travaillait depuis une semaine. Ses nouveaux collègues étaient froids et refusaient de lui expliquer comment les choses fonctionnaient, déclarant qu’ils n'étaient pas son supérieur et que ce n’était pas leur boulot. Les ouvriers ont offert l’un des leurs en sacrifice.
En termes de mortalité viennent ensuite les industries du transport, forestière et de la pêche. Lépine a dénombré 201 chauffeurs routiers morts au travail au cours des 4 dernières années (p.111). Les accidents de la route sont évidemment la cause principale, mais Lépine s'alarme en constatant que les maladies cardiovasculaires sont en augmentation. La manutention est souvent l’occasion de malaises. Les chauffeurs routiers souffrent de manière disproportionnée d’obésité, d’asthme, de diabète et de tabagisme. Le fait d’être assis pendant de longues périodes, d'avoir des horaires exténuants et de travailler de nuit n’arrange pas les choses. La plupart des victimes n’ont même pas la cinquantaine. La forêt et la mer sont dangereuses. En mer, ce ne sont pas seulement les tempêtes, mais aussi les bateaux surchargés qui causent les disparitions. Les bénévoles de la SNSM sont également en danger. Le bûcheronnage compte entre 10 et 20 morts par an. L’espérance de vie moyenne est de 62.5 ans (p.24). L’insuffisance des précipitations, les maladies et les nuisibles affaiblissent les arbres et favorisent leur chute et celle de leurs branches. En Bretagne, les algues vertes tuent. Ainsi, la lutte ouvrière et la lutte pour l’environnement vont de pair.
Lépine dénonce la longueur des procédures judiciaires. Les entreprises peuvent se permettre d’attendre, les victimes et leurs familles non. Il dénonce également la facilité avec laquelle les entreprises s’en sortent. Il montre les difficultés du retour à l'emploi. Les patrons font souvent pression sur les nouveaux handicapés pour qu’ils démissionnent. Le poids financier de leur handicap est souvent plus important que les maigres indemnités qu’ils obtiennent, même en cas de procès. Elles sont en général 4 à 5 fois inférieures à celles d’un accident de voiture (p.138). La situation est pire pour les travailleurs salariés ‘auto-entrepreneurs’, qui n’ont aucun recours juridique. Lépine note que les morts au travail sont souvent ces ‘auto-entrepreneurs’. Ce statut fait que leur mort au travail échappe à la définition juridique d’accident du travail. Ce statut juridique est fréquent non seulement avec des entreprises comme Uber Eats, mais aussi parmi les ouvriers du BTP, les travailleurs agricoles, les agents du nettoyage ou encore dans les secteurs du transport, de la pêche, de la logistique ou du bûcheronnage. Soit, comme on vient de le voir, les plus mortels. En 2019, Mourad Bouhichecha est tombé de son vélo dans le coma. Deliveroo a promis de prendre en charge ses frais médicaux. Tous ses membres ont été paralysés et il est mort d’une infection pulmonaire moins d’un an plus tard. Sa famille confirme n’avoir jamais reçu un centime de la part de l’entreprise britannique.
Le livre est un cri contre le silence des médias. Malgré plus de 2000 accidents du travail par jour (p.162), les médias les traitent comme des faits divers. Les médias français ont parlé des morts au travail au Qatar mais ignorent les cas en France. Mais les deux pays sont liés par le même mode de production capitaliste. Les articles extrêmement courts des journalistes, avec peu d’informations, permettent aux entreprises de se dédouaner facilement sans nuire à leur réputation. Les accidents sont considérés comme des cas isolés et non systématiques ou comme les fameux ‘risques du métier’ et sont donc ignorés. Lépine fait le parallèle avec les accidents de la route qui étaient considérés comme une fatalité jusqu'aux années 1970, lorsque des campagnes de sensibilisation et des mesures de sécurité ont commencé à être mises en place. Lépine constate que les soldats et les policiers reçoivent les hommages du gouvernement alors que les ouvriers n’ont rien. C'est d’autant plus déconcertant que le nombre de policiers morts au travail a été divisé par trois depuis les années 1980 (p.173).
Le livre comprend un petit guide sur ce qu’il faut faire si l’on est victime d'un accident du travail ainsi que quelques tableaux statistiques. Le livre se clos par des photos souriantes de quelques-unes des victimes recensées dans cette étude. L’une d'entre elles, Teddy Lenglos, un ouvrier du BTP de 20 ans, a publié sur les médias sociaux, quelques jours avant sa mort en 2020, qu’il était inconcevable pour lui d’être né uniquement pour travailler, payer des factures et mourir. Les efforts de Lépine devraient être reproduits partout, car la condition misérable du travail salarié existe partout.
Erwan10 avril 2023
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