Grève des travailleurs d’éducation d’Ontario : aucun syndicat ne veut piqueter !

La lutte des travailleurs d’éducation en Ontario s’est imposée, bien que momentanément, à la conscience publique. Les téléjournalistes l’ont adressée d’une manière grave; les jeunes trotskystes sont allés sur Twitter pour prononcer leurs slogans vides; les représentants des syndicats ont prolongé l’Halloween en se déguisant en dirigeant de travail; Doug Ford était ému aux larmes et a supplié les travailleurs « s’il vous plaît, je vous prie, n’allez pas en grève »; et Trudeau a insisté sur son amour de la négociation collective à un public étonné de travailleurs des postes et portuaires !

Toutefois, maintenant que la grève a été vaincue et Karen Watson a tenu sa promesse (pas celle d’une hausse de salaire de 11,5%, mais celle que le syndicat « n’est pas sur la voie d’une grève »), il est nécessaire pour notre classe de réfléchir sur sa lutte, et sur le rôle joué par les syndicats en la sabotant. Pendant des mois, le CSCSO (une section du SCFP) travaillait avec la province pour rédiger un nouveau contrat. Il est tout à fait clair dans les paroles des dirigeants syndicaux : ils ne voulaient jamais de grève. Cela ne faisait tout simplement « pas partie de leur stratégie ». Cependant, les travailleurs d’éducation avaient d’autres idées. Malgré leur militantisme d’autrefois et la série de grèves couvrant cette dernière décennie (2012, 2013, 2019), leur situation ne s’est qu’empirée, comme ils faisaient face à une baisse de 10% des salaires réels au cours des dix dernières années. Maintenant, vu la forte inflation, les travailleurs d’éducation savaient qu’il fallait agir, et ils ont voté à 96,5% en faveur d’une grève.

Désormais, la province et le syndicat ont fait tout leur possible pour limiter et étouffer la lutte des travailleurs d’éducation d’Ontario. Le projet de loi 28, lancé par Ford et le ministre de l’éducation Stephen Lecce, interdit toute grève future et impose de lourdes amendes aux travailleurs en grève ainsi qu’au syndicat. Face à ce projet de loi draconien, le syndicat a aussi fait tout son possible pour rester à son poste à la table des négociations, réduisant pitoyablement la revendication de salaire de moitié, c’est-à-dire à 6%, à la veille de la grève. Néanmoins, vu la position dure de Ford, ils se sont fait entraîner dans la grève lancée le 4 novembre.

Une fois forcé sur la ligne de piquetage, le syndicat a fait transformer la lutte pour les salaires en grève contre le projet de loi. Ford, prenant conscience du fait qu’il a perturbé ses associés, a proposé d’abroger le projet de loi et d'annuler les amendes de $500.000 à condition que le syndicat renvoie les travailleurs au travail. Le SCFP a accepté sans aucune réservation, et les dirigeants syndicaux ont donné des discours de victoire criards sur le défait un projet de loi visé à forcer les travailleurs de rentrer au travail en rentrant au travail, et fait des déclarations dont l’essentiel était « nous vous remercions pour votre soutien ! Grâce à votre solidarité nous sommes rentrés au travail ! »

Simultanément, on a aperçu dans les canaux des représentants syndicaux des rumeurs d’une grève générale. Des reportages émergeaient que la Fédération de Travail de l'Ontario (Ontario Federation of Labour) coordonnait des mesures pour lancer une grève le 14 novembre à travers la province en tant qu’attaque contre le projet de loi 28. Le degré de gravité de cette menace, faisant partie de la domination syndicale sur la lutte des ouvriers, s’est révélé assez rapidement: dès la disparition du projet de loi, toute mention d’une « grève générale » a disparu également, et le 14 novembre est passé comme toute autre journée de travail ordinaire. L’attaque contre les conditions de vie de la classe ouvrière est généralisée, alors il faut une lutte généralisée en réponse. Bien qu’il soit évidemment nécessaire pour notre classe de s’opposer aux lois comme le projet de loi 28, qui supprime directement la lutte ouvrière, le syndicat le considère comme simple menace pour sa position de négociation. Donc la classe ouvrière et le syndicat abordent de tels projets de loi de perspectives complètement opposées.

Vu l’échec du projet de loi et le retour au travail des travailleurs d’éducation, le syndicat a déclaré une « percée » dans les négociations : une hausse de salaire annuelle de 3,6% ! Le syndicat, le vent dans les voiles, se vante de cette « victoire pour les travailleurs », ayant atteint un « terrain d’entente » avec le province (on a bien soupçonner que certains enseignants de maths, constatant l’inflation, ne partageront pas ce point de vue). Le SCFP s’est alors réorienté vers le thème des ressources scolaires; la menace de grèves sérieuses ainsi évitée, il a pu rentrer à la politique de négociation « régulière ».

Sans le moindre succès dans leur tentative de financements pour les écoles et les garderies, le syndicat a repris encore une partie clé de leur stratégie : annoncer une grève sans aucune intention de l’effectuer. Pourtant, le 20 novembre, le dernier moment avant la date limite pour les négociations et le lancement d’une grève, quelle surprise ! Le syndicat et la province ont annoncé le montant exact de financements qu’ils y avaient alloués : absolument rien du tout. Au long de la lutte des travailleurs d’éducation, c’était avec les travailleurs, et non pas la province, que le syndicat a négocié les pertes. Au même temps, ayant défait cette partie de la main-d’œuvre, le ministre d’éducation aspire à la diminution des niveaux de vie des enseignants.

Maintenant, aux rues de Toronto se trouve un mélange accablant de jeunes trotskystes, d’universitaires de gauche, et de syndicalistes militants qui ont du mal à comprendre leur déception. Comment le SCFP pourrait-il le faire ? Pourquoi les autres syndicats n’y ont-ils pas participé ? Comment pourraient-ils renoncer ainsi à l'initiative pour si peu ? Nous n’avons aucune réponse !

Pendant des décennies on a prétendu que nous ne pensons pas en termes pratiques. Il existe de nombreux mensonges qu’on a répandu sur nous : que nous soyons des puristes, des immédiatistes, des inactivistes, et que nous vivions dans un tour d’ivoire. En fait, nous sommes les seuls à penser en termes vraiment pratiques, les seuls à développer une perspective cohérente pour comprendre les conditions objectives auxquelles notre classe fait face. Et nous sommes les seuls à adapter nos tactiques aux besoins spécifiques survenant de notre lutte spécifique, qui fait partie du mouvement révolutionnaire plus large.

La lutte des travailleurs d’éducation d’Ontario est un des plusieurs épisodes historiques où le mouvement de classe affronte l’obstacle fondamental de la domination des syndicats, qui préservent les intérêts du capital à l’encontre de notre lutte. C’est par l’auto-organisation et l’auto-initiative que notre classe atteindra des victoires. Ainsi, dans notre activité pratique il faudra se confronter aux syndicats et les dépasser. En même temps, il nous faut également une organisation politique capable de relier les luttes particulières des travailleurs de ce secteur-ci et de celui-là au mouvement révolutionnaire qui mettra fin au mode de production capitaliste, et à la domination de classe en soi.

Klasbatalo
Décembre 2022
Friday, December 23, 2022