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Accueil ›L’Amérique latine brûle, entre émeutes et répression
Battaglia comunista, n° 1-2, journal du Parti communiste internationaliste, janvier-février, 2020, “L’America Latina brucia, tra rivolte e repressioni”, p. 6-7. Traduction de Ph.B., pour le site “pantopolis”.
Ce qui fut pendant des décennies l’«arrière-cour» des États-Unis, puis plus tard un repaire de «socialistes», traverse aujourd’hui une crise très profonde qui n’épargne ni les grands pays comme l’Argentine, le Brésil et le Venezuela, ni les petits comme la Bolivie, l’Équateur et le Pérou.
Tout le sous-continent américain est en flammes. Des millions de personnes, ouvriers, prolétaires, paysans et une partie croissante d’une petite bourgeoisie en voie de prolétarisation, poussées par la faim et la misère, descendent dans la rue, occupent les places à la recherche d’une « solution » politique à leurs pressants besoins de base.
C’est cela qui rebat les cartes sur la scène sociale sud-américaine. Des gouvernements de «gauche» qui tombent ou s’épuisent à rester en place. Des forces de droite qui soufflent sur le feu dans l’espoir d’arriver au pouvoir. Dans les deux cas, au milieu, un prolétariat en mouvement qui endure la répression des gouvernements en place, subit les fausses promesses (inapplicables) des forces d’opposition. Face à un tel effondrement économique, social et politique, de nombreux analystes bourgeois crient à l’échec des différentes voies au socialisme qui auraient caractérisé le parcours économique et idéologique suivi par de nombreux pays de la région, du Brésil au Venezuela, de la Bolivie à l’Équateur. Rien n’est plus faux. La tragédie qui se déroule sous ces latitudes n’est rien d’autre que la conséquence d’une crise - surgie en 2008 sous la forme de la crise financière des «subprimes» -, qui continue à propager ses funestes retombées tant dans les pays hautement industrialisés qu’à la « périphérie » du capitalisme, ne laissant aucune marge de reprise à aucun pays, et encore moins à ceux qui ont toujours vécu dans l’ombre de tel ou tel impérialisme.
Si nous examinons la structure économique des pays d’Amérique du Sud, non pas à la loupe mais avec une simple paire de lunettes, nous nous rendrons compte que dans ces expériences politiques, prétendument de gauche, il n’y a jamais eu le moindre socialisme si ce n’est des boniments à l’usage des masses déshéritées et du prolétariat pour assurer une base électorale permettant au caudillo de service de se maintenir au pouvoir.
Cette crise a éclaté dans le secteur financier uniquement parce que de nombreux capitaux, ne trouvant plus de profits suffisants dans la production réelle, se sont tournés vers la spéculation. Ils ont ainsi bouché les canaux de la finance au point de faire éclater ces bulles spéculatives qui, à travers les méandres complexes du marché financier, ont répandu leurs miasmes sur l’ensemble du monde. La seule différence, c’est que ces bulles ont d’abord éclaté dans les pays les plus touchés par la crise des taux de profit, puis à leur périphérie. Alors qu’aux États-Unis et en Europe, les systèmes bancaires ont été sauvés avec de l’argent public, c’est-à-dire l’argent des travailleurs, dans les pays périphériques, où l’argent public faisait défaut, la crise – bien que plus tardive – a été plus virulente.
Les crises financières qui ont dévasté les monnaies de ces pays ont les mêmes origines capitalistes que celles de tous les autres pays avancés. En Argentine, par exemple, le peso (la monnaie locale) s’est effondré de plus de 50 %. La bourse de Buenos Aires a perdu 50 % de sa capitalisation. L’inflation a atteint 54 % mais ne peut qu’augmenter. En quelques mois, le PIB a chuté de 35 %. Le gouvernement sortant de Macri a dû contracter une dette de 57 milliards de dollars auprès du FMI en échange de lourds sacrifices. La fuite des capitaux à l’étranger, la réduction de moitié des salaires, la situation d’urgence alimentaire et une pauvreté qui dépasse de loin les statistiques officielles de 30 % sont les conséquences de l’échec d’une économie capitaliste et non d’une « expérience socialiste », ce qui est d’ailleurs impossible, a fortiori, si l’on peut dire, sous un gouvernement de droite comme celui de Macri.
Avec le Venezuela, on peut noter un discours similaire, bien qu’avec des caractéristiques différentes. À ce jour, le clivage politique se fait entre Maduro, vieux dauphin de Chavez et continuateur de l’hypothétique voie bolivarienne vers le « socialisme », et Guaidó, politicien de droite assumé, financé par les États-Unis. À l’origine, on trouve l’habituelle crise internationale qui, dans ce cas, a également frappé un pays riche en matières premières, en pétrole en premier lieu. La crise qui a conduit un pays aussi riche que le Venezuela au bord de la faillite réside dans le fait que, lorsque le prix du pétrole a baissé, le prétendu gouvernement socialiste s’est immédiatement retrouvé en difficulté. À l’époque des vaches grasses, il n’avait pas diversifié l’économie, il avait tout misé sur une rente pétrolière qui avait permis aux milliardaires vénézuéliens d’exporter leur « épargne» aux États-Unis, ne donnant que des miettes au peuple vénézuélien en termes d’éducation et de santé, dans le but de consolider à des fins électorales sa base sociale. Avec la « crise » du pétrole brut devenu bon marché, la pauvreté a augmenté de manière exponentielle, le PIB a chuté de 37 % et les exportations de pétrole brut ont diminué –également « grâce » à l’embargo américain –, et l’inflation a atteint 1 million en pourcentage (1). Là encore, que Maduro se maintienne en place ou que Guaidó vienne au pouvoir, rien ne changera dans la structure économique du pays et dans les conditions d’existence du prolétariat. De plus, au Venezuela, le jeu se joue entre la Russie et la Chine, d’une part (financement de 4 milliards par Moscou et de 62 milliards par la Chine depuis 2005), et les États-Unis de Trump, d’autre part, lequel soutient son candidat de droite à coups de milliards, même si l’on ignore la somme réelle d’argent qui remplit les poches de Guaidó pour soutenir sa campagne politique. Malgré le fait que Maduro ait réussi à l’impliquer dans un procès pour drogue (2) et ait forcé l’une des plus grandes institutions du Venezuela à annuler son auto-proclamation présidentielle, Guaidó a organisé fin novembre une grande manifestation contre le gouvernement et reste le seul candidat accrédité par Trump.
Il en va de même pour le Chili, premier producteur mondial de cuivre. Avec la crise et la chute des échanges commerciaux, en raison de la politique douanière de Trump, l’économie chilienne, toute axée sur l’extraction et la commercialisation du cuivre, s’est effondrée, emportant avec elle le reste du pays, qui vivait de ce type d’économie en en récoltant les miettes. Comme dans tous les pays capitalistes, la crise a favorisé la fuite des capitaux à l’étranger, la spéculation et la corruption, tout comme en Argentine et au Venezuela. Inévitables, les révoltes de la faim ont gagné les mineurs, les travailleurs de secteurs connexes et les deux tiers de la population. Conclusion : malgré ces révoltes, le gouvernement reste en place et le pouvoir est toujours entre les mains de l’homme fort du moment, le président milliardaire Sebastián Piñera. Naturellement, celui-ci n’a pas modifié la politique économique de ses prédécesseurs – le soi-disant néolibéralisme – faite sur le dos du prolétariat et, comme on a dit, au détriment d’importantes couches de la petite-bourgeoisie. Le mécontentement et la colère ont donc continué à s’accumuler dans ces couches sociales, jusqu’à ce qu’une mesure (en soi minime) comme l’augmentation des tickets de métro suffise à faire déflagrer la situation. On assista à des protestations dures, à des affrontements dans la rue avec les forces de l’ordre bourgeois – qui ont dépoussiéré les méthodes habituelles mais toujours efficaces « à la Pinochet » – affrontements à la tête desquels ont pris part essentiellement les jeunes issus du prolétariat et de la petite-bourgeoisie (les étudiants).
Dans la tempête qui a ébranlé la Bolivie, Evo Morales a également été contraint de démissionner, puis de fuir au Mexique, abandonnant le pouvoir à Jeanine Áñez (droite proaméricaine), propulsée présidente par intérim, laquelle devrait, on ne sait comment, remettre les choses en place, sinon d’un point de vue économique, du moins d’un point de vue politique, se traduisant par un réalignement stratégique sur Washington (3).
Puis il y a eu les émeutes de la faim en Équateur et en Colombie, où la droite d’Ivan Duque a pris le pouvoir avec le soutien habituel des États-Unis.
En ce moment, toute l’Amérique latine est sous le feu de la crise mondiale permanente qui n’épargne aucune économie, même les plus fortes, d’où d’ailleurs la crise est partie. De plus, dans les pays les plus intéressants d’Amérique du Sud, l’impérialisme joue un antique et tragique scénario de pression et d’ingérence dans le but, du côté nord-américain, de récupérer sa propre « arrière-cour », tandis que la Russie et la Chine tentent de maintenir les positions qu’elles occupaient jusqu’à récemment avec de grands avantages économiques, commerciaux et stratégiques.
C’est le même jeu macabre qui s’est joué au Moyen-Orient, en Syrie, en Irak, au Yémen, en intervenant avec prudence sans, pour l’instant, chercher la confrontation directe mais en gérant des guerres par procuration. En Amérique latine, le jeu tragique se manifeste par le renversement des gouvernements, par l’instrumentalisation de la faim, la misère et par l’appauvrissement progressif qui a mis en branle à l’aveuglette des millions de travailleurs pris à la gorge par cette impossibilité d’avoir une vie digne d’un être humain, différente de celle du chien errant. Malheureusement, très souvent, ces travailleurs cèdent aux sirènes des partis d’opposition ainsi qu’aux impérialismes plus généreux envers leurs bourgeoisies respectives, attendant qu’une miette tombe de la table des riches pour soulager les pauvres, c’est-à-dire les prolétaires eux-mêmes qui ne possèdent rien et qui n’ont rien à attendre de l’avenir.
Pour en revenir à l’axiome d’origine des analystes zélés de service et à ces personnages inquiétants qui, dans tout cela, voient soit l’échec, soit l’interruption violente de diverses expériences «socialistes» au profit du retour de l’impérialisme américain dans l’espace sud-américain, on doit rappeler certaines réalités. Tout d’abord, du Brésil à l’Équateur, du bolivarisme vénézuélien à celui d’Evo Morales, il n’y a aucune « expérience socialiste » à sauver. Dans tous les pays d’Amérique latine, les partis de la prétendue gauche n’ont fait qu’administrer les rapports de production capitalistes au mieux des intérêts de la classe dirigeante ou du Caudillo de service. Ceux qui ont pu s’ériger en président à vie, ont permis à un petit cercle de profiter de la rente pétrolière (Venezuela), des bénéfices du commerce du cuivre (Chili). Là où les richesses minières étaient de moindre importance, le schéma bourgeois s’est montré identique, avec une bourgeoisie privée, mais très souvent d’État, qui administrait les quelques ressources disponibles aux dépens d’un prolétariat réduit à l’état de plèbe inerte, sensible uniquement aux miettes déjà évoquées qui pourraient tomber de la table d’une riche bourgeoisie, engraissée par la spéculation, la corruption, et du peu qu’elle pouvait tirer de l’exploitation de la classe prolétarienne.
Il faut dire aussi aux habituels analystes zélés et aux habituels « gauchistes » qui prennent parti contre l’impérialisme américain, le considérant comme l’unique au monde, alors que – opérant en Amérique latine sur le terrain de l’exploitation des populations et des ressources minières – on trouve aussi la Russie, la Chine et (avec une moindre participation), la Grande-Bretagne, l’Espagne et la France. En outre, il convient de souligner l’erreur grossière qui consiste à considérer tout ce qui est défini de manière instrumentale comme socialiste uniquement parce que prévaut l’intervention étatique dans l’économie et les finances : en termes absolus, sous la forme de capitalisme d’État, ou en termes relatifs avec la participation de l’État dans les plus importantes entreprises nationales. Dans la tête de ces personnages, étatisation égale socialisation, sans tenir compte des catégories économiques capitalistes qui la sous-tendent. Et c’est pourquoi ils se mobilisent (toujours en paroles) en faveur de gouvernements « de gauche » contre le seul impérialisme américain et non contre d’autres impérialismes qui, en s’opposant à l’impérialisme américain, deviendraient automatiquement des anti-impérialismes dignes de soutien.
C’est pourquoi ils ne tiennent absolument pas compte du fait que la crise actuelle est celle de tout le système capitaliste. Qu’il n’y a ni un impérialisme de droite à combattre ni un impérialisme de gauche à défendre. L’impérialisme est un et il n’y a ni droite ni gauche pour le distinguer. Il faut rappeler que les bourgeois de la droite ou de la fausse gauche vivent de l’exploitation de « leurs » matières premières et de l’exploitation des travailleurs qui les produisent. Que le capital privé, public ou avec participation de l’État, a toujours pour but de se valoriser et ne peut le faire qu’à une seule condition : exploiter la force de travail. Un principe doit l’emporter : lorsque les masses se déplacent, descendent dans la rue, se heurtent aux forces de l’ordre (bourgeoises) comme c’est le cas, elles doivent échapper à tout détournement vers un des fronts d’intérêts bourgeois ou, pire encore, d’intérêts impérialistes, mais doivent être orientées vers le seul objectif de classe possible : le renversement de l’État bourgeois quels que soient ses habits idéologiques, pour une solution révolutionnaire, prémisse nécessaire à un changement des rapports de production, qui exclut l’existence du capital et de besoins de valorisation. Une solution qui interrompra les rapports entre capital et force de travail, en éliminant les classes sociales, et donc les différences en termes de revenus, l’éternel fossé entre les riches et les pauvres. C’est ce mot d’ordre qui doit être propagé parmi les prolétaires et les sans-espoirs d’Amérique latine, tout comme dans le reste du monde capitaliste. Mais pour que tout cela puisse avoir un commencement, il est nécessaire que les masses en mouvement aient un point de référence politique (le parti révolutionnaire), une tactique adéquate (pas de compromis avec les bourgeoisies de droite et de « gauche », avec les populistes et souverainistes de tout poil), ainsi qu’une stratégie révolutionnaire incluant dans son programme la formation d’une société sans Capital, sans classes, une société qui produit des biens et non des marchandises, afin de satisfaire les besoins de l’ensemble de la population et non ceux d’une seule partie, et dans le respect de l’écosystème.
F.D., déc. 2019(1) Le taux de l’inflation pourrait avoir dépassé les 2 millions pour l’année 2018. Le FMI calculait qu’elle aurait pu atteindre à la fin 2019 le chiffre de 10 millions en pourcentage, situation extrême qu’ont notamment connue l’Allemagne de Weimar en 1923 et le Zimbabwe de Mugabe dans les années 2000. Le prix d’un simple café dans un bar dépasse actuellement 3.500 bolivars, soit 75 centimes d’euro (Note du traducteur).
(2) En septembre 2019, le procureur général du Venezuela avait montré des clichés sur lesquels Guaidó, passé clandestinement en Colombie, posait avec deux hommes appartenant à Los Rastrojos, «narcotrafiquants et paramilitaires» colombiens (Note du traducteur).
(3) Nos camarades de l’Internationalist Workers Group (USA) ont écrit la même chose immédiatement après la chute de Morales. Leur texte se trouve sur leur page de Facebook (facebook.com).
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