L’impérialisme mondial, cette horreur!

À la fin du 19ème siècle, le Congo a été éventré pour ses grandes ressources en caoutchouc afin de satisfaire la nouvelle demande en pneumatiques du capitalisme, entraînant la mort de millions d'Africains. Les horreurs du Congo sont bien connues. Des images de mutilation et de mort sont fréquemment exposées dans les conférences d'universitaires qui réclament un capitalisme plus humanitaire. L’œuvre de Joseph Conrad, « Au Cœur des Ténèbres », figure parmi plusieurs programmes scolaires ; mais malgré ces suggestions littéraires qui condamnent la soit-disant « nature humaine », la vérité est que ce problème réside au cœur d’une nouvelle époque de l'histoire qui perdure à ce jour: l'époque du capitalisme impérialiste.

Au Congo, l’intérêt n’est plus tellement envers le caoutchouc. Avec l'émergence et l'expansion rapide du monde numérique, les réseaux de sociétés minières et technologiques – de Chine, des É-U, et du Japon – à la recherche de profits, ont maintenant jeté leur dévolu sur les gisements de cobalt du Congo qui s’avèrent nécessaires afin d’alimenter les smartphones au lithium et autres ordinateurs portables ou voitures électriques. En 2016, 60% du cobalt provenait du Congo au détriment de l’intégrité physique du prolétariat congolais.

On estime que 100 000 travailleurs congolais travaillent dans des mines souterraines avec de simples outils et peu de règles de sécurité. En 2012, l'UNICEF estimait que 40 000 enfants étaient impliqués dans l'exploitation minière au sud. Les enfants ne se trouvent pas seulement dans les mines. Beaucoup sont impliqués dans le lavage des minerais collectés dans les rivières locales et payés en moyenne 1$ US par jour.

En 2016, jusqu'à 25% du cobalt congolais provenait de mines «artisanales» [1]. Ces mines ne sont pas détenues par de grandes entreprises chinoises, telles que Congo DongFang International Mining, mais sont des mines de fortune creusées par des mineurs locaux qui, à leur tour, vendent leurs découvertes à des sociétés minières chinoises. Néanmoins, l'exploitation minière artisanale est en hausse car de nombreuses entreprises préfèrent acheter du minerai artisanal en raison de son prix peu élevé et parce qu’elles n’ont pas à assurer des salaires stables ou des coûts de sécurité.

Les conditions dans ces mines "artisanales" sont horribles! Avec peu ou pas d’équipement et de procédures de sécurité, la menace d'effondrement, de vapeurs toxiques et d'incendies souterrains est élevée et fréquente. Il n'est pas rare que de nombreux mineurs soient blessés ou tués dans un seul accident. Dans un cas notable, en septembre 2015, treize mineurs de cobalt sont morts lorsqu'un tunnel de terre s'est effondré à Mabaya, près de la frontière zambienne. Dans un autre cas, 16 mineurs ont été tués par des glissements de terrain à Kawama, suivis des mois plus tard par la mort de 15 autres dans un incendie souterrain à Kolwezi. Un inspecteur local affirme avoir personnellement retiré 36 corps de mines artisanales locales au cours des dernières années [1]. Malgré ces risques, les ouvriers «libres» travaillent dans ces conditions pour deux à trois dollars par jour, dormant souvent dans les mines entre les quarts de travail, pour ce monde exigeant du cobalt afin de satisfaire l'économie des hautes technologies.

Les risques physiques pour extraire le cobalt ne se termine pas dans les tunnels improvisés. La dévastation environnementale a des effets sur la santé à long terme des populations locales. On retrouve chez les ouvriers et leurs familles, travaillant dans ou près des zones minières, des concentrations urinaires de cobalt 43 fois plus élevées, des niveaux de plomb cinq fois plus élevés, et des niveaux de cadmium et d'uranium quatre fois plus élevés, que celle d’un groupe témoin. Les niveaux étaient encore plus élevés chez les enfants [1]. Les régions minières connaissent une prévalence de malformations congénitales auparavant rares ou inexistantes dans la région. Des maladies telles que l'holoprosencéphalie et la sirénomélie apparaissent maintenant dans ces communautés ravagées par la recherche cupide de profits au nom du capital mondial.

Malgré les réponses « rassurantes » bien que faibles de sociétés comme Apple, Samsung, BMW ou celle de Jeff Bezos (Amazon) qui affirme travailler « en étroite collaboration avec nos fournisseurs pour nous assurer qu'ils rencontrent nos normes et effectuent un certain nombre de vérifications chaque année afin que nos partenaires respectent nos politiques [1] »… La vérité est que la bourgeoisie se trouve dans une tension insupportable entre l'idéologie de classe et l'intérêt de classe. Comme l'écrivait Lukacs, « toute l'existence de la classe bourgeoise et son expression, la culture, sont entrées dans une très grave crise. D'un côté, la stérilité sans bornes d'une idéologie coupée de la vie, d'une tentative plus ou moins consciente de falsification ; de l'autre, le désert tout aussi effrayant d'un cynisme qui est déjà historiquement convaincu du néant intérieur de sa propre existence et défend seulement son existence brute, son intérêt égoïste à l'état brut. [2] » Ses cris de «liberté» et de «justice» ne sont rien d'autre que la liberté d'exploiter et la justice de cette exploitation. Ils tentent de taire désespérément le fait que la barbarie du monde provient de leur ordre économique.

Une grande partie du cobalt extrait voyage du Congo à la Chine. En 2016, environ 90% du cobalt chinois provient du Congo, où les entreprises chinoises dominent l'industrie minière [1]. À partir de cet instant, le fardeau est déchargé sur le travailleur chinois : produire des smartphones et des voitures électriques dans des villes remplies de smog pour des salaires de misère. En mars 2018, la voracité du capital Chinois pour le cobalt a été remise en scène lorsque GEM – un fabricant de batteries – a annoncé qu'il achèterait un tiers du cobalt expédié par Glencore (le plus gros producteur mondial de métal entre 2018 et 2020), soit près de la moitié de la production mondiale de 110 000 tonnes en 2017 [3]. Cela va de pair avec l'augmentation de la demande pour les voitures électriques, qui nécessite généralement 5-10 kilogrammes de cobalt par rapport aux smartphones qui en nécessitent 5-10 grammes.

Malgré les caves débordantes de champagne de la bourgeoisie chinoise et de leurs loyaux bureaucrates, l'exploitation du prolétariat congolais n'est recueillie qu’en miettes par l'ouvrier chinois, des miettes couvertes de suie industrielle. Le graphite, un autre minéral nécessaire pour fabriquer des batteries au lithium, est connu pour sa pollution dévastatrice dans les zones où il est produit, contaminant les sources d'approvisionnement en eau locale et couvrant l'air de poussières toxiques qui retombent sur les cultures locales. La raison pour laquelle cette misère se rabat sur la classe ouvrière chinoise est simple : en Chine, le coût de production demeure moins élevé que dans d'autres pays où le graphite est purifié par «cuisson» [4]. Au-delà de cette pollution, les travailleurs chinois doivent également composer avec des salaires de crève-faims. D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps en 2014, les souffrances et les antagonismes du prolétariat chinois face à l’ordre bourgeois l’ont conduit à mener une vague de grève. Dans tous les racoins du globe, le système mondial impérialiste sème la misère alors que sa classe de parasites et d'exploiteurs – en compétition avec elle-même – tente de trouver des profits qui glissent entre ses doigts comme du sable. Partout dans le monde, le système bourgeois panique et plonge l'humanité dans la barbarie pour accroître la masse de ses profits face à la baisse inexorable du taux de profit.

La domination croissante de l'impérialisme chinois en Afrique n'est pas passée inaperçu et incontestée par d'autres pôles de l'impérialisme. La Chine devançant rapidement les États-Unis quant au commerce en Afrique, ce dernier s’est donc appuyé sur sa force militaire écrasante. Comme nous l’avons déjà noté :

« Au lieu d'investissements économique à long terme, de diplomatie et de partenariat politique, les États-Unis utilisent sa supériorité militaire écrasante pour empiéter sur l'Afrique sous le couvert de" la lutte contre le terrorisme ". Mais le but réel de l'augmentation de la force militaire américaine en Afrique est de sécuriser les intérêts économiques stratégiques à bas prix, en utilisant le pouvoir militaire plutôt que d'engager des investissements financiers comme le fait la Chine. » [5] En comparaison à seule base navale chinoise présente dans la Corne de l'Afrique, les Etats-Unis sont militairement présents dans 49 des 54 pays qui composent le continent africain [6].

L'augmentation du militarisme correspondant à la concurrence économique impérialiste est celle d’une boule de billard qui met l’autre en branle. Comme Boukharine l'a compris, il est inhérent à la logique du système impérialiste mondial. Avec l'immense concentration et centralisation du capital à l'époque impérialiste, la naissance de trusts massifs d'État-capitalistes est née. Alors que la concurrence dans l'économie «nationale» est en déclin, la concurrence capitaliste se joue sur la scène internationale parmi les trusts centralisés massifs étroitement liés à l'État. Comme il l'a déclaré clairement dans L'impérialisme et l'Économie Mondiale, « la lutte entre les trusts capitalistes d'État se décide en premier lieu par la relation entre leurs forces militaires, car la puissance militaire du pays est le dernier recours des groupes «nationaux» de capitalistes. » [7] Ainsi, dans toutes les sphères de la compétition impérialiste se trouvent la menace de la guerre entre États concurrents. Ce n'est que par la lentille marxiste que les interminables guerres régionales, qui ont été si dévastatrices pour la classe ouvrière, peuvent être comprises.

Même si ce court texte se concentre principalement sur l'impérialisme – et la misère des travailleurs – au Congo, il ne faut pas oublier que le système impérialiste est l’ombre qui menace chaque travailleur. C’est cette concurrence féroce au sein de la classe capitaliste qui cause les conditions horribles des mineurs congolais, l'air pollué des villes manufacturières chinoises et l'austérité malveillante des pays occidentaux. C'est l’ordre de la classe dirigeante qui provoque des guerres régionales partout dans le monde, entraînant la mort de tant de travailleurs. Seule la classe exploitée peut mettre fin à ce système barbare en unissant ses luttes en tant que classe et en assumant la tâche historique qui l'attend. L'unification de la classe est le rôle du parti communiste. Seul un parti peut tirer les leçons historiques de la classe ouvrière et l'intégrer dans un programme qui se projette dans la future société communiste. La construction de ce parti international reste la première tâche des révolutionnaires aujourd'hui.

Collectif Klasbatalo

Notes

[1]. Frankle, Todd. “The Cobalt Pipeline” Washington Post , 30 Sept. 2016, washingtonpost.com.

[2]. Lukacs, Georg. “Histoire et Conscience de Classe”, 1919-1923. inventin.lautre.net

[3]. What if China Corners the Cobalt Market? Economist. 24 Mars, 2018. media.economist.com.

[4]. Whoriskey, Peter. “In Your Phone, In Their Air”. Washington Post, 2 Oct, 2016. washingtonpost.com .

[5]. Ergosum. “the Hidden Scramble for Africa's Resources”, Leftcom. 7 Nov , 2017. leftcom.org.

[6]. Ergosum. “China Openly Declares It’s Imperialist ambitions”. Leftcom. 3 Nov, 2017. leftcom.org.

[7]. Bukharin, Nikolai. “Imperialism and the World Economy”, traduction libre. Marxist Internet Archive. 1915-19-17. marxists.org.

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