Il n’y a pas de solution capitaliste à l’approfondissement de la crise économique

Introduction

La dernière phase de la crise économique qui a explosé en 2007/2008 domine encore l'économie mondiale. Tous les essais pour briser son emprise et élaborer la reprise et une nouvelle période de croissance ont échoué. Au contraire, la crise elle-même détermine les développements politiques à un tel point que nos dirigeants sont en train de perdre le contrôle d'une grande partie de la situation. La crise de l'euro, les plans de sauvetage des pays à la périphérie de l'UE et, plus récemment, la crise des réfugiés représentent les contrecoups de ce dernier épisode de la crise économique. Au Royaume-Uni, la plus récente expression de ce désordre est bien évidemment la crise politique déclenchée par le vote Brexit, crise qui a ainsi exposé une classe dirigeante incapable de produire un résultat référendaire convenant aux intérêts du capital britannique. Ceci a eu pour effet d’enfoncer plus profondément tout le Royaume-Uni et l'Union européenne elle-même dans une crise politique. La force motrice derrière tout cela est la crise économique que nos dirigeants se révèlent incapables de résoudre. Chacune de leur initiative qui échoue restreint ainsi leur espace de manœuvre.

La TCI a toujours affirmé que le talon d'Achille du système capitaliste est la tendance du taux de profit moyen à chuter, et les problèmes dans la sphère financière, qui ont frappé avec tant de force en 2008, en sont l’aboutissement ultime. Les nombreuses tentatives visant à restaurer la rentabilité du capital se sont simplement résumées à réduire le pouvoir d’achat de la classe ouvrière en appliquant des mesures telles que l'austérité et la réduction des salaires, et des coupures dans le salaire social par la réduction des soins et services de santé, les avantages sociaux, les pensions et l'éducation. Les tentatives visant à stimuler l'économie grâce aux manœuvres monétaires des banques centrales ont également échoué. Les mesures qui ont été appliquées au cours des 8 dernières années sont sans précédent dans l'histoire du capitalisme : appel aux banques centrales, plans de sauvetage des banques de détail, injections directes d'argent dans le système financier via l’assouplissement quantitatif (QE) et, plus récemment, imposition des taux d'intérêt négatifs sur les dépôts à court terme et les obligations gouvernementales. Cependant, ces mesures extraordinaires ont toutes échoué à produire une augmentation de l'investissement ou une augmentation de la demande. Maintenant, les banques centrales parlent même d’avoir recours à « l’hélicoptère monétaire » (1), ce qui signifie envoyer électroniquement de l'argent à la population en général pour stimuler la demande. Ce genre de discours n’est qu’un appel du désespoir.

État de l’économie mondiale

L'économie capitaliste se développe dans les cycles d'accumulation. Dans la première phase de chaque cycle, l'économie est en bonne santé parce que les profits sont élevés. Le chômage est bas, le commerce est en pleine expansion, et l'accumulation du capital se produit grâce à l'investissement. La mesure générale de tout ceci est le taux de croissance qui tend à représenter indirectement le taux de profit moyen. Il en résulte une augmentation de la productivité de chaque travailleur, un accroissement du commerce international, et une situation dans laquelle la sphère financière opère pour faciliter le commerce et l'investissement. En faisant état de ces mesures, l'économie mondiale est aujourd'hui en bien piètre état.

Nous avons démontré dans les articles précédents que le taux de profit moyen est en déclin (2) et soutenu ci-dessus que ce déclin est la véritable raison pour laquelle l'investissement est freiné. L’exploitation du prolétariat au sein de la production est l’unique source de profit du capitalisme et ce n’est pas une surprise de constater que le chômage mondial est en hausse. Selon l'Organisation Internationale du Travail, le chômage mondial a augmenté de 27 millions depuis 2007 et se situe maintenant à 200 millions (3).

Le taux de croissance tendancielle de l'économie américaine est de 2 %, ce qui représente la moitié de ce qu'elle était il y a 20 ans (4). À l'échelle mondiale, le taux de croissance qui, en 1973, était de 6,4 % est descendu à 2,5% en 2014 (5). La croissance de la productivité pour chaque travailleur est très faible, voire inexistante. Dans l’Union Européenne, la croissance annuelle de la productivité est maintenant de 0,25 % et aux États-Unis de 1,2%, alors qu’au Royaume-Uni elle se situe à zéro. Un rapport du Financial Times exprime le danger que la bourgeoisie constate dans la faible productivité :

Sans une amélioration de la production pour chaque heure travaillée, les économies ne se développeront que si l'on travaille plus durement, plus longtemps, ou si plus de personnes trouvent des emplois (traduction libre) (6).

Bien entendu, cette stagnation de la productivité s’explique par le manque d'investissements dans les moyens de production que nous avons montré ci-dessus. Par contre, même si le travail devenait plus productif, ceci ne mènerait en définitive qu’à une nouvelle baisse du taux de profit moyen. Ces chiffres expriment un marasme économique.

Les chiffres du commerce mondial montrent une stagnation similaire. Le commerce mondial, en tant que pourcentage du PIB mondial, était d'environ 50% du PIB en 2007. À la suite de la crise de 2007, le PIB s’est fortement contracté à 30% et, après une hausse, il végète maintenant autour de 40 % (7).

En fait, l’ensemble du système commercial mondial établi en vertu de l'Organisation Mondiale du Commerce (OMC) est lui-même en crise. L'échec du cycle de négociation commerciale de Doha a réduit l'OMC à une simple instance d'arbitrage. En outre, les États-Unis ne tiennent pas compte de ses jugements quand ils se sentent brimés par ceux-ci et tentent de retirer ses juges quand ils vont à l’encontre de leurs intérêts (8).

Les États-Unis négocient plutôt à présent des accords commerciaux unilatéraux tels que le Partenariat Trans-Pacifique (PTP) et le partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (PTCI - TTIP en anglais), qui assurent plus de bénéfices aux capitaux américains. [Également connu sous le nom de traité de libre-échange transatlantique (TAFTA en anglais). – note de la traduction].

Depuis la fin du boom de l'après-guerre, et l'effondrement des accords de Bretton Woods (9) en 1973, la taille du secteur financier dans l’ensemble du monde n'a cessé d'augmenter par rapport à l'économie mondiale. Dans la période précédant la crise de 2007, les profits financiers américains, par exemple, ont représenté près de 50% du total des bénéfices des entreprises. Ce secteur ne produit pas de nouvelles valeurs. Son rôle consiste plutôt à recycler la plus-value produite dans l'économie productive. L'une de ses principales opérations est de recycler le capital excédentaire dans la dette publique et de percevoir les loyers. Après la crise de 2008, il a été généralement admis qu'il était nécessaire d’empêcher « l’effet de levier » et de réduire la dette globale par rapport au PIB. Le capitalisme mondial n’a tout simplement pas été en mesure d’agir ainsi et c’est en fait plutôt le contraire qui est arrivé. La dette globale, incluant celles des ménages, des entreprises, du gouvernement, et des finances, est passée de 142,000 milliards de dollars en 2007 à 199,000 milliards de dollars en 2014 (10), dépassant de loin la croissance économique. Les tentatives faites par certains gouvernements, notamment au Royaume-Uni, pour parvenir à un budget équilibré afin de limiter la hausse de la dette souveraine ont également échoué. Le Royaume-Uni a, depuis 2010, régulièrement reporté la date à laquelle le fameux équilibre doit être atteint alors que la dette par rapport au PIB a augmenté inexorablement. Dans le sillage du vote Brexit, cette ambition semble avoir été complètement abandonnée et la dette souveraine devrait augmenter de son niveau actuel, qui représente 84% du PIB, à 100% en 2020. En fait, les sommes déversées pour le renflouement des banques ont maintenant tellement gonflé que les agences de notation (qui déterminent le climat de l'investissement) ont fait enregistrer des déclassements de la dette souveraine. (11)

Ces dettes deviennent insoutenables et, pour les petits pays comme la Grèce, il a été reconnu par le FMI. Pourtant, la bourgeoisie est terrifiée par l'idée d'annuler la dette par peur des remous que cela pourrait déclencher. Par contre, une situation insoutenable ne peut être maintenue indéfiniment! L'augmentation constante de la dette, qui représente un autre symptôme de la baisse de la rentabilité du capital, nous laisse envisager un nouvel et catastrophique effondrement lorsque les défauts de paiement surgiront.

Manœuvres monétaires

Comme il a été déjà mentionné, la bourgeoisie a réagi à la crise de 2007 en employant une série de manœuvres monétaires sans précédent en injectant de l'argent dans l'économie. Pour les économistes bourgeois keynésiens, le problème se résume à la pénurie de la demande mondiale, laquelle est encore en dessous du niveau où elle se situait lorsque la crise de 2008 a frappé (12), et le manque d'investissement qui l’accompagne. Selon ceux-ci, il y a un trop-plein mondial d’épargne. Pourtant, les banques centrales du monde entier ont certainement pris des mesures pour résoudre ces problèmes. La Banque centrale européenne (BCE), par exemple, a un programme d'achat d'obligations QE (quantitative easing – assouplissement quantitatif - NDLT) qui, auparavant, a totalisé 1100 milliards d'euros et était réparti à 60 milliards d'euros par mois. En mars, elle l’a porté à 80 milliards d'euros par mois. Elle a également proposé ce qu’on appelle des "opérations de refinancement à plus long-termes ciblés» (TLTRO – Targeted Longer-Term Refinancing Operations) aux banques de la zone euro qui peuvent aller jusqu'à 30% de leur portefeuille de prêts, et ce sans aucun intérêt pour une période de 4 ans. S’ils prêtent plus que le TLTRO leur a offert, la BCE leur donne un nouveau taux d’intérêt négatif sur le montant du dépôt fixé à -0,4%! (13) D'autres banques centrales ont été toutes aussi généreuses. La Réserve fédérale a distribué 4500 milliards de dollars en 3 rounds de QE, tandis que la Banque d'Angleterre, de son côté, allouait 375 milliards de livres. Pourtant, malgré les sommes astronomiques accordées par les banques centrales et les taux d'intérêt ultra-bas – voire carrément négatifs – qu'ils se sont fixés, ces mesures ont échoué ; que ce soit pour stimuler la demande ou stimuler l'investissement. Ces échecs indiquent l'impasse dans laquelle se trouve le capitalisme. Le mieux que l'on puisse dire à propos de ces manœuvres monétaires est qu'elles ont stabilisé la situation dans les pays où elles ont été appliquées et permis d’éviter un peu plus de chaos. Dans le contexte mondial, les QE et les taux d’intérêt zéro % ont affaibli les monnaies des pays où ils ont été accordés, stimulant ainsi les exportations au détriment de leurs concurrents. Ceci est l’équivalent d’une politique protectionniste du « chacun pour soi ». Par contre, pour les keynésiens, cela démontre simplement que ces programmes ont été appliqués avec mollesse d'où la proposition « d'hélicoptère monétaire » et d’investissements directs dans les infrastructures. En fin de compte, ces mesures ne vont pas aider le capitalisme mondial à reprendre de la force car elles ne touchent pas le problème de la rentabilité.

Dans le capitalisme, l’investissement a lieu seulement s'il y a une perspective de profit ; et si le taux de profit est faible, il n’y aura donc pas d’investissement. Les économistes bourgeois le reconnaissent lorsqu’ils affirment, dans leurs termes, qu’il y a une « pénurie en matière d'investissement. » C’est pour cette raison que les grandes sociétés non financières thésaurisent le capital. En 2015, les entreprises du Royaume-Uni du FTSE100, à la bourse, étaient assises sur une montagne de liquidités qui représentaient 177 milliards de livres, soit 10% du PIB. Dans la zone euro, le chiffre correspondant se situait à 14.3 mille milliards d'euros, soit environ 7% du PIB ; tandis qu’aux États-Unis, il était de 1.64 mille milliards de dollars équivalent à 10% du PIB. (Au Canada, c’est 604 milliards en 2013, soit l’équivalent de 32 % du PIB – NDLT). Au lieu d'être investi, ces fonds sont utilisés pour racheter les capitaux des actionnaires, ou remis aux actionnaires en dividendes plus élevés, ou recyclés en tant que dette aux gouvernements, ou réservés à la spéculation sous une forme ou une autre. Cela a mené le rendement sur la dette publique aux niveaux les plus bas dans l'histoire du capitalisme et certains pays, par exemple, l'Allemagne, le Danemark et la Suisse, ont émis des obligations avec des taux d'intérêt négatifs. En Février, le Financial Times indiquait qu'il y a maintenant 5.7 mille milliards de dollars en rendement négatif des obligations souveraines (14).

Le fait que les capitalistes préfèrent acheter de la dette, et payer de l'argent pour la maintenir, démontre que ces achats sont purement spéculatifs. Ceux qui achètent cette dette espèrent que la valeur nominale de la dette va augmenter en réponse à un nouvel assouplissement quantitatif (QE). Cela démontre également que, selon eux, d'autres investissements sont pires. Ce comportement indique franchement le point de vue qu’ils ont de l'économie et de son avenir! Par contre, la spéculation ne peut que créer de nouvelles bulles d'actifs qui, comme nous l'avons vu en 2008, finiront par exploser avec une force dévastatrice.

Ce qui précède est un catalogue empirique du mauvais état du capitalisme mondial. Les raisons théoriques de cette situation sont vivement contestées. L'idée que les marchés libres vont résoudre ces problèmes, adoptée par les néo-libéraux, a été discréditée par l'effondrement 2007/2008. Cependant, l'idée que le contrôle de l’économie par l’État – ou le capitalisme d'État pur et dur – pourrait remettre sur pied le système a gagné du terrain, malgré le fait que ces mesures ont été complètement discréditées par la série de désastres des années 1970. Les économistes tels que Thomas Piketty (15), qui est maintenant un des conseillers de Jeremy Corbyn, le chef de l'opposition travailliste britannique, voient le capitalisme comme un navire allant droit sur les rochers. Piketty fait valoir que le rocher contre lequel le capitalisme est en train de dériver représente l'inégalité et demande à l'État de sauver le capitalisme par des réformes fiscales et la redistribution des richesses. L'inégalité, cependant, est simplement le résultat de l'accumulation du capital. Ses mentors et lui-même (16) confondent symptômes et causes. La réalité est que l'accumulation accrue du capital se traduit par des taux de profit réduits tel que Marx l’envisageait. L'existence de la baisse du taux de profit moyen est, cependant, furieusement nié par l'ensemble du spectre des économistes bourgeois et aussi par beaucoup de marxistes académiques. Brièvement, nous allons démontrer ci-dessous pourquoi nous considérons que Marx avait raison.

Valeur Travail et baisse tendancielle du taux de profit

Marx analyse le système capitaliste en termes de valeur. La valeur se distingue du profit, mais la valeur et le profit forment un système unique puisque Marx soutient que la somme des profits dans l'économie est égale à la somme de la valeur. Toute valeur est produite par le travail et la mesure de la valeur est le temps de travail. La théorie de Marx de la baisse tendancielle du taux de profit est directement déduite de la théorie de la valeur travail.

Sous le joug du capitalisme, la valeur est extraite de la classe ouvrière en divisant le temps de travail dans une partie où le travail du prolétariat produit la valeur de son salaire ; et une partie où le prolétariat s’exécute sans rémunération pour la production du capital, ce que Marx appelait la plus-value. Ce travail non rémunéré produit un surplus de produit qui intègre la plus-value. La plus-value est la source de tout profit capitaliste. Le profit a donc lieu si, et seulement si, la plus-value est également présente.

Le travail humain prend différents aspects, aspects que Marx décrit comme travail utile concret. Les différents aspects de travail concret sont cependant assimilés dans le marché, et doivent donc contenir un élément commun qui permet à cette équation d’avoir lieu. Marx appelle ceci le travail humain abstrait, lequel représente le travail général abstrait des diverses formes dans lesquelles il existe en tant que travail utile concret. Marx fait valoir que, pour un être humain, une heure de travail abstrait produit la même quantité de valeur quelle que soit la productivité du travail.

Quelles que soient les variations de sa force productive, le même travail, fonctionnant durant le même temps, se fixe toujours dans la même valeur (17).

Le Capital, livre 1, page 60, Éditions Sociales

Il en résulte que l'augmentation de la productivité qui réduit la quantité de travail dans l'économie réduit aussi le temps de travail total dans cette dernière et, puisque le travail est la source de plus-value , celle-ci réduit à son tour la quantité de plus-value produite. Le ratio de plus-value par rapport au capital total utilisé, qui représente le taux de profit, diminue en conséquence. Comme Marx explique :

La tendance à la baisse du taux général de profit est donc la caractéristique capitaliste du progrès de la productivité sociale.

Le Capital livre 3, page 255

Marx appelle ceci la loi de la baisse tendancielle du taux de profit. Cette loi sera vraie pour un secteur de l'économie mais, puisque le capital migre vers des secteurs ou des régions où le taux de profit est plus élevé, il sera finalement vrai pour l'économie mondiale dans son ensemble. Le taux de profit a donc inévitablement tendance à baisser. Ceci résulte du processus contradictoire qui est au cœur de l'accumulation capitaliste. Marx a fait valoir que cette tendance ne pouvait être résolue que dans des crises périodiques où le commerce et la production s’effondrent, les faillites s’ensuivent, le capital détruit, et les salaires réduits. L'effet-clé de ces crises se résume à la dévaluation des moyens de production ou – pour employer les termes de Marx – de "capital constant". Qu’en cas de crise, le système capitaliste ne puisse survivre qu’en détruisant de la richesse qu'il a créé au préalable nous montre bien la nature historiquement limitée du capitalisme et la nécessité pour l'humanité de le remplacer par un système de production supérieur.

Ce qu’on doit surtout retenir ici est que la baisse tendancielle du taux de profit est la conclusion logique de la théorie de la valeur travail. Le rejet de l'une implique le rejet de l'autre.

Au cours du siècle dernier, la théorie de Marx sur la baisse tendancielle du taux de profit a été sévèrement contestée et l’est encore aujourd’hui, non seulement par les économistes bourgeois mais aussi par certains marxistes académiques. Tandis que les économistes bourgeois rejettent la théorie de la valeur travail et donc la base de la théorie, les marxistes universitaires tentent de préserver la théorie de la valeur travail tout en rejetant sa conclusion. Ceux-ci affirment que Marx a fait des erreurs et que son travail est à la fois incohérent et contradictoire (19).

Dans les années 1960, au cours du boom d'après-guerre, lorsque le capitalisme semble avoir résolu ses problèmes et que le capital s’accumule plus rapidement que dans toutes les périodes précédentes, N. Okishio – un marxiste académique japonais – prétend découvrir un théorème qui prouverait algébriquement que l'augmentation de la productivité fera toujours augmenter le taux de profit, et non pas le baisser. Marx fut donc présumé avoir tort. Une autre prétendue erreur de Marx était que le profit ne pouvait pas être obtenu à partir de la valeur. Ce théorème a été en grande partie accepté par les universitaires marxistes qui ont ensuite consacré leurs énergies à corriger ce qu'ils ont considéré comme des erreurs de Marx. Cependant, avec le retour de la crise capitaliste des années 1970 cette analyse a été contestée. Des travaux universitaires plus récents (20) ont montré que le système de Marx ne se contredit pas et que ses conclusions suivent ses prémisses : il n'y a donc pas d’erreur théorique. Il a été démontré que si les entrées et sorties du cycle de production capitaliste sont évalués de façon temporaire plutôt que de façon simultanée et si le prix et la valeur sont traités comme un seul système connexe, alors se vérifient toutes les conclusions de Marx. En particulier, le théorème d’Okishio, qui se base sur l'évaluation simultanée des entrées et sorties du processus de production, ne parvient pas à réfuter les conclusions de Marx. Les conclusions de Marx demeurent valides, notamment :

  • La Plus-Value comme seule source de profit.
  • La somme cumulative de toute plus-value produite est égale à la somme cumulative du profit.
  • L'augmentation de la productivité du travail conduit inévitablement à une baisse du taux de profit.

Au fur et à mesure que le capital s’accumule – ce qui de facto engendre plus de capital constant – la productivité augmente et le travail est expulsé du processus de production. Cela supprime la source de plus-value obligeant ainsi la plus-value produite à décliner. Cette baisse est soit absolue, soit en lien avec la constante augmentation du capital. L'économie connaît donc une baisse tendancielle du taux de profit. Cette tendance, à son tour, exacerbe la concurrence et accélère le processus.

Les options offertes à la bourgeoisie pour inverser cette chute sont les suivantes :

Augmenter l'exploitation du travail. La méthode la plus directe est d'augmenter la longueur de la journée ou de la semaine de travail afin que plus de travail non rémunérés soit produit. Cela peut également être effectué par une augmentation de l’intensité du travail, soit en forçant la cadence, soit en réorganisant le travail. Cela équivaut à ce que Marx appelait l'augmentation de la plus-value absolue extraite de la classe ouvrière. Une autre alternative consiste dans l'augmentation de la productivité des travailleurs en installant des machines plus productives. Ceci équivaut à réduire le temps de travail qu’un prolétaire passe à produire son salaire et à augmenter le temps passé à travailler sans salaire pour le capital. Cela se traduit par une augmentation de ce que Marx appelle la plus-value relative. Le problème est que, comme expliqué ci-dessus, cela implique invariablement à évincer des travailleurs hors de la production et d'installer des machines, ou du capital constant, de valeur supérieure ce qui conduit finalement à la baisse de la rentabilité.

Augmenter la vitesse de rotation du capital circulant. Chaque cycle de production se finance grâce au capital déboursé pour les moyens de production et le salaire des travailleurs et qui se régénère lorsque les marchandises produites sont vendues sur le marché. S’il est possible d’augmenter le nombre de cycles par année, alors la valeur annuelle du salaire des travailleurs se trouve réduite et le taux de profit augmente en conséquence.

Dévaluation du capital constant. Si la valeur du capital constant peut être réduite alors que la plus-value reste inchangée, le taux de profit augmente. La dévaluation du capital se produit en cas de crise où les moyens de production sont éliminés ou vendus pour une fraction de leur valeur nominale. Au 19e siècle, les crises dévaluèrent suffisamment le capital constant pour rétablir les taux de profit et déclencher un nouveau cycle d'accumulation. Au 20e siècle, la masse du capital accumulé – à l'échelle mondiale – était si élevée qu’une dévaluation suffisante ne pouvait avoir lieu que par des guerres mondiales dans lesquelles le capital constant n'a pas été remplacé, la concurrence a été suspendue, et les produits de l'industrie ont été détruits par la guerre. Nous affirmons que ce fut la conséquence économique des deux guerres mondiales. En particulier, la reconstruction avec 30 ans de croissance, qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, a été rendue possible par la dévaluation et la destruction du capital au cours des 6 années de guerre. Toutefois, la période de reconstruction a été une période d'accumulation du capital, et d’intensification massive de la productivité du travail ce qui, par conséquent, a fait chuter le taux de profit moyen et provoquer la longue crise qui a commencé au début des années 1970 et qui perdurent aujourd’hui.

Ce dont le capitalisme a vraiment besoin est une dévaluation massive du capital tel que décrit dans la troisième option ci-dessus, une dévaluation qui ne peut être atteint que par une guerre généralisée. Nos dirigeants, bien sûr, ne font pas la guerre afin de dévaluer le capital. Ils font la guerre pour des raisons impérialistes mais les ambitions impérialistes prennent racine dans la crise économique. Ils font donc la guerre pour détruire leurs concurrents et pour dévaluer le capital de leurs compétiteurs ; ce qui leur permet en retour d’augmenter leur part de plus-value globale extraite des travailleurs du monde entier. Bien que le système ait donné naissance à une multitude de guerres locales et bien que les différends pouvant conduire à une nouvelle guerre mondiale sont de plus en plus exacerbés, une nouvelle guerre mondiale n’est pas pour le moment à l'ordre du jour. Cela signifie que seules les deux premières options sont ouvertes à la bourgeoisie aujourd'hui. Ces deux options sont cependant restreintes. La journée ou la semaine de travail ont leurs limites et l’augmentation du taux de rotation du capital circulant – sans pour autant augmenter le niveau de capital constant – a aussi une limite. Le Capital a déjà augmenté le taux de rotation de manière significative et il se peut probablement qu’on puisse le pousser encore davantage. Des études sur le roulement annuel du capital circulant aux Pays-Bas et au Japon ont permis de constater que le nombre moyen de cycles annuels de production était passé de 5 – en 1965 – à 12 en 2005 (21).

Cette augmentation drastique n’a pu être atteinte sans l'installation de moyens de production plus prolifiques. Cela signifie une augmentation du capital constant et une augmentation de la productivité des travailleurs. Donc, pour compenser ces augmentations, il y aura une baisse du taux de profit.

Si nous écartons les manœuvres dans le domaine monétaire qui, comme nous l'avons vu, ont échoué à stimuler l'investissement ou la demande, il ne reste que l’option 1 à nos dirigeants. Cette option est cependant appliquée avec plus d’agressivité que jamais.

Attaque sur les salaires et les conditions de vie du prolétariat

La mondialisation de la production a ouvert la porte à une attaque directe et indirecte sur le prolétariat des pays centraux du capitalisme. Une attaque dont l'objectif principal est d'augmenter la plus-value absolue extorquée à la classe. Les salaires plus bas dans les pays périphériques, en particulier en Asie, ont provoqué une situation où le prix de cette force de travail tend à abaisser le prix moyen de la force de travail à l’échelle mondiale. Cela a permis à la bourgeoisie d'imposer des réductions directes des salaires, une plus grande flexibilité au travail, et des réductions du salaire social. En effet, ces développements représentent la fin de la paix sociale, entre le capital et le travail, qui suivit la Seconde Guerre mondiale. Ces attaques ont été entérinées par de nouvelles lois du travail à travers l'Europe : la Loi Hartz IV en Allemagne, la Loi sur l'emploi en Italie, la Loi Peeters en Belgique, les nombreuses modifications à la législation du travail au Royaume-Uni, (les politiques d’austérité au Québec – NDLT)et la récente Loi El Khomri en France – qui a provoqué une vague de lutte de classes – en sont des exemples probants. Tout ceci vise à réduire la part du produit social allant à la classe ouvrière et une augmentation de la part allant au Capital.

Des coupes dans les salaires directs ont été appliquées avec beaucoup d’ampleur. Au Royaume-Uni et aux États-Unis, les salaires réels ont baissé depuis la fin du boom d'après-guerre au milieu des années 1970. Au Royaume-Uni depuis 2008, il y a eu une baisse moyenne des salaires de 8 %. En ce qui concerne les employés du secteur public, ce chiffre s’élève à 10 %. De la main-d'œuvre plus abordable, provenant en majeure partie d’Europe de l’Est, a été importée au Royaume-Uni, ce qui a permis de maintenir les salaires, dans le secteur tertiaire, au niveau du salaire minimum. Qui plus est, il y a eu une augmentation des taxes sur les denrées consommées par le prolétariat.

Une augmentation de la «flexibilité» du travail a été imposée à la main-d'œuvre. Au Royaume-Uni, cela a, entre autre, été appliqué en allouant des contrats à "zéro heure". Ainsi, aucun travailleur n’est garanti de travailler mais celui-ci doit néanmoins se présenter sur son lieu de travail, lorsque le patron l’exige, et n’est payé que pour les heures de travail qu’il a effectué. Au Royaume-Uni, il y a maintenant 1 million de prolétaires qui sont asservis à ce type de contrat. La Confédération de l'industrie britannique estime que ce type de travail flexible permet à 500,000 travailleurs d’éviter la demande des prestations de chômage. En Allemagne, il existe une version similaire de cette flexibilité d’emploi qu’on appelle mini-jobs. On estime que 7 millions de personnes travaillent maintenant pour ces mini-jobs. Tandis que le chômage au Royaume-Uni est resté bas, grâce à cette nouvelle flexibilité d’emploi et grâce aux réductions salariales, cela a mené à ce que nous avons mentionné ci-dessus : aucune augmentation de la productivité. Cependant, dans l'ensemble de l’Union européenne, 10% de la population est au chômage. Ces chômeurs constituent l'armée de réserve des travailleurs qui appartient au capital. Mais le capitalisme est maintenant incapable de les intégrer dans le travail productif. Sa stratégie consiste à les confiner dans des ghettos, à les emprisonner, ou à les recruter au niveau militaire.

Parallèlement, le salaire social a été coupé. Il y a eu des coupures dans les allocations sociales, l'éducation, les soins de santé, ainsi qu'une augmentation des frais d'études universitaires ; des coupures dans les pensions, une augmentation de l'âge de la retraite, et des réductions drastiques des prestations d'invalidité.

Tel que nous l’écrivions dans notre article « France : a new attack on the working class » qui commentait les grèves en France contre la loi El Khomri :

Les lois archaïques qui continuent de « limiter » et « réglementer » l’exploitation du prolétariat sont devenues inadmissibles face à l’état actuel du capitalisme. La profonde crise, qui traverse le système économique mondial, rend la bourgeoisie plus « vicieuse» et l’exhorte à faire pression sur ses gouvernements pour éliminer tout ce qui entrave l'extraction et la réalisation d'un profit «équitable» ; un profit suffisant pour la présente composition organique du capital et pour les investissements nécessaires à la poursuite du processus d'accumulation ... bref, derrière la guerre de la bourgeoisie menée contre le prolétariat – et les couches sociales les plus proches de celui-ci – ne se cache pas seulement des facteurs sociaux mais aussi l'une des crises les plus graves du capitalisme, dont les guerres impérialistes, avec leurs « effets secondaires» tragiques tels que la migration de millions d'êtres humains pris dans des conditions désespérées, ne sont que l’envers de la médaille.

L’État-Providence est terminé, l’heure est au travail obligatoire. En d’autres mots,

... le prélèvement obligatoire sur les salaires directs et indirects doit continuer, mais de moins en moins de cette taxe sur les salaires ira aux services sociaux (retraite, santé, éducation, etc.), tandis qu’elle sera de plus en plus aspirée par les «institutions» économiques et financières de la bourgeoisie, ou plutôt par leurs entreprises peu importe où – et la façon dont – elles opèrent (22).

Tout ceci a provoqué une baisse du niveau de vie de la classe prolétarienne et engendré des problèmes sociaux. Un rapport de l'OCDE a constaté qu’au Royaume-Uni, 8,1% de la population a du mal à se nourrir. Un tiers des conseils de comté, en Angleterre et au Pays de Galles, rapporte qu’ils ont subventionné les banques alimentaires et selon le Trussel Trust (qui gère 400 banques alimentaires), 1,1 million de personnes (23) ont reçu de la nourriture d'urgence provenant de l’une de leurs banques alimentaires pendant au moins 3 jours au cours de la dernière année.

Nous avons déjà souligné les limites posées par l'extraction de la plus-value absolue de la classe ouvrière. Celles-ci sont fixées par le fait que la journée n'a que 24 heures et que les travailleurs ont besoin d'un minimum de temps pour manger, boire, et dormir afin de reproduire leur force de travail. À plus long terme, les mesures d'austérité ne fonctionneront pas. Cependant, à court terme, ces mesures réussissent à transférer le fardeau de la crise sur les épaules de la classe ouvrière et, aussi longtemps qu’elle l’acceptera, ces mesures produiront donc une certaine augmentation des profits et permettront de fournir au système un peu d'oxygène pour le maintenir en vie. La vraie question est de savoir combien de temps la classe ouvrière va tolérer l'austérité qui lui est imposée avant de reprendre le combat ouvert contre l'ensemble du système. Ce tournant exigera une prise de conscience « pour-soi » renouvelée par rapport à sa position en tant que classe internationale ayant pour mission historique de créer un système de production sociale supérieur.

CP, mardi 23 août, 2016

(1) Adair Turner, former Financial Services Authority chairman, correspondant du Financial Times, 23/05/16

(2) RP numéro 6 “Piketty, Marx and Capitalism’s dynamics” et RP 62 “The Tendency of the Rate of Profit to Fall, the Crisis and its Detractors

(3) ILO ilo.org

(4) Cité par le Financial Times, 30/05/16

(5) World Bank data.worldbank.org

(6) Financial Times, 26/05/16

(7) Financial Times, 3/03/16

(8) Les États-Unis tentent de bloquer le renouvellement de M. Seung Wha Chang après des décisions qui vont à leur encontre. cf.: bna.com

(9) Lieu de la Conférence monétaire et financière des Nations Unis en juillet 1944. Elle créa la Banque Mondiale, le FMI, et établit le dollar comme clé de voute du système monétaire international.

(10) Financial Times, 5/02/15

(11)Sovereign downgrades surge to record levelsFinancial Times, 8/07/16 p.32. Fitch a déclassé la dette de 14 pays (et du Royaume Uni); S&P, 16 et Moody’s, 24 cette année.

(12) Pour l'EU la demande est inférieure de 2,4% à celle de 2008, voir le Financial Times, 7/07/16

(13) Financial Times, 11/03/16

(14) Financial Times, 18/02/16

(15) Piketty est un des conseillers de Jeremy Corbyn. Pour une critique de ce livre, “Capital in the Twenty-first century” voir Revolutionary Perspectives numéro 6.

(16) Tony Atkinson ex-professeur d'économie à Oxford écrit depuis les années 60 sur les inégalités. Son récent livre: “Inequality: What can be done” recommends every 18 year old given an inheritance and guaranteed public employment.

(17) Marx, Capital, Volume 1 - p.53 Progress Edition.

(18) Marx Capital Volume 3 p.213 Editions du Progrès.

(19) E.g. L'US Monthly _Review School_.

(20) voir par exemple A. Kliman “Reclaiming Marx’s Capital”, Michael Roberts “The Next Recession”, et Paul Mattick (junior), “Business as Usual: The Economic Crisis and the Failure of Capitalism”. Nous ne souscrivons pas nécessairement à toutes leurs opinions politiques, mais sur la crise, ils font tous le même constat que le nôtre.

(21) cf.: E Maito gesd.free.fr

(22) cf.: leftcom.org

(23) cf.: Trussel Report trusselltrust.org

1 Également connu sous le nom de traité de libre-échange transatlantique (TAFTA en anglais). – note de la traduction -

Monday, October 3, 2016