Lendemain de veille électorale

Le couperet est tombé le 7 avril au soir, le Parti québécois a subi sa pire défaite électorale depuis 1970. Avec 42% des voies et 70 sièges sur 125, le Parti libéral est le grand vainqueur. La Coalition Avenir Québec a réussi à sauver la mise et finalement, Québec solidaire a fait élire de justesse une troisième députée. En tant que communistes, nous n'avons pas pris part au cirque électoral capitaliste, mais nous savons très bien que le résultat des élections se répercutera sur nos luttes dans les prochaines années. Que veulent dire les résultats du 7 avril pour les travailleurs et les travailleuses ? Qu’est-ce que les prolétaires les plus conscientEs doivent comprendre de la situation politique pour préparer les prochaines batailles ? Voici ce que le Groupe internationaliste ouvrier propose comme lecture de la situation.

La défaite du nationalisme institutionnel

Ces élections ont été remportées par le Parti libéral certes, mais il ne faut pas croire que la majorité des électeurs et des électrices ont voté pour le programme de ce parti. Le vote fut simple, il fut celui d'une masse de travailleurs et de travailleuses issue de l'immigration, contre la Charte raciste du PQ, il fut aussi celui de centaine de milliers d'autre travailleurs et travailleuses qui n'avaient rien à cirer du nationalisme. Ces résultats signifient que la principale arme de division de la classe ouvrière commence à être bien usée. Nous savons de plus en plus que nous avons beaucoup plus d’intérêts en commun avec un ouvrier hindou en grève à Vancouver, qu’avec un Pierre Karl Péladeau.

Il ne faut pas être dupe pour autant, le PQ a réussi à semer le germe d'un nationalisme identitaire. Bien que la Charte ne fera pas licencier des travailleurs et des travailleuses des services publiques, elle a durablement semé la peur de la minorité musulmane. La peur de ''l'invasion'' des disciples de Mahomet (comme si 1,9% de la population canadienne, dont 60% n'ont jamais mis les pieds dans une mosquée, était une menace). Les graines de l’intolérance et du racisme ont été semées. Il n'est pas exclu que dorénavant, une partie de la droite identitaire tente de s'exprimer davantage par la voie extraparlementaire. Une augmentation des attaques racistes ou des agressions visant des militants et des militantes de gauche par des petit nazillons en manque d'adrénaline n'est pas exclue. Bien qu'il soit nécessaire de tenir la rue face à l'extrême droite, la seule solution durable est une reprise de la lutte des classes. C'est en faisant grève ensemble, en combattant coude à coude l'État et son appareil répressif que les prolétaires de toutes les origines verront qu'ils ne constituent qu'une seule classe face à leurs exploiteurs.

Québec solidaire : un virage à droite inévitable

Les résultats de Québec solidaire hier doivent sonner l'alarme chez sa direction. La victoire à l'arrachée de Manon Massé dans Sainte-Marie-St-Jacques et l'impossibilité d'aller prendre d'autres comtés qui pouvaient tomber (Hochelaga-Maisonneuve, Laurier-Dorion, Rosemont, certains parlaient même de Rimouski) ne peuvent que mener à deux résultats. Le premier est une surenchère nationaliste, pour aller arracher les votes d'un PQ en décomposition. Le discours de réélection de Françoise David peut facilement être considéré comme le meilleur discours péquiste depuis 1976.

L'autre est le virage à droite de son programme. Dans ce parti, plusieurs estimaient déjà que Québec solidaire ne pourrait pas aller chercher plus de 10 députés. Depuis le 7 avril, ses prédictions sont sûrement à la baisse. Le parti des ''Urnes et de la rue'' veut devenir un parti capable de gouverner et de faire l'indépendance. Cela signifie pouvoir être présentable et crédible dans les médias de masse, ne pas trop choquer. Il est clair que toute ambition de ''dépasser le capitalisme'' sera vite abandonnée au profit du pays. Les nombreux collectifs anticapitalistes sont de plus en plus marginalisés, le co-porte-parole ''radical'', Andrés Fontecilla, a été complètement écarté de toute la campagne. Québec solidaire veut devenir présentable et cela exige d’être encore plus inoffensif envers la classe dominante.

Il faut cependant analyser ces deux virages plus en profondeur. La déconfiture du PQ est due à ses politiques d’austérité, car en attaquant des secteurs de la population parmi les plus favorables à l'indépendance nationale, elle a permis à QS d'aller les récupérer. Les couches ayant le plus intérêt à voir l'arrivée d'un État québécois souverain, la bureaucratie syndicale et la petite-bourgeoisie intellectuelle, ne se reconnaissent plus dans un PQ vendu aux intérêts du Québec inc, qui accueille en triomphe Pierre-Karl Péladeau dans ses rangs. Québec solidaire devient désormais le parti de la bureaucratie syndicale, noyant tranquillement sa base traditionnelle composée de bureaucrates communautaires et d'étudiants et d'étudiantes prolétariséEs.

Ce changement de la composition de classe de Québec solidaire condamne cette formation à devenir le nouvel appareil de rétention sociale au Québec. Avant, « les solidaires » n'étaient souvent qu'une simple force conservatrice, modérant les ardeurs de la lutte, appelant à la réforme fiscale plutôt qu'au renversement du capitalisme. Il était systématiquement question de diluer le discours pour pourvoir ''mieux paraître dans les médias''. Maintenant, Québec solidaire deviendra, dans les prochaines années, un véritable appareil de contrôle des luttes, les projetant dans le mur et les soumettant encore plus à ses ambitions électorales.

Une fenêtre ouverte

La mutation de la fonction de Québec solidaire en force conservatrice dans les mouvements sociaux à celle d'appareil de contrôle ne se fera pas du jour au lendemain. L'appareil de contrôle habituel, le Parti québécois, a perdu presque la totalité de son influence sur les fractions combatives du prolétariat. Un espace se dégage, pendant cette période de transition, pour la gauche révolutionnaire.

L'émergence d’un mouvement véritablement autonome du prolétariat reste une possibilité. La grève sauvage des techniciens et des techniciennes d’un sous-traitant de Vidéotron avant Noël, les grèves illégales des infirmières au Nouveau-Brunswick et la grève des camionneurs, syndiqués et non syndiqués, du port de Vancouver, ne sont qu'une série d'évènements démontrant un regain de combativité de la part de la classe ouvrière canadienne. La formation de comités autonomes sur les lieux de travail pour faire face à la bureaucratie syndicale et le renforcement du mouvement des assemblées de quartier sont un pas important à faire pour pouvoir saisir cette occasion.

Une lutte acharnée contre le nationalisme et le racisme doit être enclenchée. Ce combat ne pourra se faire que par la construction de mouvements de masse réels sur des questions qui touchent l’ensemble la classe ouvrière canadienne. La riposte contre la réforme de l'assurance-chômage et la campagne contre les compressions à Postes Canada seront centrales dans cette lutte pour l'affirmation d'un programme politique des travailleurs et des travailleuses qui puisse réellement rompre avec le capitalisme et son corollaire, l'État nation.

Finalement, les éléments les plus conscientEs de la classe ouvrière doivent se rassembler dans une organisation politique qui défendra l'autonomie de ces luttes contre toute manifestation idéologique bourgeoise, pour rependre le programme communiste dans l'ensemble du prolétariat et préparer la révolution internationale. Face au désastre écologique, au charcutage de nos conditions de vie, au risque de guerre impérialiste entre les grandes puissances qui se fait toujours de plus en plus sentir, nous n'avons qu'une seule option : la construction d'un monde sans classe, sans État, sans salariat ; un monde où l'économie et la vie politique seront administrées de façon collective. Le dilemme est posé, le communisme réel (pas le stalinisme) ou la destruction de l'humanité.

Maximilien