Pourquoi la guerre en Irak?

L’économie américaine est dans un état bien pire que les statistiques l’indiquent. Nous sommes en présence d’une crise qui n’est pas seulement une crise du néo-libéralisme, mais aussi une crise des idées keynésiennes qui jusqu’à ce jour étaient considérées comme la solution à l’incapacité de la politique économique du libre-échange depuis la grande dépression des années trente. L’échec de ces politiques démontre que le capitalisme ne peut surmonter ses contradictions quelque soit le type d’économie politique qu’il est contraint d’adopter, cela conduit à la dépression avec les énormes conséquences sociales qui en découlent.

Les conséquences de ces crises sont énormes. Lors du second semestre de 2002, l’économie américaine a accumulé une dette de 500 millions de dollars dans le seul secteur productif. Les comptes publics sont dans le rouge. Le déficit du commerce extérieur dépasse les 500 milliards de dollars. Les secteurs les plus importants de la production sont en crise. Cela va du secteur automobile au secteur plus important de l’aéronautique en passant par le secteur de l’énergie et des transports. En ce qui concerne le secteur financier c’est l’effondrement du Nasdaq (indice boursier qui représente l’indicateur des performances boursières d’un panier de sociétés choisies pour leur importance et leur représentativité du marché financier). L’explosion de la bulle boursière a été précédée par la crise de tous les secteurs liés à la production technologique sur laquelle reposait tous les espoirs de l’économie américaine. Pour donner une idée de la profondeur de la crise, le niveau d’utilisation des moyens de production est tombé, globalement, à 74% pour l’industrie et à 72,5% pour le secteur des produits manufacturés par rapport à 2000.

Bien que le dollar ait, depuis Octobre 2000, subit une dévaluation de 28%, le déficit de la balance commerciale américaine ne cesse de s’accroître pour atteindre un rythme de 10% par an. La valeur totale des importations dépasse de 42% celle des exportations.

Sur le plan social, le chômage est officiellement de 4,1% à 4,9 soit en réalité de 12% à 14%. Selon les chiffres officiels publiés, le 26 Aout dernier par le service de recensement américain, le taux de population vivant dans la pauvreté est passé à 12,5% en 2003. Au total, ce sont, officiellement, plus de 36 millions d’américains qui vivent désormais dans la pauvreté. Rappelons que pour être considéré comme pauvre, une famille de quatre personnes doit disposer d’un revenu annuel ne dépassant pas 18810 dollars. Par ailleurs, 45 millions d’américains (15,2% de la population) ne bénéficient d’aucune couverture santé. Les inégalités entre riches et pauvres se sont accrues. Depuis l’élection de Bush, 4,3 millions de personnes de plus sont tombées dans la pauvreté et 5,3 millions ont perdu leur assurance santé. Malgré le rebond de la croissance, le revenu moyen des ménages n’a pas bougé en 2003 à 43000 dollars et la dette des ménages, déjà phénoménale a encore augmenté.

Les causes de cette situation sont toujours les mêmes mais aggravées en terme d’intensité et de rythme qui s’accélère. Les crises cycliques qui périodiquement dévastent les rapports de production sont accompagnées d’un taux de profit qui diminue dramatiquement. La détérioration des mécanismes de valorisation du capital rend l’accumulation difficile, intensifiant la compétition et créant des crises à une échelle globale. En dépit de cela, l’économie américaine se maintient sur ses pieds et est encore apte à dominer le grand marché international. Elle est encore à l’avant-garde du système capitaliste mondial et se présente toujours tant au niveau économique que financier comme le géant avec qui le reste du monde doit compter. Ainsi, pour l’instant du moins, même si le rythme s’est quelque peu ralenti, les capitaux continuent d’affluer aux Etats-Unis, malgré la persistance du déficit commercial, l’éclatement de la bulle boursière, le doute jeté sur les pratiques de gestion par les scandales à répétition, etc... Il n’en avait pas fallu beaucoup plus pour déclencher la panique asiatique il y a peu d’années. Pourquoi alors, cette confiance continue dans les emprunteurs américains? A la différence des emprunteurs du reste du monde, quand les agents américains s’endettent à l’extérieur en dollars, il s’agit de leur propre monnaie. Les banques thaïlandaises ou indonésiennes ont été acculées à la faillite quand la valeur en monnaie locale de leurs emprunts s’est envolée, suite à l’effondrement du bath et de la roupie. En revanche une chute du dollar ne changerait rien à la charge de leur dette pour les entreprises, les banques ou le gouvernement des Etats-Unis. Autrement dit, les débiteurs américains ne sont soumis à aucun risque de solvabilité lié au change.

Résultat: de créditeur net au début des années 80, les Etats-Unis sont devenus le plus gros débiteur du monde aujourd’hui. En 2001, ils captaient toujours près de 7% de l’épargne mondiale, avec des entrées nettes de capitaux supérieures à 500 milliards de dollars.

Le statut international du dollar, la diversité des instruments financiers libellés dans cette monnaie lui assurent quoiqu’il arrive, une place dans les portefeuilles financiers.

Mais, pour cette raison même, qui fait que son économie règne encore en maître sur la planète, l’impérialisme américain doit mettre en œuvre une série de stratégies dans le but de maintenir cette domination. La plus significative de ces stratégies qui permet aux USA de survivre à ses propres contradictions, plus que toute autre, est l’usage de la force. Ceci permet aux USA d’exporter en partie ses problèmes vers la périphérie de son empire et d’exclure ces concurrents internationaux des marchés clés, deux conditions de sa survie économique. Dans les dix dernières années il y a eu une série de conflits dans lesquels l’usage permanent de la force a été aussi féroce que planifié avec soin.

L’usage de la force semble être devenu une constante parmi le bagage politique de l’impérialisme américain.

Cet usage peut être vu partout, dans chaque marché international, qu’il soit financier ou commercial, du contrôle du pétrole à celui du marché des matériaux stratégiques bruts. Le répertoire peut varier de la guerre de rapine à celle dite préventive, du contrôle direct ou indirect. Il trouve toujours une justification, si celle-ci n’est pas à portée de main on l’invente et la dévastation arrive à coup sûr.

En onze ans, il y a eu cinq guerres, y compris la guerre du Golf, en passant par l’Afganistan, jusqu’à l’actuelle occupation de l’Irak. On retrouve l’usage de la guerre comme condition primordiale du maintien de la suprématie américaine mondiale. Une telle primauté induit la suppression de toute forme de compétition en ce qui concerne le contrôle des marchés, qu’il concerne le pétrole ou les flux financiers. En bref, on peut dire que le degré d’arrogance et de violence avec lesquels les USA poursuivent leurs objectifs est directement proportionnel aux crises à conjurer et aux objectifs à atteindre. Là où le chantage économique et les pressions politiques ne donnent pas de résultat l’option militaire intervient avec toute sa force.

La chute de l’Union Soviétique est l’une des principales raisons qui a permis aux USA d’ utiliser la guerre à large échelle comme moyen de défense de ses intérêts impérialistes. Durant la guerre froide, la présence d’un second pôle impérialiste forçait les USA à limiter leur politique expansionniste et à user, en priorité du chantage économique envers ses alliés au nom de l’unité face à l’ennemi commun. La chute de l’Union Soviétique a ouvert un champ d’action inimaginable jusqu’alors à l’impérialisme américain. Quand la Russie a retiré ses troupes de l’ensemble des pays où elles étaient disposées dans le monde, elle a laissé des alliés comme Milosévic et Hussein à la merci de leur ennemi mortel. Les guerres qui ont suivi comme celles de la Bosnie à l’Afganistan prennent place dans une situation caractérisée par l’absence de contre-poids que représentait l’Union Soviétique, situation dont n’avait pas bénéficié les USA depuis la deuxième guerre mondiale.

Sur le plan du pétrole, le mode d’opération de l’impérialisme américain est cohérent et déterminé. Le but n’est pas seulement d’étendre son contrôle sur les aires présentant le plus grand intérêt du point de vue énergétique, tel que le Golf persique ou la mer caspienne, mais aussi de continuer à contrôler les revenus du pétrole à travers le maintien du dollar comme unité monétaire d’échange avec les ressources énergétiques primaires et la possibilité d’intervenir au niveau des décisions concernant la quantité de production et les prix de ces produits.

Le but des USA est, en contrôlant les ressources énergétiques d’être le pays pivot autour duquel tourneraient les autres puissances économiques internationales. Ce contrôle des aires pétrolifères devient une arme de dissuasion envers les autres pays contraints à s’aligner derrière la puissance détentrice de ces ressources.

Ces différents aspects sont liés: Le contrôle du pétrole est aussi d’une importance vitale pour l’économie américaine, sa demande énergétique requière en effet d’importer 60% de ses besoins. Les puits de pétrole du Texas s’épuisent et les coûts d’extraction sont très élevés. Ceux d’Alaska couvrent à peine 35% de la demande globale. Quant à la poursuite de l’imposition du dollar comme monnaie d’échange dans les transactions financières, elle reste une nécessité impérative, car elle confère aux USA l’avantage de drainer un flux financier vers ce pays qui à un besoin vital d’argent frais.

L’usage de la force, de la guerre permanente, comme moyen de réalisation de ces objectifs, est la condition indispensable pour l’impérialisme américain dans sa tentative désespérée de survivre aux contradictions de sa propre économie.

C’est dans ce contexte qu’il convient d’analyser l’intervention américaine en Irak.

L’Irak, un but de conquête parmi d’autres, mais non des moindres de l’impérialisme américain

La guerre entreprise par les Etats-Unis contre l’Irak se situe dans la continuité de la guerre du Golf menée en 89, de celle du Kosovo et, bien sûr, de celle d’Afganistan. Les raisons qui ont motivé ces guerres, au-delà de leurs caractéristiques "locales", tiennent au fait que pour les USA, l’accomplissement de leur projet d’hégémonie mondiale demeure vital.

Un des objectifs de ces guerres est d’installer des troupes permanentes au cœur de l’Europe, dans les Républiques d’Asie centrale, à proximité des puissances rivales dont le rôle international risque de prendre de l’ampleur (Chine, Russie), en Irak, au cœur de la région de la planète la plus riche en pétrole, aux points stratégiques des axes de transport des produits énergétiques.

Boukharine avait en 1915, développé dans "Economie mondiale et capitalisme", la thèse qui explique la cause de la multiplication des conflits armés dans le monde, thèse que Lénine prendra en compte dans la rédaction de "l’impérialisme, stade suprême du capitalisme". N.Boukharine mettra alors en valeur le fait que deux processus, autonomes jusqu’au début du Vingtième siècle- les rivalités politiques des Etats et la concurrence économique entre capitaux - tendent à fusionner de plus en plus, ce qui débouche inévitablement sur une période à long terme de guerres et de conflits impérialistes.

Parmi les facteurs qui ont contribué au déclenchement de la guerre en Irak menée par les USA, celui qui reste essentiel est le pétrole. Ce facteur se décline en trois points:

Contrôle par les USA des réserves énergétiques de cette région pour subvenir à leurs propres besoins, non pas forcément dans l’immédiat mais pour l’avenir. En effet, si l’or noir figure dans les calculs irakiens de Washington, c’est plus comme ressource stratégique plutôt qu’économique. Avec cette guerre, il s’agit d’avantage de perpétuer l’hégémonie américaine - et dans ce sens de prendre des garanties pour l’avenir - que de gonfler tout de suite les bénéfices d’Exxon. Dans le numéro du "Nouvel Economiste" du 10 Septembre, Pascal Lorot, Président de l’Institut Choiseul, écrit:
"A l’horizon de 20-30 ans, lorsque les réserves mondiales seront en partie épuisées, le golf arabo-persique retrouvera pour une raison simple son rôle stratégique sur l’échiquier énergétique mondial: En effet, il concentrera l’essentiel de l’offre restante. Voilà pourquoi l’engagement américain actuel dans la région n’est pas uniquement ce circonstance, il répond à une vision stratégique à long terme: garantir demain, lorsque le pétrole deviendra plus rare, l’accès de l’Amérique aux réserves de cette zone."
Contrôle par ces mêmes USA de cet approvisionnement comme moyen de pression par rapport à leurs propres rivaux.
Contrôle de la rente pétrolière, en tant que telle, pour soutenir leur économie déliquescente.

La maîtrise du pétrole irakien et, avant tout, de ses débouchés commerciaux, constitue une des raisons essentielles de l’intervention militaire en Irak par les Etats-Unis. Par ailleurs, lieu géostratégique vital - l’Irak a des frontières communes avec la Turquie, le Golf persique et le proche orient islamique- l’occupation de ce pays, dans le contexte actuel d’aggravation des contradictions inter-impérialistes au niveau mondial, représente une avancée pour les Etats-Unis.

La rente pétrolière

Autre facteur, à l’origine de l’intervention US en Irak, celui de la rente pétrolière.

Pour comprendre ce que représente de déterminant pour le fonctionnement de l’économie américaine la question de la rente pétrolière, il faut se souvenir que l’année 1971 marque la fin de la convertibilité du dollar en or et que cette même année, suite à un accord avec l’OPEP, tout le pétrole est désormais échangé contre des dollars. Le dollar est aujourd’hui la seule monnaie dont l’utilisation dans le commerce mondial (la moitié des échanges est facturée en devises américaines) dépasse largement le poids des exportations américaines dans le monde (15,6%).

Le dollar est la première devise en circulation. EN 2001, 90,4% des transactions ont impliqué le dollar comme une des deux monnaies de l’échange. De ce fait certains pays ont même remplacé leur monnaie nationale par le dollar (Panama, Salvador, Equateur...). Les banques centrales réalisent la très grande majorité de leurs transactions sur le marché des changes en dollars. La position centrale des USA leur permet de disposer du privilège unique de vivre à crédit ouvert sur la planète. Le déficit budgétaire américain est ainsi financé par l’émission de bons du Trésor relevant des banques centrales des Etats excédentaires. Le dollar étant la seule devise acceptée pour le règlement des matières énergétiques (entre autres), tous les Etats doivent accumuler cette devise pour acheter le pétrole et le gaz qui leur sont indispensables. Ces dollars accumulés vont aussi servir à acheter d’autres produits... Les dollars mis sur le marché vont ainsi circuler toujours et toujours sans qu’on demande à leur émetteur, les USA, de les rembourser à un moment donné par un autre équivalent (or, monnaie...).

Cette hégémonie du dollar tient donc ainsi au fait que cette devise est la seule agréée pour le commerce du pétrole. La naissance de l’Euro s’est avérée comme un grain de sable dans cette belle machinerie qui date de 1971. Bien sûr, il est difficile pour une monnaie de gagner une influence significative si elle ne s’appuie pas sur une force politique, sur un gouvernement qui la porte. Or, l’Europe n’a pas de gouvernement, les dirigeants de la zone euro ne semblent pas prêts à avancer rapidement dans la voie de l’union politique...

De plus, aussi longtemps que les Etats devront thésauriser des dollars pour acheter du pétrole, l’euro ne pourra pas s’imposer de manière significative.

Mais, en 1999, l’Irak va contester et remettre en cause les règles du jeu jusqu’à présent établies en décidant d’utiliser l’euro comme monnaie de paiement des produits pétroliers. Deux ans plus tard, l’Iran, à son tour, commence à envisager la possibilité du règlement de son pétrole en euros ainsi que le Vénuzuela, quatrième producteur de pétrole, qui, non content de ça, a passé un accord avec Cuba. La Russie a, elle aussi, fait entendre qu’elle envisageait cette possibilité (or, plus de la moitié des exportations russes de brut se fait vers l’Europe).

Un volume, même faible du commerce de pétrole se réalisant en euros aurait deux conséquences immédiates et douloureuses pour les USA:

Cela entraînerait un retour aux Etats-Unis d’une masse de dollars issus du tirage, à grande échelle, de la "planche à billets", dollars que les banques n’ont pas de quoi couvrir et dont la conséquence serait un effondrement de cette monnaie.
Cela dynamiserait l’euro qui deviendrait alors nettement plus attractif auprès des membres de l’Union européenne, et qui, par effet de "boule de neige" amènerait les plus réservés de ceux-ci à rejoindre la zone euro. Un renforcement de la crédibilité de la zone euro entraînerait une reconnaissance de l’euro comme valeur d’échange par un plus grand nombre de pays producteurs de pétrole.

Ainsi, si les enjeux économiques liés au pétrole (contrôle du pétrole du MO pour leur propre production à terme, contrôle de ce même pétrole comme moyen de pression sur les grandes puissances économiques concurrentes, défense du monopole de la rente pétrolière) expliquent largement la volonté d’intervention des USA en Irak, cette volonté est liée, plus globalement, à la nécessité, pour la plus grande puissance impérialiste, d’établir son contrôle sur le plus possible de points vitaux pour elle sur cette planète. La fameuse "guerre préventive" est, de fait, dirigée avant tout contre les puissances impérialistes susceptibles de contre-carrer les projets d’hégémonie des USA sur le marché mondial. D’autres conflits guerriers suivront inévitablement, ils seront le reflet, comme ceux passés et présents, des enjeux économiques vitaux animant les principaux impérialismes actuels.