La quête aveugle et aveuglante du profit

La première cause de cécité chez les êtres humains de plus de 50 ans est la dégénérescence maculaire. C’est le nom qu’on donne à la perte de vision progressive causée par l’oxydation de la macula, une petite membrane ronde située au centre de la rétine. Au Canada, on compte plus de 17000 nouveaux cas par année. Heureusement, les ophtalmologistes arrivent à traiter cette lésion avec un taux de succès remarquable, en injectant de minuscules quantités d’Avastin directement dans les yeux de leurs patients. Ce médicament anti-angiogénique avait initialement été élaboré en vue de combattre le cancer du colon. Une histoire qui finit bien, dites-vous. Eh bien non! Il arrive que la compagnie qui produit l’Avastin, Genentech, fait présentement tout son possible pour empêcher l’utilisation de son médicament pour combattre cette anomalie et ce faisant, son objectif n’est nullement d’ordre thérapeutique ou hippocratique. En fait, Genentech veut empêcher l’utilisation ophtalmologique de l’Avastin car il aimerait plutôt que les médecins se servent de sa nouvelle variante du médicament appelée Lucentis. Le hic est qu’une dose simple d’Avastin se vend à un peu moins de 20 dollars alors qu’on évalue que le nouveau produit imposé se détaillerait à environ 2000 dollars; cent fois plus! Un ophtalmologiste américain, le professeur Philip Rosenfeld qui s’intéresse aux recherches animales de Genentech et leur potentiel curatif des problèmes oculaires a publié une étude sur les résultats généralement positifs de l’utilisation de l’Avastin dans le traitement de la dégénérescence maculaire. Il conclut que:

C’est vraiment un médicament merveilleux. Ca démontre jusqu’à quel point les compagnies pharmaceutiques sont efficaces mais, d’un autre côté, ca montre aussi leur avarice.

Le scientifique pose là, à sa manière, tout le problème du contenu de notre époque. Une époque où les moyens scientifiques existant peuvent de plus en plus contribuer à alléger, voir à éliminer plusieurs des fardeaux de la condition humaine, mais où en même temps ces moyens sont entravés par un cadre politique et économique restrictif, désuet et destructeur. L’humanité a la possibilité de s’échapper de plusieurs de ses carcans, de s’émanciper, mais le capitalisme la retient. Marx avait analysé plus globalement la question dans sa préface à sa Contribution à la critique de l’économie politique:

A un certain stade de leur développement, les forces productives matérielles de la société entrent en contradiction avec les rapports de production existants, ou, ce qui n’en est que l’expression juridique, avec les rapports de propriété au sein desquels elles s’étaient mues jusqu’alors. De formes de développement des forces productives qu’ils étaient, ces rapports en deviennent des entraves. Alors s’ouvre une époque de révolution sociale.

La mathématique capitaliste est un calcul (1) douloureux dont notre corps social devra bien un jour se purger.

RS

(1) Calcul compris dans les deux sens du terme.